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tues, des bas-reliefs et autres objets du même genre qui lui avaient appartenus; on les avait enlevés de Chantilly et transportés dans des maisons publiques. Je fis un rapport au roi, et je concluais par demander la restitution des objets réclamés. M. de Richelieu s'y opposa, et sans réflexion, uniquement pour paraître opposé à ce qu'il appelait un nouveau bouleversement. En vain je dis au roi : « Je demande pardon à Votre << Majesté de citer devant elle les lois de Bona<< parte sur une chose aussi simple. Il a ordonné « de rendre aux émigrés les maisons non ven« dues, même les bois d'une certaine étendue; on «a, d'après ce principe, restitué des livres, des << tableaux et autres objets d'arts non vendus. «J'ai fait moi-même de ces restitutions sous l'em

pire. Il me paraît impossible et peu convena<< ble de forcer, par un refus, les émigrés, et sur« tout M. le prince de Condé, à réclamer, auprès << du roi, la protection des décrets de Bonaparte. >>

M. de Richelieu persista dans son opposition. Il s'écria : « Que de choses d'un grand prix je <«< pourrais réclamer! » Je lui répondis qu'il en avait le droit, si elles n'étaient pas vendues, et qu'il pouvait aussi en faire le sacrifice, s'il le jugeait convenable; mais que toutes les réclamations semblables ne pouvaient être refusées. Il

persista toujours dans son refus. Je voyais clairement qu'il jouait un rôle qu'il s'était imposé à lui-même, celui de protecteur des choses faites par la révolution, et existantes alors. C'était en cela qu'il mettait envers moi toute sa fermeté, depuis qu'il ne s'occupait plus de la nomination des préfets. J'étais bien sûr qu'il ne se relâcherait point. Je voyais sur le visage du roi qu'il était surpris et mécontent. Je saisis ce moment; et en le regardant, je mis les papiers dans mon portefeuille, et je gardai un silence obstiné. Le roi me comprit très bien; j'en eus la preuve le soir du même jour.

En sortant du conseil, je trouvai, dans le salon des Tuileries, un officier de la maison du prince de Condé. Il m'attendait, et il me demanda si la demande était accordée. Je lui répondis qu'elle ne l'était pas encore, mais qu'elle le serait certainement le soir même.

J'arrivai à neuf heures du soir chez le roi avec toutes les preuves que j'avais pu rassembler de restitutions semblables. Je lui dis que je n'avais pas voulu le fatiguer par une trop longue insistance envers M. de Richelieu. Il m'écouta attentivement, et approuva avec plaisir l'ordonnance que je lui présentais. M. le prince de Condé la reçut avec une grande satisfaction, et me la té

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moigna plusieurs fois. Parmi les objets qui lui étaient rendus, il en était qui, depuis des siècles, appartenaient à sa maison, et qui rappelaient des souvenirs attachants. Je demande comment il était possible de refuser à un Condé des portraits, des bustes, des bas-reliefs qui représentaient des princes de sa maison?

M. de Richelieu était, sous un rapport particulier, dans une position très-fausse; il n'était point premier ministre, mais seulement président du conseil des ministres. Cependant il paraissait quelquefois vouloir agir comme premier ministre; et ce désir, contrarié par ses talents personnels et par la situation toujours critique de la France, donnait à ses démarches, à ses discours un certain embarras qui réagissait sur lui, le fatiguait, et lui donnait de l'humeur. Quels eussent été ma satisfaction et mon bonheur, si j'avais vu en lui un esprit inébranlable, constamment occupé de l'établissement de la monarchie! avec quel empressement je lui aurais soumis touts les actes de mon ministère, demandé ses conseils, et même sa direction!

Toutes ces observations peuvent être utiles; elles apprennent comment on doit composer un ministère dans un gouvernement représentatif, lorsque le roi ne gouverne pas lui-même. Il faut

nécessairement que les ministres se connaissent;

que

leurs opinions soient les mêmes; qu'ils se choisissent mutuellement. En Angleterre, on a essayé plusieurs fois de former des ministères mixtes; ils n'ont jamais réussi. Guillaume III persista dans cette marche. Mais, malgré son génie, elle ne put réussir; elle fut même pour lui une source de dégoûts et de chagrins. Georges Ir eut une conduite opposée; elle réussit, et fut une des causes qui affermirent la maison d'Ha

nôvre.

On emploie quelquefois plus de huit jours à former un ministère en Angleterre. Quand le roi en a chargé un homme à qui il accorde sa confiance, celui-ci entre en négociation avec les personnes qu'il croit pouvoir désigner au roi. On confère, on déclare son opinion, on annonce ses conditions. Il est arrivé plusieurs fois que ces négociations franches et loyales amenaient une correspondance qu'on rendait publique. Combien a été différente la marche suivie pendant la restauration à chaque changement de ministère! Je la désigne ici comme une des causes de nos malheurs.

Si le ministère dont je parle avait été formé après des entretiens entre M. de Richelieu et moi, j'aurais certainement refusé d'y entrer; et

d'après les sentiments du roi en ma faveur, j'ai tout lieu de croire qu'il m'aurait appelé dans un autre moment où j'aurais été plus utile à la monarchie.

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