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CHAPITRE III.

Proposition de faire remplacer à Paris
les troupes étrangères par des gardes nationales.
Traité de Paris. Négociations.

Je vais parler du traité de 1815. Toutes les observations qu'on va lire étaient écrites en 1816. Je les ai lues à plusieurs personnes. Dans touts les entretiens où j'ai entendu parler de ce traité, j'ai toujours dit hautement et avec force, ce que j'en pensais, et toujours dans le sens de ces observations je n'y ai rien changé. Ce qui m'a le' plus déterminé à les écrire, est le reproche que m'adressaient quelquefois mes amis même, en

me disant au sujet de ce traité : «Vous étiez un des membres du ministère sous lequel il a été conclu. » Je leur répondais qu'aucun des ministres ne fut consulté et ne délibéra sur les articles. Jamais je n'en ai entendu lire un seul dans le conseil, excepté dans le grand-conseil privé, dont je parlerai; mais alors tout était consommé.

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M. le prince de Talleyrand s'est félicité plus d'une fois de n'avoir pas signé le traité de Paris; il a fait entendre, m'a-t-on dit, qu'il n'avait quitté le ministère qu'afin de ne pas subir cette honte. Si tel fut son motif, on doit l'approuver en lui-même; mais on doit regretter qu'il n'ait pas gardé sa place, afin de conduire les affaires de manière à ne pas se voir forcé à de semblables conditions, ainsi qu'il avait fait à la première restauration. J'ai toujours été convaincu. que c'eût été très-possible: mais il aurait fallu, dès l'entrée des alliés et du roi en France, après la bataille de Waterloo, se rappeler la belle pensée nationale qu'avait eue MONSIEUR à Gand, et l'ordonnance rédigée d'après elle par M. de Capelle; il aurait fallu une conduite et un langage analogues à un plan déterminé, avec la ferme resolution de ne s'en pas écarter un seul instant. Après avoir annoncé cette détermination, on auraît montré en toute occasion la conviction pro

fonde et raisonnée que les alliés n'avaient point combattu Bonaparte pour l'intérêt du roi et de lá France, mais pour leur propre intérêt ; que c'était leur cause qu'ils avaient défendue; qu'ils ne pouvaient l'abandonner; que s'ils l'avaient abandonnée, ils se seraient exposés à de nouveaux périls, plus grands peut-être encore que les dangers de l'année précédente; que les alliés, combattant ainsi pour leur propre cause, avaient eu un auxiliaire puissant dans le roi de France, puisqu'à sa voix seule toutes les places fortifiées avaient reçu les alliés, et que son hom seul empêchait aussi les débris de l'armée française, ralliés vers la Loire, d'augmenter en nombre, de résister aux alliés, et de recommencer

la guerre; que la position des alliés, à la première restauration, leur était bien plus favorable qu'à la seconde, puisqu'alors ils n'avaient point de craintes à concevoir sur l'armée française; que cependant alors ils n'eurent point la prétention d'exiger d'immenses dédommagements en argent, et ne demandèrent qu'une indemnité de cent millions; que bien loin de vouloir alors un sacrifice en territoire, ils avaient agrandi l'ancien territoire de la France; que ce qui était juste à la première restauration l'était plus encore à la seconde, puisque l'imprévoyance seule des alliés

avait permis le retour de Buonaparte, en le plaçant dans une île si voisine de la France.

Un tel plan était bien facile à concevoir; il ne fallait qu'un peu de magnanimité dans le cœur, et dans l'esprit une fermeté très-ordinaire. Le plan une fois formé, toute la conduite du gouvernement devait y être conforme. Ainsi, aucun ordre n'aurait été donné à une place de guerre d'ouvrir ses portes aux alliés sans une correspondance préalable, dans laquelle on aurait constaté, d'une manière convenable à la dignité de la couronne, que la cause du roi et celle des alliés étaient une seule et même cause.

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Une semblable conduite aurait aplani touts les obstacles. On se rappelle que lorsqu'une partie de l'armée prussienne marcha vers la Bretagne, et voulut d'abord y faire entendre le langage de l'autorité, elle céda sagement et même honorablement, en prenant une résolution flatteuse pour les Vendéens, par le don d'une épée qu'elle offrit au jeune Larochejaquelein, en mémoire de la fidélité et des exploits de sa famille. M. de Grisel Desolles, d'autres députés du Morbihan et l'évêque, furent introduits par M. le comte de Bertier auprès du général prussien Gneisenaw; ils obtinrent que leur pays serait exempt de réquisitions. J'oserai citer aussi ma conduite,

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dont j'ai donné les détails, envers le général autrichien, pendant que j'étais à Marseille. Ce général, comme les officiers prussiens, eut une conduite très-noble; mais elle fut la suite nécessaire de ma fermeté. Il en est toujours ainsi dans les grandes affaires; la magnanimité appelle la magnanimité. On ne veut point céder en grandeur d'âme; on veut au contraire l'emporter, plutôt que d'être vaincu dans cette généreuse rivalité.

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Si le roi, en ordonnant de pourvoir à touts les besoins de l'armée alliée, ainsi que le voulait l'ordonnance dont j'ai parlé, en ordonnant la réception des alliés dans des places fortes, avait toujours bien constaté par ses paroles, comme par la correspondance de ses ministres ́, qu'il agissait en faveur de ses alliés, comme les alliés en sa faveur; que c'était une seule et même cause, je le répète, mais qu'il ne ferait rien de plus, et qu'il ne fallait pas attendre qu'il exigeât d'autres sacrifices de son peuple, qu'il ne le pouvait pas, qu'il n'en avait pas même le droit, qu'auraient pu faire les alliés? Auraientils fait la guerre au roi de France? Ils auraient eu la France entière contre eux; l'armée de la Loire se serait promptement renforcée. Il était absolument impossible que les alliés en vinssent

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