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LA VIE

DE LA

SCEUR BOURGEOIS.

CINQUIEME PARTIE,

Où il est traité de ses verius privées et domestiques, de son heureux trépas, et des merveilles qui l'ont suivi.

ON

N auroit pu penser que tout étoit fini pour la Sœur Bourgeois, par rapport à l'établissement de la Con. grégation. En effet, elle avoit déjà une maison bien établie à Ville Marie, une communauté nombreuse et fervente, et en état de fournir à perpétuité des Missionnaires dans toutes les Missions abies dans le Diocèse, et en former de nouvelles dans le besoin. Il n'y avoit pas encore à la vérité de règle autentiquement approuvée : mais on en avoit le plan, qu'on observoit fidèlement, en attendant que la Providence se déclarât sur cet article, sur lequel la Sœur éclairée intérieurement, ne doutoit pas que l'affaire ne réussit. Elle avoit donné jusqu'alors, les exemples de toutes les grandes vertus de la femme forte: mais la plus part de ses actions passées étoient dans un ordre héroïque, propres seulement à ces grandes âmes destinées, comme elle l'avoit été, à des entreprises d'éclat, et au dessus de la portée ordinaire des personnes de son sexe. Elle devoit à ses Sœurs des exemples de la vie privée et ordinaire, et des maximes proportionnées à leurs forces, et propres à entretenir et à perpétuer la ferveur, dans la communauté qu'elle venoit de former. Nous l'allons voir, ou plutôt admirer, dans des états où

il n'y a personne qui ne puisse être quelquefois dans le cas de l'imiter; commençons par ses souffrances.

Le Seigneur a des croix pour tout le monde; il ne les épargna pas à sa servante. Eile en eut de toute sorte: au dedans et au dehors; dans ce qui regardoit son institut, et dans sa propre personne; peines de corps, peines d'esprit; les unes de son choix et volontaires, les autres ordonnées par leg dispositions de la Providenee: tout lui fut abondamment distribué. Car sans parler içi des longs et pénibles voyages qu'elle a souvent entrepris pour la gloire de Disu, et dont on a déjà vu quelque détail; sans parler de la vie pénitente et mortifiée, dont elle faisoit profession, personne n'ignorant, qu'à l'exemple de l'Apôtre, elle portoit continuellement en son corps et en con esprit la mortification de Jésus-Christ, il est bon de présenter au lecteur-quelques unes de ses pratiques.

Elle ne vouloit pour nouriture que les alimens les plus grossiers, et donnoit toujours la piéférence à ceux qui étoient de plus mauvais goût. S'il s'en trouvoit quelqu'un capable de flatter la sensualité, elle y remédicit toujours, en les mangeant trop chauds on trop froids, ou en les délayant avec de l'eau, ou en y mêlant de la cendre, ou quelque autre poudre de mauvais goût, dont elle pertoit toujours provision avec elle. Elle mangeoit peu, et buvoit encore moins, et jamais que de l'eau qu'elle ne prenoit qu'une fois le jour, même dans les plus grandes chaleurs, et jamais assez pour éteucher sa soif, muis assez pour lirriter d'avantage. C'étoit toujours dans quelque posture pénible et mortifiante qu'elle prenoit ses repas; disons mieux, qu'elle passoit tous les moment de sa vie. Quelquefois prosternée en terre, ou se fatiguant à demeurer de bout, ou appuyée sur un seul pied, ou assise seulement à demi. Son lit ordinaire étoit la platte terre, avec un billot pour chevet; et elle regardoit comme une sensualité condamnable, si elle étoit obligée de coucher sur une paillasse avec un oreiller de paille. Sur ces lits de douleur, elle ne prenoit jamais qu'un sommeil très court qu'elle interrompoit toutes les nuits par de longues prières, auxquelles elle n'employoit jamais moins de deux heures, qu'elle passoit dans les postures les plus humbles et les

plus incommodes. Les grands froids de l'hiver ne l'interrompoient jamais dans de seinblables pratiques. Elle en soutenoit constamment les rigeurs, saus prendre contre les accidens qui auroient pu s'en suivre, que de très lé gères précautious, ne s'approchant jamais du feu en hiver, et supportant les incommodités de toutes les autres saisons, avec la même indifférence pour son propre corps.

