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dans les deux années suivantes, notre gouvernement a été influencé, souvent même dirigé de la manière la plus funeste par des ambassadeurs étrangers. Ils n'avaient pas une idée juste de l'état de la France, au moment où le roi y. est entré pour la seconde fois. M. Fiévée a fait sur cette ignorance une observation remarquable que je citerai bientôt. Je crois que des hommes accoutumés aux formes et à la marche de la diplomatie, contractent des habitudes, et se nourrissent de pensées qui sont le plus diamétralement opposées à l'art de gouverner. Ces habitudes et ces pensées se réduisent à des finesses, à des subterfuges, à des dissimulations, et souvent à des tromperies, toutes choses contraires à la fermeté, à la décision, à la promptitude de résolution, la ligne droite qu'il faut suivre dans le gouver nement d'un peuple libre. Les ambassadeurs attendent toujours des instructions, n'osent rien changer à celles qui leur sont données, craignent de les mal comprendre, n'osent pas les interpréter admirable moyen pour former des esprits irrésolus et très-peu justes. Car, en politique, la justesse de l'esprit se forme par l'action, parce que l'action seule donne la véritable expérience.· Elle ne peut venir que de la comparaison continuelle que fait un homme agissant, des causes et

des effets. Il se forme ainsi lui-même aux grandes affaires. Il ne peut se former autrement.

La personne qui a le plus influé sur les destinées de la France est M. le duc de Richelieu. J'ai dit librement ce que je pense de sa conduite ministérielle. Et pourquoi n'aurais-je pas le droit d'en parler librement? Il serait singulier qu'on eût le droit très-juste, très-convenable, d'écrire dans des journaux, dans des brochures, tout ce qu'on pense de mon administration, et que je n'eusse pas le droit de dire ce que je pense de la conduite d'un homme constamment opposé à la marche que j'avais adoptée et aux principes que je suivais. D'ailleurs, qu'a fait M. de Richelieu pendant mon ministère? Il portait touts les jours un jugement précipité sur ma conduite; il la blâmait, et enfin il a entraîné contre moi un roi qui m'a témoigné jusqu'au dernier moment la glus grande confiance. C'est lui seul qui, en s'appuyant sur une opinion étrangère, a déterminé le roi. Des personnes qui connaissaient la confiance dont ce prince m'honorait, m'ont reproché de n'avoir pas sçu me maintenir dans. le ministère. L'une d'elles, que sa place faisait admettre à une sorte d'intimité dans de certains moments, a fondé sur quelques mots, sur quelques phrases échappées au roi, le grave reproche

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de n'avoir point fait ce qu'il aurait fallu, et ce qui m'était tracé par la confiance du roi, pour conserver ma place.

On dira peut-être que ce récit est publié après la mort de M. de Richelieu. Je réponds que je n'attaque point sa personne, sa probité, ses qua-", lités estimables; j'attaque ses erreurs politiques, ét j'en montre les résultats.. Lorsque je sortis du ministère, un député magistrat prononça d'un ton solemnel : « C'était le meilleur préfet de la France; on en a fait le plus mauvais ministre. >> Ce monsieur était bien le maître de faire cette antithèse; et j'en ai beaucoup ri. Un personnage attaché à M. de Richelieu, disait : « Voyez comme on fait les choix. Parce qu'un homme est un bon préfet, on en fait un ministre; et il était prêt à' bouleverser la France. »' Cette espèce' de' diplo“ mate avait le droit de dire ce qu'il pensaît; et comme on m'assure qu'il écrit des Mémoires,' je ne doute pas que je n'y sois peint comme un mauvais génie qui aurait détruit la monarchie, si' on l'avait laissé continuer le travail' qu'il avait' si malheureusement commencé. Ce qu'on a dit',' ce qu'on dira' de moi pendant ma vie et après ma mort, j'ai le droit de le diré d'un autre. Je souhaite seulement qu'on soit aussi júste envers moi que je l'ai été envers M. de Richelieu!

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D'ailleurs et enfin, s'il est un droit certain

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pour

dans un pays le droit d'en appeler au libre, d jugement de ses Contemporains; s'il est un sentiment noble et permis, c'est celui qui porte, dans les temps extraordinaires où nous sommes, un royaliste à exposer sa conduite au parti royaliste, et à lui prouver ainsi combien il a désiré et désire encore mériter son estime. Si j'avais fait pour le parti libéral la centième partie de ce que j'ai fait soutenir et fortifier le parti royaliste, je scais combien de louanges et de félicitations j'en devrais attendre, et combien j'en recevrais; mais, du parti royaliste, on ne peut attendre qu'une faible justice, encore faut-il l'arracher par l'exposition évidente de la vérité. Lorsque je me présentai au roi, en arrivant à Paris, il me dit : « Je vous avais bien dit que je ne vous laisserais pas long-temps à Marseille. » Il me témoigna la plus grande confiance, et dans des termes qui me prouvèrent qu'il n'avait pas oublié les Mémoires que j'avais écrits à Gand. Il se rappelait, dans les commencements, les principes que j'y avais développés; mais bientôt ils furent oubliés.

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Je commençai mon ministère par une circulaire adressée aux préfets des départements. La France était alors dans une situation singulière

et bien grave. Le roi était rétabli une seconde fois sur son trône, mais par cinq cent mille étrangers. Presque toute l'armée et un grand nombre de fonctionnaires publics s'étaient déclarés contre lui pendant les cent-jours. Plusieurs d'entre eux avaient opposé à sa rentrée tous les obstacles qui avaient dépendu d'eux. Je pensai qu'il fallait me prononcer fortement au nom du roi, et ne laisser dans les esprits aucune hésitation sur mon opinion personnelle et sur la marche que je suivrais dans une administration qui avait une si grande influence sur l'esprit public. Voici la circulaire adressée aux préfets, datée du 2 octobre 1815:

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« Le roi a bien voulu me confier le porte« feuille du ministère de l'intérieur. J'ai tourné << aussitôt mes regards vers vous. J'ai pensé qu'au «<< sentiment impérieux de vos devoirs, vous join<< driez le désir bienveillant de seconder un mi«nistre qui a vieilli dans la carrière que vous « parcourez. Sa Majesté honore par ce choix la « place que vous occupez, et vous annonce ainsi l'importance et le prix qu'elle met à vos tra

(<vaux.

<< Jamais l'administration ne fut plus difficile ; << jamais aussi elle ne prépara plus de gloire à «< celui qui en remplira dignement les fonctions.

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