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M. de Marchangy, des passages sur la secte des carbonaris, qui me rappelèrent l'homme dont je parle, et ses papiers.

Dans le même temps, à peu près, des prêtres prêchaient ouvertement contre le pape et contre les évêques, dans le département des Forêts, qui faisait alors partie du diocèse de Metz. J'écrivis une circulaire pour les empêcher de pénétrer dans mon département : ils n'y parurent pas; mais ils portèrent le trouble dans le duché de Luxembourg. On les appelait stévénistes, du nom de Steven, prêtre du diocèse de Namur, dont ils suivaient les principes. Bonaparte, voyant que les autorités civiles et la gendarmerie ne pouvaient empêcher les prédications des stévénistes dans le Luxembourg, chargea M. l'évêque de Metz de les combattre avec les mêmes armes, et d'envoyer une mission dans ce pays. Ce prélat en confia la direction au Père Elie, ancien petit carme de Metz, à qui je fis remettre 2000 fr., par ordre du gouvernement.

Long-temps après, au mois de décembre 1829, le Constitutionnel fit de ces circonstances un récit entièrement faux, dans lequel il prétendait que j'avais persécuté des missionnaires. J'en démontrai la fausseté par un article inséré dans la Quotidienne. J'y rétablissais la vérité des faits,

et j'ajoutais que ces prêtres n'étaient point des missionnaires; que le vrai caractère d'un missionnaire est d'être autorisé par l'autorité civile et religieuse; que je protégeais, par ordre du gouvernement, les bons missionnaires, et que j'empêchais d'ignorants fanatiques d'alarmer les consciences par des prédications dangereuses. Je terminais cet article par ces mots : « Si j'avais << reçu l'ordre de persécuter des prêtres religieux «et utiles, j'aurais désobéi, comme j'ai refusé « deux fois d'obéir à des ordres évidemment in<«<justes; j'aurais quitté ma place avec honneur, «< comme je suis sorti d'un ministère, dont la << marche n'était pas conforme à mes principes, «et sans avoir rien fait qui tendît uniquement à « conserver ma place. »

Une chose singulière se renouvelait souvent à Metz. Je recevais des lettres anonymes, qui renfermaient des calomnies contre les fonctionnaires publics, et même contre des femmes. J'en parlai à M. le sénateur Eymerie, qui était de Metz, et habitait une maison de campagne aux environs. Il me cita plusieurs anecdotes, qui me firent espérer d'en découvrir les auteurs. Je reçus une de ces lettres, dont je fus très-frappé, à cause de l'extrême méchanceté qui l'avait inspirée. L'écriture ne paraissait pas contrefaite. Je la gardai

plusieurs années; et toutes les fois que je voyais une écriture qui me rappelait cette lettre, je la confrontais avec celle qui m'offrait quelque ressemblance dans l'écriture. Une jeune personne, non mariée, me présenta un jour pour son père une pétition dont l'écriture me frappa. Je lui demandai si elle l'avait écrite. D'après sa réponse affirmative, je pris dans mon bureau la lettre gardée si long-temps; je confrontai les deux écritures, et je n'eus aucun doute. Je la présentai à cette personne, et je l'interrogeai. Elle hésita d'abord; mais accablée bientôt par mes questions, elle s'avoua l'auteur de la lettre, et perdit presque connaissance. Je lui reprochai son indignité, en lui remettant la lettre accusatrice.

Dans une de mes tournées, j'allai à Luxembourg: j'étais curieux de voir cette forteresse. Je vis auprès de cette ville une cérémonie annuelle très-singulière. On raconte dans ces contrées qu'au quatorzième siècle, touts les troupeaux furent saisis d'un désir violent de danser ; qu'ils se mirent à sauter et danser jusqu'à perdre leurs forces, et mourir. On invoqua un saint, qui fit cesser cette maladie. Depuis ce temps, afin que les animaux ne se mettent plus à danser, les hommes, et surtout les femmes, dansent un certain jour de l'année. Le clergé arrive, en chan

tant des psaumes, dans le lieu destiné à la cérémonie. Les danseurs parcourent plusieurs fois une certaine enceinte, en avançant de trois pas et reculant d'un pas, toujours sautant. C'était au mois de juin; la chaleur était très-forte. Les danseurs furent bientôt en nage; des femmes, épuisées de fatigues, haletantes, continuaient ce pieux exercice, buvaient de l'eau fraîche qu'on leur offrait, et sautaient encore en avant, puis en arrière, jusqu'à l'extinction totale de leurs forces. La nuit se passait sous des tentes et dans les plaisirs, et l'on se quittait, bien convaincu que les troupeaux ne danseraient point cette année.

CHAPITRE III.

Des statistiques. Entretien avec Napoléon sur les poids et mesureș. Observations sur le nouveau système. Discours de Napoléon sur l'autorité civile et le pouvoir militaire. Son génie pour l'administration. De grandes choses conçues par lui, n'ont pas été ce qu'elles devaient être, parce qu'il ne pouvait en diriger l'exécution.

L'ADMINISTRATION fut dénaturée par ce genre de charlatanisme qui couvrait du nom de science les choses les plus simples et les plus communes. C'est une des maladies contagieuses du siècle des lumières; et l'on sçait, plus que jamais, que les maladies de l'esprit sont incurables, et sont plus contagieuses que celles du corps. Celle dont je

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