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tes. On m'en parla, on me donna même des détails sur l'une de ces lettres. Le Français est si indiscret, qu'il n'y aura jamais en France de conspiration cachée. Je rendais compte de tout ce que je voyais et de tout ce que j'apprenais, même des choses les plus minutieuses en apparence. La plus grande preuve que je puisse donner de l'importance que j'attachais à toutes les choses que je voyais, est la privation que je m'imposai d'aller présenter mes respects au roi. Je ne partis' de Metz qu'au mois de février 1815. J'en partis convaincu qu'une conspiration se tramait, que Bonaparte reviendrait en France. Je communiquai mes craintes à touts les ministres. J'en parlai aux. princes et au roi. Je demandai à M. le maréchal Oudinot s'il lui conviendrait que je demandasse un ordre du roi pour lui et pour moi d'aller à Metz. Il y consentit avec plaisir, et j'en parlai à M. l'abbé de Montesquiou, ministre de l'intérieur, qui me promit de demander cet ordre au roi le jour même.

Je vis M. D'André, chargé de la police générale. J'eus avec lui un long entretien sur l'état des choses. Il se plaignait de n'avoir pas des moyens assez actifs pour être instruit de tout ce qui se passait. Il me parlait de façon que je crus lui apprendre que les préfets dépendaient de lui

pour la police générale, et qu'il pouvait leur donner les ordres qu'il jugeait convenables. Tout ce que je vis alors, tout ce que j'entendis me convainquit que le gouvernement avait le degré de mollesse, de relâchement qui pouvait permettre de tout entreprendre, avec la certitude du

succès.

Mais ce qui me confondit, ce fut le déchaînement que je remarquai contre le duc de Berri. La calomnie s'acharnait sur lui. Tout ce que j'ai raconté de sa conduite à Metz était dénaturé; il avait été d'une violence extrême; il avait arraché les épaulettes à un officier, la croix de Saint-Louis à un autre, et tenu des discours outrageants aux élèves de l'école d'artillerie et du génie. Tout cela était aussi faux que le reproche de s'enivrer, lui qui ne buvait que de l'eau. Ces calomnies étaient répétées dans la plus haute société; de grandes dames les propageaient; et, suivant sa coutume, la calomnie, pour paraître vraie, semblait juste envers l'un des acteurs de ces scènes. C'était à moi qu'elle faisait jouer le beau rôle; elle racontait des détails; j'avais représenté au prince que cette conduite était indigne de lui; je lui avais parlé avec fermeté. On conçoit combien je devais être indigné de ces horreurs. J'exhalai mon indignation. C'est bien

alors que je vis cette odieuse facilité avec laquelle la légèreté de nos esprits reçoit les plus sottes calomnies, avec quelle avidité elle les écoute et la rapidité quelle met à les répandre. C'est une chose déplorable que les hommes réunis ou dans une assemblée, ou dans une grande ville. Le marquis de Nantouillet, attaché à la maison du prince, et qui lui était dévoué, fut instruit de ces calomnies et de ma force constante à les repousser. II. m'en parla avec un douloureux intérêt; et je vis par ce qu'il me dit, que le prince était blessé de tant d'injustice.

J'allai voir M. Férand pour une affaire; il était directeur-général des postes. Tandis que je m'entretenais avec lui, on lui apporta des lettres adressées à lui seul. Il interrompit notre conversation, et s'empressa de les ouvrir. Ses mains tremblaient, ne pouvaient saisir la partie de l'enveloppe qu'il fallait déchirer, et ce fut avec beaucoup de peine et de temps qu'il parvint à ouvrir trois lettres, et à voir d'où elles venaient et ce qu'elles contenaient. Il avait une partie des membres presque paralysée. Je déplorai l'étrange présomption d'un homme réduit à cet état, et qui se chargeait, dans des circonstances, si imminentes du poste important de la direction des lettres. Il ne pouvait pas s'en acquitter avec cette vigilance,

cette promptitude qu'exigeait l'état de la France. Aussi, quand Bonaparte fut arrivé, il ne manqua pas de dire naïvement, dans la Chambre des députés, que , que M. de Lavalette était plus maître que lui dans ses bureaux. Il eut un moment le ministère de la marine, dont il joignit le travail à celui des postes, après la mort de M. Malouet. J'en témoignai mon étonnement à une personne qui le connaissait. «<Lui, me dit-elle, il se chargerait de touts les ministères à la fois. » Il faut avouer que les rois font souvent des choix bien étranges. Sur quoi ce choix avait-il été fondé? sur un ouvrage abstrait de politique. Je ne sais quel est le ministre qui donna l'ordre de respecter le pavillon souverain de l'île d'Elbe; mais je sais que lorsque j'étais à Marseille, après la seconde restauration, l'amiral Ganteaume me dit que cet ordre existait dans l'amirauté de Toulon.

Je retournai tristement à Metz, bien convaincu qu'une grande scène se préparait.

Nous fùmes promptement instruits du débarquement de Bonaparte. Cette nouvelle excita une stupeur presque générale. On a souvent dit avec raison que la peur avait tout fait pendant la révolution on ne peut trop le répéter. J'en eus bien des preuves dans cette triste circonstance. Je me rappelle entre autres qu'un grand pro

priétaire vint dans mon cabinet, tout effaré; et sans préambule, me déclara que le peuple vouTait Bonaparte, qu'il était enchanté de son retour. Je lui demandai sur quelles preuves il fondait ce discours. Il me dit qu'il entendait le peuple témoigner sa joie, son enthousiasme, et que des mères disaient : « S'il n'y avait plus de conscription, que ferions-nous de nos enfants? >>

A ces mots, je vis bien qu'il était dans le délire de cette passion terrible, qu'on appelle la peur, et qui, suivant l'expression de Montaigne, donne de furieux éblouissements. Il était hors de lui; il me faisait pitié. « Monsieur, lui répondis-je, elles ont peur, vous avez peur. Allez vous reposer; croyez-moi, Bonaparte ne fera pas attention à vous. Calmez-vous, restez tranquille. » Dans des moments semblables, la pauvre espèce humaine descend à un degré d'avilissement impossible à décrire, se flétrit elle-même et se place au-dessous des plus vils animaux, qui touts ont un courage d'instinct dans les périls où ils sont jetés.

Nous attendions les nouvelles avec les plus grandes inquiétudes. Je les recevais rapidement par le télégraphe. Une proclamation du roi instruisit les Français des nouveaux évènements, déclara Bonaparte traître à l'Etat. Mais tout avait

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