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« voit seul sa correspondance, qu'il envoie «dre à la poste par un de ses domestiques, qui << n'est pas un garçon de bureau. Après avoir ou« vert la correspondance, tout ce qui est relatif « à l'administration est adressé aux divers bu«reaux, qui demeurent entièrement étrangers à << tout ce qui peut d'ailleurs parvenir à M. de « Vaublanc, dans le cabinet duquel personne << n'arrive sans sa présence..

<< Il est certain cependant qu'un M. Bresson, «<< que l'on croit attaché comme employé supé«<rieur aux relations extérieures, est en correspondance suivie avec M. de Vaublane, et que <«< celui-ci doit en avoir reçu récemment des << lettres. >>

M. Bresson, avec qui j'ai toujours conservé des liaisons intimes, et dont j'ai parlé plusieurs fois dans ces récits, est le même qui s'est acquis une gloire impérissable par le vote noble et courageux qu'il a prononcé dans le procès de l'infortuné Louis XVI. Le duc de Rovigo le manda près de lui, et lui demanda s'il avait écrit la lettre qui m'était adressée. Il répondit négativement. Ces recherches furent connues de M. Cottin des Sources: il alla chez le duc de Rovigo, et lui déclara qu'il était l'auteur de la lettre; qu'il avait exprimé les craintes d'un bon Fran

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çais qui redoutait les suites d'une campagne dans un climat glacé; qu'il avait le droit d'exprimer confidentiellement sa pensée à un ami, et qu'il "était bien étonné que l'on interceptât les lettres adressées à un magistrat qui avait et qui méritait la confiance du gouvernement. Sa fermeté déconcerta un peu le ministre; mais il fut traité avec beaucoup d'égards et de politesse. Ce ministre trouvait peut-être qu'il avait trop raison dans la prophétie qu'il m'avait adressée.

Toutes les fois que l'empereur passait par Metz, il m'accablait de questions, auxquelles il fallait répondre sans hésiter. Lorsqu'il y vint au mois de juin 1813, après les questions ordinaires, il me congédia; mais pendant son souper il me fit appeler. Comme je connaissais les recherches qu'on avait faites sur la lettre de M. Cottin des Sources, et que je n'ignorais pas qu'une copie en avait été adressée à l'empereur, je crus qu'il allait m'en parler; mais, sans m'en dire un mot, il me parla de la campagne qu'il allait commencer, de la force de son armée, et il me fit entendre qu'il pénétrerait en Russie. Je vis bien qu'il se rappelait la lettre interceptée.

Je lui répondis avec franchise, et je présentai quelques objections à ce qu'il me disait. Il chercha à me convaincre; il insista principalement.

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sur la solidité de son alliance avec l'empereur d'Autriche, et il la fonda sur les liens contractés entre ce prince et lui par son mariage. Il vit que je n'étais pas convaincu; il se leva, et continua son discours avec plus de chaleur et des mouvements plus décidés. Il me parla ensuite des travaux qu'il avait faits et ordonnés à Anvers; il y mettait beaucoup d'intérêt. J'osai lui dire que tout cela ne formait pas une marine. Il me répondit, en s'avançant un peu vers moi; je reculai, en présentant encore quelques observations. Il les écoutait; mais il mettait beaucoup d'empressement à les détruire par des raisons que je ne pouvais combattre. Il aurait fallu qu'il m'eût ordonné de lui dire tout ce que je pensais : c'est un ordre que donnent bien rarement ceux qui ont l'autorité souveraine, et c'est le seul cependant qui puisse leur faire entendre la vérité.

Pendant toute cette conversation, Bonaparte fut calme et tranquille, et n'eut pas un seul instant le ton de l'aigreur ou du reproche. Quand il me congédia, je lui dis que j'avais une grâce à lui demander; que M de Choiseul, ancienne abbesse de St.-Louis, âgée de plus de quatre-vingts

ans, était à Metz, qu'elle n'avait pour toute fortune qu'une pension de 6000 fr. de l'empereur de Russie, que cette pension avait déjà cessé, à

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cause de la guerre, que Mme de Choiseul allait se trouver dans la misère. Il me demanda si c'était la sœur de l'ancien duc de Choiseul, ministre de Louis XV; et après ma réponse affirmative, il ajouta : « Je lui accorde la même pension, et une année d'avance. Dites au comte Daru d'en faire expédier le décret. » Je le remerciai au nom de Mme de Choiseul, et je le quittai, bien satisfait d'avoir obtenu cette pension.

Cette conversation s'était passée dans une salle au rez-de-chaussée. De légers rideaux de mousseline qui couvraient une partie des fenêtres n'étaient pas assez déployés pour empêcher de voir ce qui se passait dans ce salon. Quelques personnes s'étaient approchées des fenêtres. La conversation animée de Bonaparte, ses mouvements et les miens, firent penser qu'il me faisait de graves reproches. On en conclut que j'allais perdre ma place. Le bruit en courut aussitôt. Je dis quelques mots de cette conversation à des personnes qui me témoignaient de la peine du bruit répandu.. C'est là ce qui a donné lieu à quelques phrases écrites à ce sujet par M. l'abbé de Pradt, dans je ne sçais quel ouvrage.

Touts les hommes sensés voyaient bien que Bonaparte était aveuglé par la prospérité. Il ne prévoyait aucune résistance; il ne craignait au

cun obstacle. J'avais remarqué dans sa conversation trois pensées fausses, qui m'étonnèrent dans un homme d'un si grand génie. Il regardait les peuples vaincus comme des peuples soumis; il croyait que l'empereur d'Autriche seconderait à jamais ses desseins, parce qu'il lui avait donné sa fille, et il parlait des travaux qu'il avait faits à Anvers, comme d'un grand moyen de parvenir au dessein d'arracher à l'Angleterre l'empire des mers. Ces trois idées principales de son discours manquaient entièrement de justesse. Il avait humilié touts les monarques qui jusqu'alors avaient fait la guerre à la France avec persévérance, mais sans cette vigueur particulière que donne la passion. En les humiliant, il leur inspira la passion de la vengeance; il forma lui-même le ciment qui les unit contre lui.

Sa conduite envers l'Espagne, injuste sous touts les rapports, eut des suites qui prouvèrent, d'une manière éclatante, .que la morale publique, ouvertement violée, amène tôt ou tard des résultats inattendus et terribles. On doit remarquer que don Pedro Cevallos annonça, dans un écrit public, que la conduité de Bonaparte envers l'Espagne ouvrirait les yeux des monarques, les réunirait fortement contre lui, et entraînerait sa chute. Mais rien, peut-être, ne fut plus éloigné

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