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simplicité apparente qui, bien loin de diminuer les difficultés, les augmente. Je vais le prouver par un exemple tiré d'une partie de l'administration, aussi importante que les impôts, la levée des soldats.

Le général Bertrand m'a raconté qu'étant gouverneur de l'Illyrie pendant l'empire, il reçut l'ordre d'y faire la conscription telle qu'elle se faisait en France. A peine y fut-elle annoncée qu'elle excita le mécontentement des habitants; ils offrirent de donner le nombre d'hommes qu'on demandait, en suivant leurs anciens usages, toujours respectés par la maison d'Autriche. La répartition se fait de plein gré entre les familles, et ceux qui ne marchent pas se cotisent pour une somme remise aux jeunes gens qui forment le contingent demandé. Nos grands hommes trouvèrent qu'un Illyrien ne devait point prétendre à être différent d'un Français; que les magnifiques tableaux de la conscription, où le génie s'était épuisé en cases, colonnes, accolades, devaient être les mêmes pour tout l'empire. Les sublimes ordonnances de la conscription ne devaient éprouver aucune altération en Illyrie, pas plus qu'à Vaugirard; et les ordres les plus impératifs furent renouvelés, malgré les instantes représentations du gouverneur. Il en résulta qu'un

très-grand nombre de jeunes gens passèrent dans les pays voisins. Ils étaient presque touts forgerons, habitants des montagnes, hommes robustes, endurcis à la fatigue et d'un caractère belliqueux. Ils connaissaient la gloire des armées françaises; ils auraient marché avec plaisir; mais ils commettaient le crime impardonnable d'aimer leurs anciens usages.

Avant d'avoir établi cette contribution sur la mouture, je proposai un e ajudication pour la nourriture des troupes anglaises. Deux fournisseurs voulurent profiter de la situation difficile dans laquelle j'étais, et me proposèrent des conditions onéreuses, établies avec une finesse calculée, qui enlaçait l'administration dans des piéges placés devant elle avec beaucoup d'adresse. Je rejetai leur proposition, et j'acceptai celle d'un homme loyal qui ne demandait aucune condition onéreuse. Aussitôt après avoir obtenu les premiers fonds de la contribution nouvelle, je me hâtai de donner à ce fournisseur un fort à-compte avant le terme de l'échéance. C'était une justice envers lui, et un moyen d'établir une grande confiance dans la loyauté de l'administration.

Les premiers fournisseurs regrettèrent alors de n'avoir pas traité avec moi, se plaignirent, prétendirent que les marchés étaient onéreux.

J'écrivis une circulaire très-détaillée. J'expliquais jusqu'aux moindres particularités des négociations et des conditions. Je prouvais la finesse très-subtile des premières offres, et la loyauté des secondes; que toutes les formes avaient été suivies scrupuleusement, et que ces marchés avaient été avantageux au département. Je répandis cette circulaire dans Marseille et dans toute la province; elle produisit le meilleur effet. J'en parle, parce que c'est une des circonstances de mon administration, où j'ai le plus éprouvé l'immense avantage d'une conduite franche, loyale et publique.

Les troupes autrichiennes, envoyées à Arles et dans les environs, auraient pu s'emparer des étalons du haras qui est établi dans ce pays. Je les fis venir à Marseille et placer dans la préfecture même, où l'on fit rapidement une écurie avec des planches : plusieurs étaient agréables à

monter.

Je prenais l'exercice du cheval, auquel j'étais accoutumé, touts les jours à deux heures, malgrẻ les brûlantes chaleurs du mois d'août et de septembre dans le climat de la Provence. Pas un Provençal n'imagina de m'en faire un reproche. Mais après mon ministère, les Mémoires d'une femme de qualité, et une histoire écrite par un homme d'Etat, ont trouvé ridicule qu'un

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ministre aimât ce noble exercice, et ont joint à leurs récits des mensonges empreints d'une petite teinte de calomnie. Je ne pouvais m'en étonner; ces ouvrages sont écrits à Paris.

Les têtes ardentes de cette province s'occupent beaucoup des évènements et des discussions politiques. L'enthousiasme en faveur des Bourbons était trop général et trop prononcé pour que le parti contraire osât se montrer. Mais il avait quelques chefs; on les redoutait, on épiait leurs démarches; et chaque jour on me faisait des rapports sur leurs discours et leurs actions. Je fis venir à la préfecturé quatre d'entre eux; je leur parlai avec franchise; je leur dis qu'il fallait absolument que je connusse avec certitude s'ils étaient ennemis déclarés du gouvernement. Ils ne dissimulèrent pas leurs vrais sentiments. Mais l'un d'eux me dit qu'ils étaient touchés de ma conduite envers eux; qu'ils me le prouveraient si l'occasion se présentait, et qu'ils feraient pour moi ce qu'ils ne feraient peut-être pas pour le

gouvernement.

Quelques jours après cette observation, ils me dirent que Murat, qui venait de perdre la couronne des Deux-Siciles, était caché dans une maison de campagne à l'extrémité du département, et peu éloignée de la mer. Ils désignaient

et nommaient cette maison; ils en faisaient une description très-détaillée. Je les remerciai de leur avis, mais je n'en crus pas un seul mot.

Je savais bien que Murat avait débarqué, à la fin de mai, au même endroit que Bonaparté à son retour de l'Egypte, et qu'il était dans une maison de campagne aux environs de Toulon lorsqu'il apprit la bataille de Waterloo. Il avait demandé à lord Exmouth de le recevoir sur sa flotte, et de le faire conduire en Angleterre. L'amiral consentait à le recevoir, mais en déclarant qu'il ne pouvait lui rien promettre sur sa destination. Je savais aussi que Murat avait alors erré quelque temps dans les environs de Toulon; mais je croyais, d'après le bruit public, qu'il s'était embarqué pour la Corse, ou pour l'Italie. Peut-être ses partisans répandaient-ils ce bruit afin qu'on l'oubliât et qu'on ne le fît point chercher.

que

c'é

Quoique je ne crusse point que l'avis dont j'ai parlé fût sincère, j'en conférai avec le commissaire de police; il pensa comme moi tait une pure invention pour se faire valoir par un prétendu service. Nous crûmes néanmoins qu'il ne fallait rien négliger pour s'assurer de la vérité, et nous concertâmes les mesures nécessaires. L'officier de police et le détachement

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