Images de page
PDF
ePub

Ainsi, trois fautes semblables amenèrent les mêmes résultats.

Nos jeunes militaires, qui s'imaginent, et qui disent que l'art de la guerre n'est connu que de nos jours, souriront de pitié en me voyant citer comme un modèle la campagne de Duguesclin, que l'on peut comparer à la célèbre campagne de Turenne. Avec une armée légère de ses braves Bretons, il entreprend de résister à soixante mille hommes débarqués à Calais sous les ordres du duc de Lancastre. Il les harcèle, enlève leurs convois, ne les laisse pas respirer un instant ; et sans jamais compromettre sa petite armée, il les pousse devant lui à travers l'Auvergne, le Limousin, et les jette dans les murs de Bordeaux, réduits à un petit nombre dans l'état le plus déplorable. Il me semble qu'une telle conduite et un tel résultat prouvent le vrai talent de la guerre. Sa campagne précédente, exécutée sur un plan différent, ne montre pas moins d'habileté; il fut aussi grand général aux batailles de Cocherel et de Monciel; il était d'autant plus étonnant, qu'après avoir fait les dispositions qui lui assuraient la victoire, il combattait comme un simple soldat. Il y était contraint, parce qu'une troupe d'élite de l'armée ennemie s'attachait à le chercher et à le combattre. Mais il

[ocr errors]

par

[ocr errors]

était environné de ses frères d'armes, fidèles au pacte de fraternité qui les unissait à sa destinée le serment d'une défense commune. Je ne crois pas qu'on ait jamais vu réunis ensemble autant de présence d'esprit, de bravoure et de rapidité qu'il en développa dans la fameuse bataille de Monciel. Je ne sais s'il savait lire et écrire, mais je sais qu'il serait difficile de trouver, dans les temps anciens et modernes, un homme qui ait plus honoré sa patrie; et je suis heureux d'avoir mis mon nom au bas de l'ordonnance qui lui a érigé une statue dans cette capitale, où Charles V déployait tant de sagesse, tandis que Duguesclin commandait ses armées.

Les divers exemples que j'ai cités de Condé, de Villars, de Duguesclin, et les trois exemples contraires de l'histoire romaine me font penser, par leurs résultats, que si Bonaparte avait traîné la guerre en longueur, sa destinée aurait pu être bien différente. Je suis persuadé qu'en lisant ces réflexions, le lecteur se rappellera la temporisation du dictateur Fabius. Le généraux, renfermés à Metz avec moi, pensaient que, placé au centre des places fortes si nombreuses de la Lorraine et de l'Alsace, il aurait pu ramener la fortune au printemps. Lorsque nous entendîmes le canon si près de nous, nous fùmes persuadés

qu'il allait temporiser pour se préparer à une guerre offensive avec de nouvelles forces jointes à sa glorieuse armée, affaiblie par tant de combats.

J'ai appris, d'un ancien officier du génie, camarade de Carnot, que celui-ci lui avait dit qu'au moment de partir pour Anvers, dont il venait d'être nommé gouverneur, il avait conseillé à Bonaparte de se tenir constamment appuyé sur les places fortes de l'est et du nord, et de faire une guerre défensive. Il avait aj ajouté, disait-il, que si, dans cette position, contraint à

une bataille, il la perdait, elle ne serait pas décisive.

CHAPITRE VI.

Louis XVIII en France. MONSIEUR à Nancy. Le duc de Berri à Metz. Calomnies odieuses sur ce prince. Retour de Bonaparte de l'île d'Elbe. Lettre que m'écrit Carnot. Le maréchal Davoust, ministre de la guerre, envoie un officier pour m'arrêter. Je me rends à Luxembourg.

LORSQU'ENFIN les lettres de Paris nous annoncèrent le rétablissement des Bourbons, les communications se rétablirent; nous apprîmes que MONSIEUR, Comte d'Artois, était à Nancy. Je fis une proclamation pour annoncer ces heureux changements. Elle fut, en général, reçue avec plaisir.

Peu de temps après, j'eus l'honneur de recevoir à la préfecture Msr le duc de Berri. Je l'accompagnai dans le département. Il visita toutes les places, touts les établissements. Lorsqu'il fit son entrée dans Metz, j'étais à cheval à sa gauche, le maréchal Oudinot à sa droite. En passant dans la grande rue du Fort, il remarqua que les élèves de l'école d'artillerie et du génie, rangés en haie, donnaient quelques signes de mécontentement, qu'ils balançaient pour ôter leurs chapeaux; il observa même des gestes contraires à la plus simple bienséance. Il me demanda quelle était cette troupe; mais il ne dit rien sur ce qu'il avait observé. Lorsqu'ensuite touts les fonctionnaires civils et militaires lui furent présentés, cette école le fut aussi. Plusieurs élèves prononcèrent, dans le premier salon, des phrases très-inconvenantes; elles furent entendues de quelques anciens officiers, qui manifestèrent hautement leur improbation. De simples soldats montrèrent les mêmes sentiments de désapprobation. Le lendemain, en visitant cette école, le prince entendit lui-même des phrases très-peu respectueuses. Mais, sans les répéter, il adressa aux jeunes gens un discours sévère, et plein de dignité. On verra bientôt pourquoi j'entre dans ces détails.

Le prince fut partout accompagné des accla

.

« PrécédentContinuer »