Ce corps, qu'elle déchiroit souvent par de rudes disciplines, étoit deplus chargé d'instrumens de pénitence; et on ne décrit qu'avec une sainte horreur, ce bonnet hé rissé de pointes d'épingles au dedans, qu'elle portoit se crètement nuit et jour sur sa tête. Ayant été apperçue par hazard, on la conjura de l'ôter, et elle répondit en souriant, qu'il ne lui faisoit pas plus de mal qu'un oreiller de plume. Ayant été priée une autrefois par ses Sœurs, de modérer sa ferveur et ses austérités, pour se conserver à sa communauté, elle leur répondit par une instruction sur l'obligation du chrétien, de mener une vie austère et pénitente; instruction si forte et si pathétique, que ses Sœurs étonnées se trouvèrent toutes embrasées d'un désir ardent d'imiter son exemple: mais son directeur l'ayant enfin obligée de retrancher une partie de ses austérités, elle se soumit quant à l'extérieur: mais elle ne rabattit rien de ses mortifications intérieures, et elle continua de veiller, avec une égale attention, à la garde de ses sens, à combattre toutes ses inclinations naturelles,et à se tenir dans le recueillement, et dans la vue continuelle de la présence de Dieu.

Comme si toutes ces mortifications eussent été peu de chose, le Seigneur l'éprouva souvent par les croix les plus sensibles. Elle essuya l'incendie de sa communauté dont nous avons déjà parlé, et de plusieurs autres bâtimens de la campagne, qui arrivèrent à peu près dans le même temps. Elle perdit en peu de temps plusieurs de ses Sœurs, souvent les plus propres tant pour les écoles que pour les autres emplois de la maisons; et quelquefois par des accidens fâcheux en eux-mêmes, et dont elle ne se consoloit que dans la confiance que c'étoit des prémices et

des protectrices qu'elle envoyoit dans le Ciel. Un très grand nombre d'autres accidens domestiques, lui firent sentir la pesanteur du bras du Seigneur lors qu'il nous éprouve. Mais la plus terrible de toutes ces épreuves fut sans doute cette peine d'esprit que Dieu lui envoya en 1689, et dont il est temps de dire quelque chose.

Le tentateur jaloux de sa tranquilité et de sa soumission aux ordres de Dieu, au milieu des croix qui paroissoient se multiplier chaque jour, lui fit entendre par deux fois, (sans doute dans quelque illusion passagère) comme une voix qui lui annonçoit qu'elle étoit dans un état d'opposition avec Dieu et de damnation éternelle. Ces effroyantes paroles, cu plutôt cette affreuse idée, firent sur elle une si terrible impression, que pendant plus de trois ans que dura cette tentation, il ne lui fut pas possible d'en détourner son imagination. Elle y fut cepen. dant bien moins touchée de l'appréhension de ce qu'il y a de sensible dans les peines de l'enfer, que de la crainte de la haine de son Dieu, qu'elle aimoit en effet de tout son cœur. Elle eut beau multiplier ses prières, pour lesquelles elle n'avoit plus de goût, et ses austérités, dont elle sentoit une secrette horreur; se soumettre aveuglément à l'obéissance de ceux qui la conduisoient, pour qui elle se sentoit plutôt de l'opposition que de la confiance: rien n'étoit capable de la soulager: ce n'étoit pas une petite peine paur son confesseur, de la déterminer à la Ste. Communion, dont elle se croyoit positivement indigne, et dont elle s'éloigna souvent durant cette épreuve, pendant des temps très considérables. Que des personnes qui auroient passé par de semblables états, en conçoivent, s'il se peut, toute l'amertume; c'est à elles seules à en juger sainement.

Voici ce qu'on trouve à ce sujet, dans les mémoires de la Sœur. C'est le zèle dont elle étoit dévorée, comme autrefois le Prophête Elie, pour la gloire de Dieu et pour la plus grande perfection de sa communauté, qui faisoit tute sa peine, et qui la tint constamment sur la Croix. Elle y fut pendant environ quatre ans, comme on le croit ordinairement ; ou comme elle s'explique elle-même, pendant 50 mois. Ce fut pendant tout ce temps que

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