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geant les cheveux en trois parties, les faces, le toupet et la queue, en les bouclant avec roideur sur les côtés, et en élevant un édifice encore plus roide sur le sommet de la tête, en couvrant tout cela de graisse et de poudre blanche, on atteint le dernier degré du mauvais goût, on défigure entièrement la face humaine. M. de Buffon en a fait l'observation. La seule bonne chose qu'ait produite la révolution française, a été de nous ramener à la nature dans l'arrangement des cheveux des hommes. Les femmes ont imité alors les coiffures simples des belles statues grecques; mais elles out imaginé ensuite des échafaudages de cheveux d'un mauvais goût. Les portraits faits dans ce dernier temps paraîtront un jour trèsridicule.

J'essaierais en vain de peindre l'impression que firent sur moi les nombreuses statues qui représentent la famille de Niobé. Elles sont l'ouvrage de Phidias. Mon imagination me transportait en Grèce, et j'y voyais travailler ce grand artiste. Les Grecs avaient de la beauté en elle-même une idée dont les modernes n'approchent qu'en les imitant. La famille de Niobé fit sur moi une profonde impression qui ne s'est jamais effacée.

J'ai passé souvent, à Florence, devant une statue de bronze qui représente Neptune en cour

roux. Il gourmande les flots, et les menace de son trident. Ses regards sont fixés sur les flots. Quels sont-ils? Quelques gouttes de pluie dans une grande cuvette. Quelles sont les divinités marines? Quelques grenouilles. La statue est belle; mais sa cuvette la rend ridicule.

J'ai souvent fait la même remarque, en voyant à Paris la fontaine de la rue de Grenelle. Quatre ou cinq divinités, avec leurs attributs, président à deux robinets qui donnent deux filets d'eau. Faites de belles statues et admirez-les, c'est trèsbien; mais ne faites pas servir le bel art de la sculpturé à exprimer des idées ridicules. Je n'ai jamais pu voir à Versailles, sans sourire de pitié, autour d'un bassin d'eau croupissante, ces pauvres paysans que Latone a changés en grenouilles. Les Métamorphoses d'Ovide sont très-amusantes. Ce sont des contes récités en vers élégants qui peuvent en déguiser le côté ridicule; mais la sculpture n'a pas cet avantage. J'oserai répéter que la science la plus nécessaire aux artistes, est de connaître les bornes de l'art.

Je ne pouvais voir tant de tableaux, et m'occuper ainsi de la peinture, sans me rappeler les instants agréables qu'elle m'avait procurés dans diverses circonstances d'une vie si agitée. J'achetai un chevalet, des pinceaux et des couleurs. Je

copiai dans la galerie plusieurs petits tableaux. J'y passais des jours entiers; je ne pouvais m'arracher à cette charmante occupation.

Le président de Thou, père de celui qui périt sur l'échafaud avec Cinq-Mars, raconte, dans ses Mémoires, qu'il aimait beaucoup la peinture. Il se délassait ainsi de la fatigue des affaires et des négociations épineuses auxquelles il était employé. Il fit le portrait du fameux baron des Adrets, après l'avoir considéré dans un jardin où il se promenait avec lui. Il dit que ce portrait était fort ressemblant, quoique fait de mémoire, Il ajoute que son père, premier président du Parlement de Paris, peignait fort bien; qu'il avait presque toujours dans sa maison un peintre dont il se plaisait à regarder le travail.

Je ne puis relire cette partie de mon récit, sans me rappeler que plusieurs années après la restauration de nos rois en France, m'étant intéressé en faveur d'un jeune candidat qui voulait entrer dans la magistrature, la personne à laquelle je m'adressai me répondit avec dédain: « Il aime << la peinture; il s'amuse à peindre! » Je lui citai les deux présidents de Thou.

Çela me rappelle un diplomate, personnage pesant et lourd, qui se croyait fort habile. Il parlait avec mépris d'un homme employé dans les affaires

étrangères; il s'écriait : « Il fait des vers! »>« Eh! <«< monsieur, lui dis-je, le grand Scipion, César, « Cicéron, le chancelier de l'Hôpital, le grand « Frédéric, ont fait des vers. Henri IV a chanté << sa maîtresse. Ils ont montré qu'ils pouvaient «faire autre chose. Il en est peut-être de même « de la personne que vous méprisez. >>

Nous désirions beaucoup d'aller à Rome; mais une armée française était dans ses murs. Nous étions proscrits. Nous savions que le Directoire y avait envoyé des commissaires chargés d'apprendre aux Romains à penser, et d'enlever leurs tableaux. M. Baron, beau-frère de Pastoret, était employé en chef dans l'administration de cette armée : nous étions sûrs de trouver en lui un bon protecteur; mais nous ne savions comment correspondre avec lui.

Nous promenant un jour dans la galerie de Florence, nous aperçûmes un jeune Français dont l'uniforme nous annonça qu'il était employé dans la même administration. Nous l'interrogeâmes; il fut très-obligeant envers nous, et nous promit de remettre une lettre à M. Baron. Nous eûmes promp tement la réponse, et nous partîmes pour Rome. Nous prenions à chaque poste une mauvaise voiture, et Duplantier et moi nous courions alternativement devant le cabriolet, qui ne pouvait

contenir que deux personnes. Le pape était à Sienne; il avait été forcé de quitter Rome. Nous le vîmes le lendemain de notre arrivée, au moment où il passait dans une galerie: nous fùmes frappés de sa belle figure et de son maintien. Un tremblement de terre avait alarmé les habitants. Un grand nombre s'était retiré sous des tentes.

A Montefiascone, nous entrâmes dans l'église, et nous remarquâmes la chaire, où prêchait alors l'abbé Maury, évêque de cette ville. Célèbre orateur de l'Assemblée constituante, où il avait déployé une opposition courageuse aux principes de la révolution, il s'était rendu à Rome, et avait reçu du pape un évêché et le chapeau de cardinal. Il était au comble des honneurs de l'Eglise, tandis que presque touts ses rivaux étaient proscrits, dépouillés de leurs biens, captifs ou errants dans les terres étrangères. Plusieurs avaient péri sur l'échafaud. Il en fut de même de l'Assemblée législative. Les plus furieux démagogues et les girondins ont péri de mort violente; pas un membre du côté droit n'a subi le même sort, quoique proscrits et menacés. L'abbé Maury revint en France sous le consulat, et fut archevêque de Paris.

En continuant notre route, nous étions, Pastoret et moi, dans un petit cabriolet découvert. Près de Viterbe, le cheval de brancard fut atta

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