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pelait le cardinal. Il eut le malheur de s'écrier : C'est un nom ministériel. Ce mot frappa l'empereur. Il en conclut apparemment qu'il inspirerait de la confiance; il ne fit plus de difficultés. Ce mot fut répété; c'était la réponse qu'on faisait à ceux qui n'approuvaient point la conduite politique de ce ministre. On s'aperçut bientôt qu'il avait du penchant à relever la démocratie; on s'en plaignait. La tourbe répondait : « C'est un << honnête homme, un nom européen, un nom « ministériel. » Après mon ministère, lorsque la démocratie fut plus que jamais encouragée, je répondis à un homme qui répétait cette phrase: « Si l'on veut un nom européen, qu'on prenne «< un Rohan ou un Montmorency; si un nom mi<< nistériel, un Sully ou un Colbert. »

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On m'a accusé, et M. Guizot surtout, de vouloir opérer une contre-revolution; accusation vague, insignifiante, comme tout ce qui se dit dans Paris. Gouverner avec fermeté, environner la faction de mille entraves, lui opposer l'autorité, en la rendant ferme, décidée, et en la tenant toujours en haleine, voilà quel fut mon crime, comme on le verra bientôt. C'était le ministère précédent qu'il aurait fallu accuser du projet de tout changer, lui qui, par une ordonnance et par une circulaire de M. Pasquier, garde

des-sceaux, annonçait le dessein de changer quatorze articles de la Charte. Ils devaient être soumis à la révision du pouvoir législatif. Je fis un court rapport sur cet objet, dans le conseil des ministres, et je conclus contre les projets de changement, uniquement par haine des innovations; car plusieurs des changements proposés m'auraient paru très - utiles. D'ailleurs, j'ai toujours pensé qu'on pouvait très-bien gouverner avec les imperfections de la Charte, et gouverner très-mal après l'avoir perfectionnée.

C'était à l'instant même de la rentrée du roi en France qu'il aurait dû faire ces changements lui-même, et j'en avais conseillé plusieurs pendant les cent-jours; mais les proposer aux Chambres, c'était ouvrir une source intarissable de discussions, et les jeter dans des raisonnements spéculatifs qui auraient enfanté deux ou troit cents discours écrits.

Je proposai au roi, dans le même temps, d'ordonner qu'on se bornât, le 21 janvier, à lire dans les églises le testament de Louis XVI. C'était bien annoncer le dessein d'empêcher qu'on ne se servît de ce jour à jamais exécrable pour exciter les haines et enflammer les passions; mais la faction voulait plus : elle aurait voulu qu'au'cun acte public, aucune délibération n'eût rap

pelé ce qu'elle avait fait et ce qu'elle pouvait faire encore. Elle était merveilleusement secondée par les hommes d'un parti mixte qui environnaient M. de Richelieu, et par ces honnêtes gens qui craignent toujours qu'on n'excite la faction contre eux, qui s'imaginent qu'il n'y a point de bonheur sans un repos absolu, et qu'ils en jouiront si on laisse la faction suivre sans contrainte ses desseins et sa marche.

Dans les premiers mois de cette session, la Chambre élective eut l'occasion de rendre une justice éclatante aux jeunes élèves de l'Ecole de droit, qui s'étaient armés pour la cause royale, et avaient suivi le roi. M. Hyde de Neuville, serviteur infatigable de la couronne dans les temps les plus dangereux, qui cent fois avait exposé sa vie et détruit sa fortune dans ses nobles combats contre les révolutionnaires, témoin de leur zèle pendant les cent-jours, fut le digne interprète des sentiments de la Chambre. Il peignit avec ce noble abandon de l'âme, qui le caractérise, le patriotisme, la fidélité et la belle conduite de ces jeunes gens; il exprima les sentiments de la France envers eux, et la reconnaissance que leur devait la patrie. Il fut secondé par MM. Marcellus, Michaud, Pasquier et Pardessus...

Le 1er janvier 1816, seize cents élèves de cette Ecole offrirent leurs vœux de bonne année au monarque et à sa famille. Le roi leur répondit du ton d'une affection paternelle. MONSIEUR exprima sa reconnaissance, et celle de la France, par des phrases nobles et aimables, empreintes d'une loyauté qui enchanta ces jeunes Français. Combien il eût été facile d'entretenir cette Ecole dans les sentiments qui l'animaient alors!

Peu de jours après mon entrée au ministère, je réunis touts les chefs de division, afin de leur expliquer mes principes d'administration et l'ordre de mon travail. Les ministres précédents travaillaient directement avec les chefs de division; un jour était fixé par semaine, et même par quinzaine. Je leur annonçai que, touts les jours, à six heures, un huissier irait prendre touts les portefeuilles, et les porterait dans mon cabinet; que le lendemain, à midi, ils leur seraient remis. Ils furent très-étonnés; ils m'assurèrent que les affaires journalières étaient trop nombreuses, et que je ne pourrais les expédier. Ils me firent bien des représentations, chacun me présenta ses idées. Je leur dis que depuis quinze ans je travaillais ainsi, et que je continuerais. J'ajoutai que je les ferais venir lorsque j'aurais besoin de renseignements particuliers;

III.

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mais seulement alors. J'étais levé touts les jours à six heures du matin. Les quinze portefeuilles étaient finis à midi. Je prenais alors ma corres pondance particulière, adressée à moi seul; et j'y répondais. Lorsque des affaires présentaient quelques difficultés, je les mettais à part, afin dẹ m'en occuper le soir du même jour. Je regardais comme la chose la plus essentielle de terminer journellement la multitude des petites affaires qui ne présentent aucune difficulté, mais dont la masse est de la plus grande importance, quoique chacune en particulier n'ait aucune importance par elle-même. Il ne faut jamais que les affaires difficiles arrêtent ou suspendent l'expédition de celles qui ne le sont pas.

C'est à cet ordre de travail que j'ai dû l'activité prodigieuse de mon administration. Je ne crains point de me servir de cette expression. Mon activité a été trop connue et trop souvent citée, pour que je craigne d'en parler. Je sçavais par expérience que les affaires difficiles sont en petit nombre, je les séparais toujours. Peut-être n'y en avait-il pas deux par jour. Quant aux autres affaires, je les distinguais en deux classes; celles qui ne demandaient que la signature et celles qui exigeaient un moment d'attention. Ma longue habitude de l'administration me faisait

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