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voient presque été qu'entre les mains des Protestans, qui n'avoient cherché que des intérêts temporels. Aussi n'avoient-elles fait que languir, et l'on ne comptoit encore alors qu'une cinquantaine de personnes à Québec. Mr. de Lévi prit l'affaire un peu plus à cœur, surtout du côté de la Religion. Quelques Jésuites furent envoyés cette année, pour seconder le zéle des Pères Récollets : mais il étoit question d'exclure les Protestaus, dont il y avoit déjà un bon nombre. Mr. le Cardinal de Richelieu, alors ministre de France, sous la minorité de Louis Treize, y mit puissamment la main. Par un édit du mois de Mai, 1627, donné au camp devant la Rochelle, toutes les anciennes Compagnies de commerce de Canada furent entièrement cassées et supprimées,, et on leur en substitua une nouvelle, dont l'édit d'érection portoit expressément; que tous les colons servient François naturels et Catholiques; et que la Compagnie, ses frais, y fourniroit un nombre suffisant de Prêtres jusqu'à ce que le pays, par les défrichem.ens qu'on y feroit, fût en état de les faire subsister par ses dîines.

Sa Majesté accordoit aux associés le droit de concéder des terres dans toute l'étendue de la Nouvelle-France, en telle quantité, et à tels titres et conditions qu'ils jugeroient à propos. Elle leur attribuoit le commerce exclusif, surtout du castor, même vis à-vis des colons qui seroient obligés de le remettre dans les magazins de la Compagnie, au prix qui seroit réglé; à la charge pour la dite Compagnie de faire passer, pendant les dix premières années, au moins quinze cents François de l'un et de l'autre sexe, pour l'établissement du pays. Il fut permis à toute sorte de personnes, de quelque qualité qu'elles fussent, Ecclésiastiques, nobles, officiers,et autres, d'entrer dans la dite Compagnie, sans déroger aucune ment aux privilèges accordés à leur ordre. Pir. le Duc de Ventadour remit entre les mains du Ministre sa charge de Vice-Roi, et Mr. le Cardinal de Ri. chelieu, avec Mr. le Maréchal d'Effiat furent nommés les chefs de cette Compagnie. Plusieurs personnes de concondition, Ecclésiastiques et séculières, y entrèrent, et

le reste fut composé de plusieurs des plus riches et des plus habiles négotians du royaume. Mais, en 1628 et pendant que cette Compagnie se formoit en France, les Anglois s'étant emparés de Québec, l'effet de l'édit que nous venons d'extraire, fut suspendu pour quelque temps, et le Roi fut sur le point d'abandonner entièrement le Canada: il n'y eut que des motifs d'honneur et de religion qui l'engagèrent à le reclamer à la paix qui se fit à St. Germain en Laie, en 1632. Les nouveaux associés commencèrent alors à faire usage de leurs droits, Mr. de Champlain présenté au Roi par la Compagnie, reçut de sa Majesté une nouvelle commission, en qualité de Gouverneur de la NouvelleFrance. On fit un embarquement considérable, et plu. sieurs nouveaux missionnaires Jésuites vinrent travailler dans la moiston qui leur étoit ouverte. Les associés jugèrent que ces Pères seroient plus utiles à l'œuvre de Dieu, que les Récollets, qui ne trouvant pas le moyen dans un pays naissant, de vivre de leurs quêtes, prirent le parti de l'abandonner pour un temps, et ce ne fut qu'en 1670, la colonie étant alors bien plus peuplée, qu'ils y revinrent.

Mr. de Champlain mourut à Québec, en 1635; et cette année, les Jésuites commencèrent à y bâtir un Collège. L'année d'après, Mr. le Chevalier de . Montmagui succéda à Mr. de Champlain dans le gouvernement de Canada. La colonie commençoit à se peupler, par les envois qu'y faisoit la nouvelle Compagnie, et par la conversion de plusieurs Sauvages, dont on avoit déjà établi une mission à Sillery, près de Québec. Toute la France prenoit part au succès de l'entreprise, et on pensa de bonne heure à procurer aux nouveaux colons, tant François que Sauvages, un hôpital pour le soulagement des malades, et une école pour l'instruction des filles. Madame la Duchesse d'Aiguillon se chargea de la fondation de l'Hôtel-Dieu, qu'elle fit presque uniquement à ses frais,en envoyant pour cette effet des Religieuses Hospitalières, tirées d'un hôpital établi à Dieppe; et Madame de la Peileterie, jeune veuve de condition et

riche, se chargea de l'établissement des Ursulines, et vint elle-même se consacrer à cet ouvrage, secondée de la célèbre Soeur Marie de l'Incarnation, et de la Sœur Marie de Saint Joseph, qu'elle avoit tirées du monastère des Ursulines de Bourges. Toute cette pieuse recrue partit ensemble de Dieppe, en 1689, et arriva la même année à Québec. Cependant l'établissement du Canada languissoit encore. Les incursions presque continuelles des Sauvages Iroquois contre les nouveaux habitans de Québec, effrayoient et rebutoient tout le monde. Il fallut que la Providence y remédia, par une voie à laquelle on ne devoit pas naturellement s'attendre, qui dans son principe parut téméraire à la politique humaine, et peu proportionnée à sa fin; mais qui fut marquée au coin d'une Providence particulière, et peut-être tout à fait miraculeuse, au moins à bien des égards. Ce fut l'établissement de Montréal, qui mit comme une barrière aux incursions des Sauvages, et dont il faut parler présentement un peu plus en détail, en prenant les choses d'un peu plus baut.

