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moi; que le

si M. de Fouquet avait tenui hautement dont on l'accusait, d'autres personnes propos seraient encore plus coupables que lui; qu'il fallait accuser le capitaine de la gendarmerie, le commissaire de police, le chef de l'état-major, le maire de la ville, qui touts étaient présents, n'avaient point parlé de ces discours dans leurs rapports, et qui, interrogés par moi, persistaient à dire que M. de Fouquet n'était pas au spectacle. J'ajoutais que le secrétaire-général, M. de Viville, m'avait dit qu'un habitant des environs de Metz avait effectivement, dans un état d'ivresse, tenu des propos un peu semblables à ceux dont on accusait M. de Fouquet, et que lui, M. de Viville, lui avait dit : « Vous avez raison, et l'armée fran<< çaise va se trouver dans une terrible position;. « le roi de Suède envoie trente mille Lapons au << secours des Russes. » Un instant après, on avait forcé cet ivrogne à sortir de la salle. Tout cela portait bien le caractère de la vérité; le ministre en convenait un peu dans sa réponse; mais il ajoutait qu'il fallait absolument faire arrêter M. de Fouquet. Je persistai dans une seconde lettre; je soutins que je ne pouvais exécuter un ordre aussi contraire à l'équité; et je priai le ministre d'adresser lui-même, au capitaine de la gendarmerie, l'ordre qu'il jugeait indispensable. Il m'en

voya l'ordre qu'il donnait à ce capitaine, et ne me fit aucun reproche. Quelque temps après, dans un voyage à Paris, j'appris du ministre même, qu'un général passant par Metz, pour aller rejoindre l'armée, avait entendu ce conte ridicule dans son auberge, l'avait débité à l'empereur, qui lui-même avait donné l'ordre d'arrêter M. de Fouquet. C'était par cette raison que le ministre n'avait pu révoquer cet ordre, quoique ma correspondance l'eût convaincu de la fausseté du récit. Il voulut que l'ordre fût exécuté d'abord; il fit ensuite un rapport, d'après lequel M. de Fouquet fut mis en liberté.

Ces ordres arbitraires étaient la partie la plus cruelle de mon administration; mais je trouvais une vraie jouissance dans la manière dont je les exécutais. J'eus la même conduite, quand je çus l'ordre de faire arrêter M. l'abbé de Tournefort, qui depuis fut nommé évêqué par Louis XVIII. Je craignais qu'il ne se fût compromis par quelque correspondance imprudente. Outre l'estime particulière que m'avait inspirée M. l'abbé de Tournefort, je sçavais combien nous avions besoin de conserver les anciens ecclésiastiques. Je pris toutes les précautions possibles pour le mettre à l'abri de soupçons qui auraient pu lui être fu

nestes, et je donnai l'ordre de le transférer à Pa

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ris, mais dans une bonne voiture, et en poste, accompagné d'un officier de gendarmerie, à qui je recommandai les procédés les plus délicats. Je le chargeai d'une lettre pour le ministre; j'eus le bonheur de porter la conviction dans son esprit, et ce vertueux ecclésiastique fut mis promptement en liberté. Depuis cet évènement, j'ai eu le plaisir d'en causer souvent avec lui.

Dans ces fonctions de la haute police, exercées loyalement et avec une sorte de courage, un préfet trouvait souvent l'occasion de se féliciter de ses fonctions, en se disant qu'un autre, peutêtre, les remplirait différemment, et que, dans quelque position qu'on soit placé, on satisfait à sa conscience en faisant tout le bien qu'on peut faire, en évitant le mal, et, surtout, en refusant de le faire..

On m'amena un jour un jeune homme qui n'avait point de passeport; il était dans une grande agitation. J'eus beaucoup de peine à le tranquilliser. J'obtins cependant sa confiance. Emigré rentré, mais n'ayant rien fait pour se mettre en règle, il se croyait encore au temps de la terreur; il errait dans les provinces frontières; il avait épuisé ses ressources; il était sans argent; mais il avait des parents à Paris. Je le plaçai dans un hospice; j'arrangeai aisément son affaire, et,

avec un léger secours, je le rendis à ses parents. Le désir et le devoir d'être juste m'imposent ici la loi d'ajouter que M. Fouché, ministre de la police, M. Savary, qui lui succéda, et M. Réal, chargé des provinces dans lesquelles était compris mon département, ont toujours mis dans leur correspondance avec moi, autant de confiance dans mes rapports, que de modération envers les personnes accusées, ou suspectes au gouvernement. Je n'eus à leur reprocher ni injustice, ni persécution. Les ordres qu'ils donnaient étaient promptement adoucis, d'après mes rapports; et si je ne craignais pas de me compromettre par de fortes représentations, ils ne craignaient pas non plus de se compromettre, en se rendant à mes raisons et à mes demandes..

Bientôt après les affaires dont j'ai parlé, j'eus une occasion différente d'exercer ces fonctions de la haute police. Un homme se présenta, comme étranger, pour faire viser son passeport; il était Italien. Je l'interrogeai; j'aperçus de l'embarras dans ses réponses, autant que dans sa figure. Il cherchait à justifier cet embarras par la difficulté de s'exprimer en français; mais je détruisis cette petite finesse, en l'interrogeant dans sa langue. Je fis venir, un officier de gendarmerie. On trouva sur lui des papiers écrits en style énigmatique.

Je l'interrogeai sur ses papiers; son embarras fut bien plus grand encore. Je vis dans un de ses papiers, malgré l'obscurité de l'expression italienne, que des lettres lui étaient adressées à Thionville, poste restante. Elles furent envoyées à Paris. Le ministre m'écrivit que cet homme était un chef des carbonaris; qu'il était non seulement initié dans des intrigues politiques, mais qu'il avait commis des crimes; qu'on le cherchait depuis long-temps, et qu'il avait échappé à toutes les poursuites dirigées contre lui. Il donna l'ordre de l'envoyer à Milan, où il devait être livré aux tribunaux. Je fus étonné qu'un homme assez imprudent pour garder sur lui des lettres énigmatiques, fût un chef de bande, renommé et dangereux. Dès le premier instant que je le vis, j'aperçus de l'inquiétude dans ses traits. Ses papiers indiquaient le projet de bâtir une église en Italie; mais la description de cette église, et les moyens qu'on voulait employer pour la bâtir, me firent voir clairement que cette église était une association contre touts les gouvernements monarchiques, et l'établissement d'une république universelle. D'autres parties de ce plan annonçaient qu'il fallait employer toute espèce de moyens pour parvenir au succès. Longues années après je retrouvai, dans le beau réquisitoire de

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