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Après la funeste bataille de Leipzick, les restes de notre armée présentèrent le spectacle le plus déplorable. Il fallut couvrir d'hôpitaux les frontières de la France. Metz reçut successivement plus de quarante mille malades. Je fus obligé d'établir un vaste hôpital dans une église et dans touts les lieux qui pouvaient en servir. Je présidai moi même à touts ces établissements. Je puis dire que j'étais partout. Je fus merveilleusement secondé par les fonctionnaires publics et par les habitants, dont le zèle et l'humanité s'élevèrent à proportion du nombre des malades et de leur état affreux.

Mais rien ne peut être comparé au zèle et aux soins infatigables des religieuses qui occupaient le principal hôpital de Metz. Rien ne les rebutait. J'ai vu les malades arriver dans des bateaux, sur un canal voisin de l'hôpital. Ces dignes femmes les faisaient dépouiller de leurs habits, la plupart en lambeaux, afin d'éviter la contagion. On les transportait nuds dans les salles, où touts les secours leur étaient prodigués, où des lits chauffés les recevaient aussitôt. J'ai vu une de ces religieuses, grande et forte, charger sur son dos un soldat expirant, et le porter ainsi dans le lit qui l'attendait. Elles faisaient ces belles actions tout uniment, tout simplement, comme la

chose la plus ordinaire. Les femmes ont un genre de courage auquel n'atteignent point les hommes.

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Je remarquai un jour dans une église, transformée en hôpital, une jeune personne d'une jolie figure, qui suivait la file des lits, en parlant aux malades. Elle avait dans les mains du papier, une plume et de l'encre. Je lui peignis le danger auquel elle s'exposait, et je lui demandai ce qu'elle faisait. Elle me dit qu'elle demandait à ces malheureux jeunes gens s'ils voulaient écrire à leurs parents et les instruire de leur situation. Elle avait déjà écrit plusieurs lettres en leur nom; elles étaient dans les poches de son tablier. J'admirai un dévouement si généreux; elle s'exposait à contracter une maladie mortelle pour adoucir les peines de ces malheureux soldats. Une belle âme peut seule inspirer une idée semblable. Je crois difficile de concevoir une action plus généreuse, faite avec une plus noble simplicité. Je l'ai revue depuis; elle était mariée, et son mari dans une situation fâcheuse. J'ai tâché d'obtenir pour lui une chose qui me paraissait très-juste; mais en peignant avec chaleur le dévouement dont je viens de parler, je n'avais

pas le bonheur de toucher et d'entraîner les personnes dont dépendait cette affaire.

La désolation était partout; et le nom de Bo

f

naparte était accompagné d'imprécations. On me rendait compte des discours des soldats. Ils avaient une expression commune. Entrant isolés dans la ville, ils s'adressaient aux habitants, en leur disant: Où est la boucherie de Napoléon? ils désignaient ainsi les hôpitaux.

La maladie des soldats, que les médecins appelaient le typhus, se répandit des hôpitaux dans la ville. Beaucoup d'habitants succombèrent, entre autres M. Gentil, l'un des principaux médecins, M. de Viville, frère du secrétaire-général de la préfecture, et M. Vesco, très habile ébéniste. Je fis quelques observations à celui-ci sur son assiduité dans un hôpital. Il me répondit qu'il ne craignait rien, parce qu'il avait toujours la pipe à la bouche. Il croyait que la contagion ne pouvait l'atteindre. Je me confiais dans une autre précaution qui ne put m'en préserver; j'allais à cheval dans les hôpitaux, et lorsque j'en sortais, je galopais quelque temps dans la campagne. J'espérais que le mouvement du cheval et le grand air me préserveraient de la contagion; mais un jour, au milieu de cet exercice un peu violent, je sentis une forte douleur dans les reins; je fus accablé pendant plusieurs jours. Je résistais encore aux progrès du mal; mais la maladie se déclara, et me conduisit aux portes du tombeau.

J'avais envoyé ma fille et mon petit-fils à la campagne. M. le général Richter et Mm Richter m'avaient offert pour eux leur maison, de la manière la plus obligeante. Ma fille venait touts les jours à Metz, pour être instruite des progrès de ma maladie. Ma femme me soigna, pendant toute ma maladie, avec ce zèle et ces soins empressés qui la distinguaient entre toutes les femmes. Elle fut heureusement préservée du mal. Je dus beaucoup aux soins et aux talents de M. Marchand, maire de la ville, et très-habile médecin. Deux ans après, étant ministre de l'intérieur, je peignis au roi les services qu'il avait rendus à l'armée et à moi pendant cette horrible contagion, et j'obtins pour lui l'ordre de Saint-Michel.

La ville perdit par le typhus 1,388 personnes, et vit périr 7,752 militaires. Perte totale, 9,140. Les évènements de la guerre se pressaient avec rapidité. Les Prussiens et les Russes avaient passé le Rhin; Coblentz était pris, Mayence investi. Les maréchaux de Bellune et Marmont avaient été forcés à la retraite devant un ennemi supérieur. La Franche-Comté était envahie, et Besançon investi. L'armée de Silésie marchait sur la Lorraine. Bonaparte avait proclamé Marie-Louise régente, et s'était mis à la tête de son armée, réunie à Châlons-sur-Marne.

Le maréchal Marmont fit sa retraite sur Metz. Je le reçus à la préfecture. Il y passa plusieurs jours, et continua sa retraite. Bientôt après, le 18 janvier, la ville fut investie par un corps de troupes russes. Elle avait une garnison de dix mille trois cents hommes d'infanterie, et de cent hommes de cavalerie, sans compter trois mille cent cinquante hommes dans les hôpitaux.

On prit toutes les précautions nécessaires en cas de siége ou de bombardement, et nous fùmes privés de renseignements certains sur les évènements qui se passaient en France. Le général comte Durut commandait dans la place, avec cette forte autorité que donne la loi dans les places assiégées. Je dois beaucoup d'éloges à la loyauté de son caractère; mais il était un peu trop soupçonneux. Il crut que plusieurs habitants de la ville avaient des correspondances avec l'ennemi; il menaçait de les faire fusiller. Pour les défendre d'une accusation injuste et de ses suites, j'eus avec lui des scènes violentes. Il n'en conserva aucun ressentiment. Elles ne l'empêchèrent pas, quelque temps après, d'avoir envers moi les plus nobles procédés.

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