Pendant que presque toute la France, les uns par des vues de politique, d'autres par des motifs d'intérêt, et quelques uns par des sentimens d'un vrai zèle pour le bien de la Religion, et pour la conversion des Sauvages, sembloit prendre part à l'établissement du Canada: le Seigneur se préparoit un grand nombre de personnes zèléas et vertueuses qui ne devoient avoir à cœur que les intérêts de sa gloire. Le premier à qui il plut à Dieu de manifester ses desseins à ce sujet, fat Jérôme le Royer, Ecuyer, Sieur de la Dauversière, Receveur Général des domaines du Roi à la Flêche en Arjou. Ce Seigneur étoit un homme d'une piété éminente, et surtout singulièrement dévot envers la Sainte Vierge. Il paroit que Dieu l'avoit spécialement choisi pour l'exécution de ses desseins dans l'œuvre que nous allons rapporter, et que Marie elie-même lui avoit manifesté les moyens qu'il devoit mettre en usage pour la faire réussir; et il fut d'un grand secours dans la suite à la Sœur Bourgeois pour l'établis sement de sa Congrégation. Il n'étoit jamais venu en Canada, et sans avoir jamais vu l'isle de Montréal, il

en avoit une connoissance comme surnaturelle, et plus parfaite que nous ne l'avons même aujourd'hui. C'étoit une image qui ne l'abandonnoit pas, et il se sentit finspiré d'obtenir du Roi la propriété de cette isle pour la consaerer spécialement à la mère de Dieu,

et y bâtir une ville, qui sous le nom de Ville-Marie, seroit le centre de toutes les entreprises que l'on pourroit faire à l'avenir, pour la propagation de l'Evangile parmi les Sauvages, et pour l'intérêt de la gloire de Dieu. Mais Comme il comprit aisément qu'il ne pouvoit pas exécuter par lui seul ce grand projet, il forma le plan d'une nouvelle compagnie, qui auroit pour principal objet, non des vues d'intérêt et de commerce, comme toutes celles qui s'étoient formées jusqu'alors; mais le seul zèle de la gloire de Dieu, pour la conservation de la foi en Amérique, et la conversion des Sauvages à la véritable religion.

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Plein de ces idées, Mr. de la Dauversière se rendit à Paris, pour trouver quelque moyen de les exécuter. en conféra avec plusieurs personnes de distinction et de mérite mais comme il est ordinaire dans toutes les œuvres de Dieu, il y trouva tant de difficulté et d'opposition, qu'une personne moins touchée que lui de la gloire de Dieu, et moins fidèle aux impressions de la grâce, se seroit certainement rebutée. Mr. le Cardinal de Richelieu luimême, cet homme si éclairé dans les vues de la politique humaine, à qui en parla de ce projet, le traita de chimé rique et plein d'imprudence et de témérité. Cependant, sans se rebuter, Mr. de la Dauversière eut recours à Mr. Ollier, qui fut dans la suite instituteur du Séminaire de Saint-Sulpice, et qui alors étoit tout occupé des moyens de faire réussir cette grande entreprise. Ce grand serviteur de Dieu, se prêtoit volontiers à toutes les bonnes œuvres, et lorsqu'il étoit question de la gloire de la très Sainte Vierge, sa confiance en Marie lui faisoit tout entreprendre. On ne douta pas dans la suite qu'il n'eût eu quelque pressentiment sur le succès de celle-ci, Quoiqu'il en soit, il approuva fort le dessein de Mr. la Dauversière, et -s'unit dès lors à ses travaux, en disposant de son côté un grand nombre de personnes pieuses et de distinction, à

prendre part à cette bonne œuvre, pendant que Mr. de la Dauversière faisoit les démarches extérieures pour assurer à la Compagnie qu'il projettoit, la propriété de l'isle de Montréal. Il en obtint en effet en 1636, une ample concession de la part de Mr. Jean de Lauson, Conseiller du Roi, en ses Conseils de Finance, et Intendant de la grande Compagnie de la Nouvelle-France, tant en son propre nom, qu'en celui de Mr. Pierre Chevrier, Prêtre, Ecuyer Sieur de Fancamp, son ami particulier, et leurs associés présens et à venir en la Compagnie qui se formoit pour la propagation de la foi et la conversion des Sauvages à Montréal. Mr. de Lauson lui-même voulut bien dès lors s'associer à la dite Compagnie, à laquelle en effet il rendit de très grands services; car ce fut par ses soins et par sa protection, que Mr. le Cardinal de Richelieu, qui avoit d'abord paru très opposé à cette entreprise, commença à la goûter, et lui obtint même l'approbation du Roi, et une ample confirmation et ratification de la concession de l'isle de Montréal qui avoit été faite ci-devant à la Compagnie.

Munis de ces pièces, et sous la protection de son Eminence, Messieurs de Fancamp et de la Dauversière, et un grand nombre d'autres personnes, dont ils avoient la parole, ne tardèrent pas à se déclarer, et à s'annoncer sous le titre de Compagnie de Montréal, pour la conversion des Sauvages, et le soutien de la Religion Catholique Romaine en Canada: c'étoit le seul but qu'on se proposoit dès lors. Ce ne fut donc pas entre ces associés, comme on le voyoit ailleurs, à qui tireroit le plus de profit temporel de cet établissement; mais à qui y contribueroit plus abondamment; et personne ne le fit avec plus de largesse que Mr. Alexandre le Ragois de Bretonvilliers, Prêtre de la communauté de St. Sulpice, alors naissante, et qui en fut bientôt le second Supérieur. Fils de ministre d'Etat, c'étoit de tous les Ecclésiastiques de France, l'un des plus riches en bien de patrimoine, dontil sacrifia la plus grande partie à cette bonne œuvre. Il fut secondé à l'envi par un grand nombre de personnes puissantes: tous les membres de la nouvelle compagnie,

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