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ALCESTE.

Non, il m'eft impoffible.

CÉLIMEN E.

Hé bien, allez, fortez; il vous est tout loifible.

SCENE V.

ÉLIANTE, PHILINTE, ACASTE, CLITANDRE, ALCESTE, CELIMENE, BASQUE.

ELIANTE, à Célimene.

Vorer les deux Marquis qui montent avec nous.

Vous l'elt-on venu dire?

CELIMENE.

Oui.

(A Bafque.)

Des fieges pour tous.

(Bafque donne des fieges & fort.)

(A Alceste.)

Vous n'êtes pas forti?

ALCESTE.

Non: mais je veux, Madame,

Ou pour eux, ou pour moi, faire expliquer votre

ame.

Taifez-vous.

CELIMENE.

ALCESTE.

Aujourd'hui, vous vous expliquerez.

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Non. Mais vous choisirez ; c'est trop de patience.
CLITAN DRE.

Parbleu ! je viens du Louvre, où Cléonte, au levé,
Madame, a bien paru ridicule achevé.

N'a-t-il point quelque ami qui pût, fur ces manieres, D'un charitable avis lui prêter les lumieres?

CÉLIMENE.

Dans le monde, à vrai dire, il fe barbouille fort;
Par-tout il porte un air qui faute aux yeux d'abord;
Et lorfqu'on le revoit après un peu d'absence,
On le retrouve encor plus plein d'extravagance.

A CASTE.

Parbleu s'il faut parler des gens extravagans,
Je viens d'en effuyer un des plus fatigans;
Damon le raifonneur, qui m'a, ne vous déplaife,
Une heure, au grand foleil, tenu hors de ma chaife.
CÉLIMENE.

C'est un parleur étrange, & qui trouve toujours
L'art de ne vous rien dire avec de grands difcours :
Dans les propos qu'il tient on ne voit jamais goutte;
Et ce n'eft que du bruit, que tout ce qu'on écoute;

ELIANTE, à Philinte.

Ce début n'est pas mal; &, contre le prochain; La converfation prend un affez bon train.

CLITAN DRE.

Timante encor, Madame, eft un bon caractere.
CÉLIMEN E.

C'eft, de la tête aux pieds, un homme tout mystere,
Qui vous jette, en paffant, un coup-d'œil égaré,
Et, fans aucune affaire, eft toujours affairé.
Tout ce qu'il vous débite, en grimaces abonde;
A force de façons, il affomme le monde;
Sans ceffe il a, tout bas, pour rompre l'entretien,
Un fecret à vous dire, & ce fecret n'eft rien;
De la moindre vétille il fait une merveille;
Et jufques au bon jour, il dit tout à l'oreille.

ACAST E.

Et Géralde, Madame ?

CELIMENE.

O l'ennuyeux conteur ! Jamais on ne le voit fortir du grand Seigneur. Dans le brillant commerce il fe mêle fans ceffe, Et ne cite jamais que Duc, Prince ou Princeffe. La qualité l'entête; & tous fes entretiens Ne font que de chevaux, d'équipage & de chiens: Il tutaie, en parlant, ceux du plus haut étage, Et le nom de Monfieur eft chez lui hors d'usage. CLITANDRE.

On dit qu'avec Bélife il eft du dernier bien.

CELIMENE.

Le pauvre efprit de femme, & le fec entretien ! Lorfqu'elle vient me voir, je fouffre le martyre; Il faut fuer fans ceffe à chercher que lui dire ;

Et

Et la ftérilité de fon expreffion

Fait mourir à tous coups la conversation.
En vain, pour attaquer fon ftupide filence,
De tous les lieux communs vous prenez l'affiftance;
Le beau tems & la pluie, & le froid & le chaud,
Sont des fonds qu'avec elle on épuise bientôt.
Cependant fa vifite, affez infupportable,
Traîne en une longueur encore épouvantable;
Et l'on demande l'heure, & l'on bâille vingt fois,
Qu'elle s'émeut autant qu'une piece de bois.

ACASTE.

Que vous femble d'Adrafte?

CÉLIMENE.

Ah! quel orgueil extrême !

C'est un homme gonflé de l'amour de foi-même :
Son mérite jamais n'eft content de la Cour ;
Contre elle il fait métier de pefter chaque jour;
Et l'on ne donne emploi, charge, ni bénéfice,
Qu'à tout ce qu'il se croit on ne fasse injustice.
CLITANDRE.

Mais le jeune Cléon, chez qui vont aujourd'hui
Nos plus honnêtes gens, que dices-vous de lui?

CELIMENE.

Que de fon cuifinier il s'eft fait un mérite,
Et que c'eft à fa table à qui l'on rend vifite.

ELIANTE.

Il prend foin d'y fervir des mets fort délicats.

CELIMEN E.

Oui, mais je voudrois bien qu'il ne s'y fervît pas : C'est un fort méchant plat que fa fotte perfonne, Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu'il donne, Tome IV.

D

PHILINTE.

On fait affez de cas de fon oncle Damis:

Qu'en dites-vous, Madame ?

CLLIMEN E.

Il eft de mes amis.

PHILINT E.

Je le trouve honnête homme, & d'un air affez

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Oui; mais il veut avoir trop d'efprit, dont j'enrage.
11 eft guindé fans ceffe; & dans tous les propos
On voit qu'il fe travaille à dire de bons mots.
Depuis que dans la tête il s'eft mis d'être habile,
Rien ne touche fon goût, tant il eft difficile:
Il veut voir des défauts à tout ce qu'on écrit,
Et penfe que louer n'eft pas d'un bel-efprit;
Que c'est être favant, que trouver à redire;
Qu'il n'appartient qu'aux fots d'admirer & de rire ;
Et qu'en n'approuvant rien des ouvrages du tems,
Il fe met au-deffus de tous les autres gens :
Aux converfations même il trouve à reprendre ;
Ce font propos trop bas pour y daigner defcendre;
Et, les deux bras croifés, du haut de fon efprit,
Il regarde en pitié tout ce que chacun dit.

ACAST E.

Dieu me damne! voilà fon portrait véritable.
CLITANDRE, à Célimene.

Pour bien peindre les gens, vous êtes admirable.

ALCESTE.

Allons, ferme, poulez, mes bons amis de Cour; Vous n'en épargnez point, & chacun a fon tour: Cependant aucun d'eux à vos yeux ne fe montre,

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