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y exerçait l'espèce d'autorité que Napoléon avait déléguée aux sénateurs qu'il avait envoyés dans les provinces. Il s'était empressé de reconnaître l'autorité qui agissait au nom du roi; il n'avait opposé aucune espèce d'entrave, et je déclarai que sa conduite avait été telle qu'il l'exposait.

M. Decazes eut aussi l'occasion de parler au roi de la situation personnelle du frère du général Bertrand. Je ne me rappelle pas s'il avait été arrêté, ou mis en surveillance dans le Berri. Je rappelai au roi que le général avait refusé de contresigner un décret de proscription fait par Bonaparte contre douze personnes qui avait éminemment servi le trône pendant les cent jours. Je parlai au roi de la reconnaissance que je devais à ce général, qui s'était exposé, en 1792, à la fureur du peuple qui me menaçait, de l'amitié qui m'avait toujours uni à lui, et que je ne désavouerais jamais. Je rappelai au roi que je lui en avais parlé à Gand, et je le priai de m'accepter pour caution de la conduite du frère de ce général. Le roi y consentit de la manière la plus gracieuse.

Ces trois affaires me furent amèrement reprochées par d'honnêtes royalistes de la cour et de la ville, en même temps que les factieux exha

laient leur mécontentement sur les remplacements des fonctionnaires de l'ordre administratif. Je concevais ce ressentiment des ennemis de la restauration; je concevais aussi les reproches des bons royalistes, parce que je connaissais depuis trente ans leur caractère, admirable dans leurs affections personnelles et domestiques, mais qui les rend incapables d'être justes, bien moins encore d'être reconnaissants envers les hommes qui soutiennent leur parti. Ils sont ainsi faits. Ils vérifient touts les jours le mot du cardinal de Richelieu dans un discours adressé à Louis XIII, où il dit, en citant César parlant des Gaulois, « que les Français ne se souviennent ni des bien« faits ni des injures. »

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CHAPITRE II.

Remplacement de plusieurs préfets. Évasion de M. de la Valette. Proposition à ce sujet. Loi de l'amnistie. Discours contre les ministres. Ma réponse. Premières préventions contre le parti royaliste de la Chambre élective. Bonté de Louis XVIII envers elle. Différence d'opinion entre M. de Richelieu et moi. Mauvaise manière de composer les ministères pendant la restauration. Elle a été une des causes de nos malheurs.

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LES esprits étaient alors dans une extrême agitation; cela ne pouvait être autrement, après tant de crises politiques en sens divers. Les royalistes de la Chambre étaient alarmés par la correspondance active des provinces, et venaient sans cesse m'instruire de leurs alarmes. Le mi

nistère précédent avait conservé en place des préfets qui s'étaient déclarés contre le roi pendant les cent-jours. C'était surtout contre eux que portaient les dénonciations des députés. Ils me remettaient les proclamations faites par ces préfets. Elles étaient remplies d'outrages envers le roi et la famille royale. Je ne cherchais pas à les connaître, je ne les demandais pas; mais lorsqu'elles étaient mises sous mes yeux, il m'était impossible de ne pas m'en occuper.

L'un d'eux avait changé de département à la seconde restauration. Il s'y conduisait très-bien. Mais il avait publié des proclamations très-contraires au roi dans le département qu'il avait administré d'abord. Il devait sa place au roi, il avait servi dans l'armée de Condé, il était chevalier de Saint-Louis. On m'envoya ces malheureuses proclamations. J'en fus surpris et affligé. Je les gardai dans mon cabinet, et je n'en parlai personne. Mais ceux qui me les avaient adressées, en parlèrent peut-être, et annoncèrent sa destitution. Je présume du moins que le bruit s'en répandit de cette façon.

à

Les députés de son département me témoignérent leurs craintes, et m'en firent le plus grand éloge. Ils ne me parlèrent pas des proclamations. Je vis bien qu'ils ne les connaissaient pas. Comme

je les connaissais, je ne pus leur répondre qu'avec une extrême réserve. On conçoit qu'il m'était impossible de les rassurer entièrement; ils vinrent plusieurs fois à la charge; je les priai de m'accorder quelque confiance, et de croire que si je voulais être juste envers touts les préfets, ce devait être surtout envers un émigré et un ancien chevalier de Saint-Louis. Ils parlèrent de leurs démarches auprès de moi; le bruit s'en répandit dans la Chambre; ils se plaignirent; ils faisaient ainsi le plus grand tort à celui qu'ils défendaient. L'attention fut réveillée; et l'on parla des proclamations. Les mêmes députés regardèrent ces bruits comme des calomnies; et sans prendre d'informations, ils me parlèrent avec force, furent mécontents de mes réponses prudentes et circonspectes, et allèrent jusqu'à me reprocher de me laisser tromper. Je leur renouvelai ma prière d'avoir plus de confiance en moi, et je les conjurai de ne plus me parler de cette affaire. Ils insistèrent encore plus. Leurs interpellations furent si inconvenantes et leurs reproches si vifs, que je ne pus rester plus long-temps dans la ligne de conduite que je m'étais tracée. Je les priai de m'attendre un moment, et j'allai chercher les déplorables proclamations.

Je leur dis en les abordant : « Vous me forcez

III.

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