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ce qui dépendait de son commerce particulier, mais encore toutes les différentes parties du commerce de l'Italie. J'avais toujours été le défenseur de nos colonies, et je ne manquai pas dè l'interroger sur l'origine, la valeur et le transport du sucre qui se consomme en Italie. Je remarquais que, dans les cafés, les auberges, et dans presque toutes les maisons, on sert un sucre blond, en poudre : il m'apprit que ce sucre arrivait les par ports francs de Gênes, de Trieste et de Livourne, et qu'il ne payait, en entrant, que des droits très-faibles, d'où venait la modicité du prix; tandis qu'en France, des droits exorbitants y rendent le sucre très-cher, et l'empêchent de pénétrer dans d'autres contrées.

Les Anglais et les Américains apportaient aussi en Italie des sucres de la Jamaïque, de la Havane, du Brésil, et des Indes directement: ce négociant s'étendit beaucoup sur ce genre de commerce; et tout ce qu'il me dit me fut ensuite confirmé dans un séjour que je fis à Livourne, cette même année.

Toutes ces notions me servirent long-temps après, en 1828, pour réfuter des assertions erronées sur nos colonies, et les défendre contre la mode introduite dans nos assemblées, d'attaquer sans cesse les colonies, sans les connaître, avec

un ̈acharnement qu'on croirait inspiré par les intérêts de nos rivaux, si l'on ne connaissait pas la profonde ignorance qui toujours a jeté nos assemblées dans un incurable aveuglement sur les intérêts de notre commerce maritime.

Nous étions logés, Pastoret et moi, dans la même maison. Au premier étagé étaient le marquis de *** et sa femme: ils étaient du Milanais, et avaient la réputation d'être fort riches. Nous remarquâmes qu'ils ne faisaient point de feu dans leur chambre. L'hiver était très-froid. Le marquis grelottait sous un ample manteau; la marquise, jolie femme, tenait un scaldino, dans lequel il y avait de la braise: elle chauffait ainsi et noircissait ses mains. Nous exprimâmes notre étonnement de voir ses mains sales et noires, et nous lui dîmes qu'une jolie Française se garderait bien de les noircir ainsi. A ces mots, le mari et la femme nous accablèrent de raisonnements pour nous prouver que rien n'était plus malsain que de faire du feu dans son appartement. Mais, malgré cette profonde conviction, le marquis ne manquait pas de venir très-souvent se chauffer à notre cheminée. Lorsque nous revenions de dîner, il entendait le bruit de nos pas, et montait au second. Nous remarquions qu'il prenait beaucoup de plaisir à se chauffer, à

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prendre les pincettes, à ranimer le feu, en nous débitant des systèmes de physique à sa mode. Nous jugeâmes qué l'économie seule lui inspirait les raisonnements par lesquels il voulait nous prouver que le feu d'une cheminée est très-malsain. Fatigués de ses visites et de sa physique, nous rentrions, après dîner, bien doucement, sur la plante des pieds, afin de ne pas l'avertir de

notre retour.

Nous parlions de cette économie à un Français, résident depuis plusieurs années à Florence : il nous dit que, la veille, il s'était trouvé à une réunion chez une comtesse; qu'elle avait fait venir une glace pour elle seule, et s'était délectée à la prendre devant les personnes de sa société, san's que cela leur parût extraordinaire.

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J'allais souvent visiter la galerie de Florence. J'admirai les ouvrages des grands maîtres. Les tableaux vraiment beaux me parurent en petit nombre. Je remarquai un tableau singulier : c'était une tête coiffée d'un bonnet de velours à poil. L'artiste avait peint la chair avec une telle exactitude, que plus on s'approchait du tableau, plus on était étonné de la parfaite imitation. On distinguait les poils de la barbe nouvellement rasée; les yeux étaient d'une transparence humide; on remarquait les pores de la peau. Je ne peux

le

mieux donner une idée de cet ouvrage, qu'en disant qu'il semblait qu'une peau humaine avait été collée sur ce tableau. Plusieurs personnes regardaient en poussant des cris d'étonnement: le chevalier de Pulci, directeur du Musée, passait dans ce moment; il s'approcha du groupe d'admirateurs, et leur dit : « Cet ouvrage est très-curieux; mais il ne faut pas l'admirer comme peinture. C'est une mauvaise manière de peindre. » Il étonna ceux auxquels il parlait; mais il avait raison.

Les artistes, ainsi que les personnes qui ont réfléchi sur les arts, sçavent que l'imitation entière et minutieuse de la figure humaine produit un sentiment pénible; tandis qu'une statue de marbre, de bronze, ou un simple dessin peut vous transporter d'admiration. Il en est de même dans touts les arts. La tragédie et la comédie peuvent révolter un esprit judicieux par une trop forte imitation. Connaître les bornes des arts est peut-être la première science d'un artiste : ces bornes sont posées même par l'imagination du spectateur. Si je vois un tableau. représentant une belle femme bien peinte, je l'admirerai. Qu'on me dise que c'est Vénus, je serai moins satisfait, parce que je deviendrai plus difficile: mon imagination ira bien au-delà de ce que je

vois. Regardez la plus belle tête de vieillard, d'une nature élevée et majestueuse; vous l'admirez. Mais si le sujet du tableau vous dit que c'est Dieu, vous ne serez guère satisfait.

Nous vîmes, avec beaucoup de curiosité, les portraits des peintres les plus célèbres, peints par eux-mêmes. Ils sont rassemblés dans une grande salle. Nous remarquâmes celui d'une électrice de Saxe, peint par elle, et surtout le portrait de la célèbre Angelica Kaufmann. Elle fut d'abord une grande musicienne, et préféra ensuite la peinture à la musique. Nous la vîmes à Rome, peu de mois après, et nous admirâmes la grâce particulière des tableaux qu'elle nous montra dans son atelier.

Le Florentin qui nous faisait voir cette salle de portraits, nous fit remarquer que ceux du règne de Louis XIV avaient des figures et des attitudes nobles; mais qu'il n'en était pas de même de ceux du règne de Louis XV. Son observation nous parut très-juste. Cela provenait, peut-être, des costumes et des coiffures. Rien de plus ridicule, sans doute, que de s'affubler la tête d'une énorme perruque; mais elle ne détruit point la noblesse de la physionomie. Un homme peut avoir une prodigieuse quantité de cheveux; et s'il les laisse dans toute leur longueur, la grande perruque leur ressemblera un peu; mais en parta

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