Images de page
PDF
ePub

à la toise, aux pieds, pouces et lignes, ces mesures étaient généralement pratiquées en France. Il en était de même de l'aune et de ses divisions; il ne fallait donc que choisir une mesure de capacité, de poids et d'arpentage. Celles de Paris étaient connues dans toute la France; la pratique aurait été facile. Il me semble que rien n'était plus aisé que d'établir l'uniformité, en prescrivant des poids et des mesures déjà connus, et en prenant des précautions pour que les étalons fussent conservés. Ces réflexions furent présentées et soutenues par Napoléon, dans le conseil d'Etat, où il fit discuter cette matière devant lui; il y revenait souvent dans l'entretien que j'eus avec lui.

Mais cette marche était trop simple; elle ne convenait pas à des esprits qui veulent absolument tout changer, jusqu'aux dénominations. Il fallut créer un système, et mettre la science malgré elle, où assurément elle n'avait rien à faire. De là, des complications, des difficultés sans nombre, des lois répressives et pénales, une armée d'inspecteurs; et malgré tant d'efforts, il fallait ensuite des changements commandés impérieusement par la nécessité. Qu'en résulte-t-il définitivement? nous n'avons pas l'uniformité légale des poids et mesures. Tout le monde

achète et vend à l'aune ancienne. On mesure 'l'aune sur le mètre.

Les dénominations nouvelles étaient ridicules. \ Il a fallu rétablir les anciennes; on faisait dériver touts les noms de chaque division de la chose principale, ce qui n'a jamais existé dans aucune langue. Dans toutes les langues, on donne à chaque division un nom différent. Ainsi, nous disions et nous aurions dit toujours, malgré la loi, pied, pouce et ligne, et non pas mètre, décimètre, centimètre, millimètre. Mais la loi ellemême a été forcée de nous permettre ce que nous faisions malgré elle. Aux singulières dénominations de grammes, décagrammes et octogrammes, on a substitué les mots de gros et onces métriques. L'épithète métrique, ajoutée à l'ancien nom, est encore une source de confusion.

Le premier décret sur cette prétendue uniformité, prouva combien était mauvaise cette accumulation de choses et de noms. Nous disions tout bonnement: La ration du pain donné au soldat sera de 24 onces. Il sera composé de trois quarts froment et un quart seigle blutés à extraction de quinze livres de son par quintal.

Au lieu de cette simplicité d'expression, il fallut dire : La ration de pain sera de 733 grammes 71 centigrammes. Il sera composé de trois

"

quarts froment et un quart seigle blutés à extraction de 7 kilogrammes 337 grammes de son par 4 myriagrammes go centièmes. Ce fut cette complication qui parut frapper Bonaparte dans l'entretien que j'eus avec lui, lorsqu'il m'interrogea sur les poids et mesures. Comme je connaissais son habitude d'interroger, je m'étais préparé sur toutes ces dénominations, très-difficiles à retenir dans la mémoire.

Je demande s'il était possible de rien imaginer de plus compliqué. A l'expression simple de 24 onces, on substitue 733 grammes 71 centigrammes. Le reste est de la même force. Avant tout, il faut comprendre ce qu'on dit et les expressions dont on se sert. Or, je demande si l'on peut avoir dans son esprit une représentation juste et précise de 733 grammes 71 centigrammes, comme de 24 onces.

J'osai dire un jour à un des savants qui ont présidé à ce travail, que je me comprenais fort bien quand je disais que ma taille est de cinq pieds six pouces; mais que lorsque je disais un mètre 786 millimètres, il m'était impossible de me figurer la millième partie d'un mètre, et moins encore 786 fois cette millième partie. Et remarquez que dans cet exemple, pour avoir les 6 pouces avec précision, je serais obligé d'ajouter

une fraction de soixante deux fois cent millième du mètre. Ainsi, les savants qui avaient adopté le calcul décimal, et qui le vantaient, parce qu'il n'amenait pas de fractions dans le calcul numérique des sommes, se jetaient, dans les poids et mesures, dans des fractions infinies que l'esprit de l'homme ne pouvait suivre.

[ocr errors]

Personne plus que moi ne rend hommage à la science et aux travaux de nos savants académiciens. J'ai admiré, comme touts les Français, leurs travaux au pôle et à l'équateur, sous Louis XV, précédés de leurs premières observations en France, sous Louis XIV. Ils ont diminué les erreurs que commettaient les navigateurs par l'ignorance de la figure de la terre. Elle entraîne les plus grandes conséquences dans la pratique pour la navigation. Mais les savants qui ont formé le système des poids et mesures, ontils été aussi heureux dans la pratique? L'expérience prouve le contraire. Si vous demandez ce que c'est qu'un gramme ou un mètre, on vous répond :

Le gramme est le poids d'un centimètre cubique d'eau distillée, considérée dans le vide, et à son maximum de densité. Le centimètre est la centième partie du mètre. Le mètre est la dixmillionième partie du quart du méridien terres

tre; et pour cela, on a mesuré l'arc du méridien compris entre Dunkerque et Barcelonne.

Quel est le but de toute cette science? C'est, nous a dit M. de Buffon, pour avoir une mesure invariable. Mais en définitif, quelle est cette mesure que vous dites égale à la dixmillionième partie du quart du méridien terrestre ? C'est un morceau de métal que vous déposez dans un établissement public, et qui devient l'étalon auquel toutes les mesures doivent se conformer. Combien de temps restera-t-il dans cet état sans s'altérer ? combien faut-il d'années, pour qu'il perdre une millième partie de sa grandeur? S'il faut des siècles pour qu'il perde une très faible partie de sa grandeur, quel avantage trouvezvous à pouvoir recourir à la mesure du méridien terrestre pour le rétablir dans son intégrité?

Mais cette mesure universelle, qu'on a prise dans la nature, est-elle invariable elle-même ? Les savants conviennent que la longueur du pendule à l'équateur, proposée d'abord, et celle du méridien terrestre, qui fut adoptée, peuvent éprouver des altérations sensibles; mais ce ne sera que par de très-grands changements dans la constitution physique de la terre.

Je vois, dans l'ouvrage d'un savant, qu'on ne s'en est pas tenu à la grandeur de l'arc qui tra

« PrécédentContinuer »