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déré, et que, lorsque j'avais paru balancer sur son inscription, il m'avait demandé si je voulais le déshonorer ; que touts les parents de ces jeunes gens me faisaient cette même demande. J'insistais d'ailleurs sur ce que touts ceux qui se présentaient ainsi, et que je recevais, étaient forts, pleins de santé, marchaient avec allégresse, seraient promptement instruits, seraient utiles à l'Etat et à eux-mêmes, puisqu'ils pourraient espérer de l'avancement. Je reçus de nouvelles et fortes observations; je persistai, et on me laissa tranquille. Une conduite contraire était à mes yeux une violation de la loi, des droits acquis par les familles, et une injustice révoltante. J'aurais donné ma démission, plutôt que d'obéir à de pareils ordres.

On forma le second de ces corps à Metz. L'officier-général baron Lepic, sorti de la garde impériale, fut chargé de l'organiser. Il remarqua la différence de mon choix et de celui de plusieurs autres départements. Il en instruisit le ministre; il lui dit que, dans un de ces détachements envoyés de l'intérieur, il n'avait pas trouvé un seul homme capable de donner un coup de sabre. Cette opération fut pénible, par mes rapports avec le ministre. Je consentais sincèrement à servir un gouvernement ferme et vigoureux; mais

je n'aurais jamais obéi à un ordre injuste. Or, quoi de plus injuste que de contraindre arbitrairement à servir des jeunes gens qui avaient satisfait à tout ce que les lois prescrivaient, et qui la plupart étaient d'une constitution faible qui les aurait condamnés à périr!

J'eus deux autres occasions de me conduire avec la fermeté d'un honnête homme qui sert un gouvernement, mais qui n'en est pas l'esclave. Je reçus tout à coup du ministre de la police l'ordre de faire arrêter M. de Tschudy, ancien maréchal-de-camp au service du roi de Naples. Il vivait dans une solitude agréable, où il avait, à l'exemple de son père, cultivé les arbres et les arbustes étrangers qui pouvaient s'acclimater en France. La lettre du ministre l'accusait d'avoir fait fusiller un grand nombre de Français dans l'île de Caprée, après l'évacuation du royaume de Naples. J'étais bien sûr d'avance que c'était une fausse accusation. Je priai le secrétaire-général et le commandant de la gendarmerie d'aller à sa maison de campagne, et de lui dire l'ordre que j'avais reçu, en l'invitant à se rendre à la préfecture. Ils revinrent peu d'instants après, et me dirent qu'il était parti pour Metz. J'envoyai à sa maison de la ville; il venait de la quitter; il avait pris des chevaux de

poste; il avait annoncé qu'il allait à la terre de sa sœur, sur les frontières de la Suisse. Je vis rapidement les conséquences de ce voyage, commencé le jour même où je recevais l'ordre de le faire arrêter. Il paraîtrait coupable de la chose dont on l'accusait, puisqu'il prenait la fuite; et peut-être qu'averti ensuite de cet ordre, il ferait la faute, très-grave pour ses intérêts, de passer en Suisse. Je paraîtrais aussi l'avoir fait prévenir de l'ordre qui le menaçait, et je perdrais tout moyen de lui être utile. J'estimais beaucoup M. de Tschudy; je devais beaucoup de considération à sa famille. Proscrit cinq fois, j'avais toujours trouvé des secours généreux; j'étais bien déterminé à être envers les autres ce qu'on avait été envers moi. Je réfléchis profondément sur le parti que je devais prendre; toutes mes pensées furent dominées par celle-ci si je le fais arrêter, je deviendrai le maître de son affaire; car bien certainement il n'est pas coupable des meurtres dont on l'accuse. Je ne balançai plus; j'ordonnai à un officier de gendarmerie de prendre la poste, et de courir sur la route qu'il avait prise. L'officier l'atteignit à une poste où il n'avait pas trouvé de chevaux, et lui remit une lettre que je lui écrivais. Après l'avoir lue, M. de Tschudy lui dit : « Je me remets avec con

:

fiance entre les mains de M. de Vaublanc. »

me

Lorsque je donnai cet ordre, une personne qui m'était chère était dans mon cabinet. Elle s'écria: «Comment! vous le faites arrêter! Qui, répondis-je, pour lui être utile: si l'on peut le joindre, je suis le maître absolu de son affaire; elle finira promptement. » Je fis avertir et tranquilliser Mme de Tschudy. Elle m'envoya, le lendemain, un certificat du médecin sur la faible santé de son mari. Je l'autorisai à rester chez lui, et je lui demandai un Mémoire justificatif. Me de Tschudy me l'apporta. Je fus convaincu de l'innocence de son mari; mais je trouvai le Mémoire écrit trop faiblement. J'en rédigeai un autre, dans lequel je le faisais parler du ton d'un honnête homme indigné. Je le remis à Mme de Tschudy, en lui disant de le faire copier par son mari, et de me l'envoyer. J'ajoutai : « Je passe un peu les bornes de mon devoir; mais j'y suis autorisé par l'horreur d'une accusation si atroce. » Le lendemain, j'envoyai le Mémoire au ministre, et je l'accompagnai d'une longue lettre justificative, dans laquelle je peignais l'accusé comme un homme incapable, sous touts les rapports, de se porter à de pareils excès. On me répondit qu'on avait écrit à Naples pour prendre des informations: comme elles pouvaient tarder long

temps, j'autorisai M. de Tschudy à rester à sa maison de campagne, en ayant auprès de lui un homme de la garde départementale. Lorsque les informations arrivèrent, il fut prouvé que l'accusation était une infâme calomnie qui n'était fondée sur aucune apparence, et qui malheureusement était venue du département qu'il habitait. Je fus heureux d'avoir pris rapidement mon parti dans une affaire si délicate. L'hésitation pouvait perdre M. de Tschudy.

Quelque temps après, je reçus l'ordre de faire arrêter M. de Fouquet. On l'accusait d'avoir tenu des propos outrageants pour l'armée. Après la lecture d'un bulletin, arrivé le jour même, et lu sur le théâtre, il s'était écrié, disait-on, que le récit qu'on venait d'entendre était faux; que des Français en si petit nombre ne pouvaient pas avoir battu des Russes, beaucoup plus nombreux. Je pris des informations, et j'appris avec certitude que M. de Fouquet n'avait point paru au spectacle ce jour-là; qu'il n'était pas même à Metz. Cette affaire était bien différente de celle de M. Tschudy. Dans la seconde, j'avais une certitude entière. Je n'hésitai pas à déclarer au ministre que je ne pouvais faire arrêter un homme dont l'innocence était évidente; que cette injustice frapperait touts les yeux, et rejaillirait sur le gouvernement et sur

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