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chaient à exciter des troubles, sous le prétexte dés persécutions religieuses.

Je suis persuadé, comme je l'étais alors, que les démarches singulières de quelques Anglais provenaient des délibérations de la société biblique. On sait combien des hommes réunis s'échauffent mutuellement. Une société de cette espèce croirait se manquer à elle-même, si elle ne faisait rien. On veut donc faire quelque chose, se donner de l'importance; et des hommes qui, s'ils étaient isolés, seraient bien tranquilles, une fois réunis et délibérant, se porteront insensiblement à des démarches ou ridicules ou funestes.

Cette société écrivit aux ministres protestants de la France. J'en fus instruit; et le 17 janvier, j'adressai la lettre suivante à tous les préfets:

« Une circulaire imprimée, et datée de Lon« dres, a été adressée par une prétendue société << protestante aux ministres protestants français. « Cet écrit, sous prétexte de persécutions qu'il « suppose, peut répandre des inquiétudes parmi «<eux, et les exciter à l'émigration.

«J'ai sous les yeux des réponses adressées à << cette société par MM. les présidents de plusieurs consistoires : toutes sont remarquables (( par le bon esprit qui les a dictées, par les sen<< timents qu'elles expriment; et je ne doute

pas

« que celles qui ne me sont point encore parve« nues, n'aient repoussé avec la même indigna«<tion ces insinuations dangereuses.

« Je vous prie, monsieur, de m'envoyer une << copie de toutes ces réponses; je les mettrai << sous les yeux du roi : Sa Majesté y verra avec << satisfaction des témoignages non équivoques de << la confiance des protestants dans son gouverne<«ment, de leur attachement à sa personne, et <«< de leur amour pour la patrie. Les protestants << peuvent compter sur la protection du roi; il <<< ne voit dans ses sujets, de quelque religion « qu'ils soient, que des enfants auxquels il porte « une égale affection. ›››

Le 17 février, j'écrivis une seconde circulaire à touts les préfets. On inspirait des craintes aux protestants sur leur culte et sur leur avenir. Un des plus funestes effets des malheurs publics est de laisser dans les âmes une inquiète méfiance, que le temps seul peut calmer. La faction connaissait ces profondes impressions, et mettait touts ses efforts à les exciter et à les augmenter elle sçavait toute la force qu'elle donnait à son langage, en parlant au nom des croyances religieuses. Il n'est point d'influence plus funeste dans un Etat il était important de la prévenir, de la combattre, de l'effacer; j'en étais sans cesse

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occupé. M. le duc d'Angoulême avait fait tout ee qui était humainement possible pour rassurer les protestants; il avait promis 15,000 fr. pour contribuer à racheter les églises catholiques, dont les protestants étaient en possession : cet arrangement était désiré par les hommes les plus sages des deux religions. Les protestants auraient bâti un temple avec le prix du rachat. Les discours et les lettres du prince annonçaient fortement la conservation du principe de la tolérance. Dans ma seconde circulaire, j'ordonnai, au nom du roi, aux préfets d'avoir de fréquentes relations avec les chefs des consistoires, les ministres et les principaux citoyens du culte réformé, et surtout de leur faire sentir combien seraient coupables les personnes qui pourraient invoquer ou accepter des secours de l'étranger.

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Le président du consistoire de Montauban écrivit à M. le duc d'Angoulême, qui était alors à Bordeaux, et en reçut cette réponse, qui fut insérée dans le Moniteur:

«< M. Frossard, j'ai eu le plaisir de recevoir la « lettre que vous m'avez écrite, signée par vous << et par touts vos collègues. Je suis très-sensible << aux sentiments que vous m'exprimez, à la com«<munication que vous me donnez de la circu«laire que vous avez reçue d'Angleterre, et à

« l'effet qu'elle a produit sur vous. Je suis bien << aise de voir que vous rendez parfaitement jus<«<tice aux intentions paternelles et à la sollici<< tude du roi à votre égard, sentiment que nous << partageons touts. Nous sommes touts Français; « nous n'avons qu'un désir, celui du bonheur de « notre patrie, etc. »

J'avais reçu toutes les réponses des consistoires à la circulaire de la société anglaise : elles étaient telles que je pouvais le désirer. J'en rendis compte au roi, qui en fut très-satisfait. J'en fis envoyer des extraits à Londres: ils furent insérés dans un journal, et servirent à couvrir de ridicule la société biblique. Elle cessa ses délibérations et ses intrigues, pendant le reste de mon ministère; mais, après ma sortie, elle les recommença. Un docteur Perrot, Anglais, se rendit à Nîmes, y prit des renseignements conformes à ses idées, et publia un livre dangereux, dans lequel il avait inséré une liste des protestants qui, suivant lui avaient été victimes des fureurs des catholiques. Il demanda l'appui de MTM de Staël, qui s'occupa vivement de cette affaire. Toutes ces intrigues amenèrent la destitution de M. d'Arbaud de Jouques, préfet de Nîmes: il s'était toujours conduit avec la plus grande sagesse, et sans jamais s'écarter de la ligne que lui avaient tra

cée le duc d'Angoulême et mes circulaires. Ces affaires de protestants furent encore une .malheureuse source de débats entre M. de Richelieu et moi. Il voyait des persécuteurs effrénés dans les catholiques. Je n'ai jamais observé un esprit plus susceptible de préventions, et plus difficile à ramener; je l'essayai cependant un jour. J'avais en main tous les documents propres à l'éclairer. Je commençai une lecture qu'il écouta avec humeur et impatience; je lui donnai les papiers, par un mouvement très-vif, en lui disant: «Eh bien! monsieur, lisez, puisque vous ne voulez pas écouter. Je vous prie de commencer par cette lettre de M. le général de Lagarde, votre ami; vous devez avoir quelque confiance en lui: voyez ce qu'il raconte des derniers évènements, et comment il les juge. » Il prit quelques papiers seulement, les parcourut avec un air distrait, et me les rendit sans merien dire. Dans le nombre, cependant, était une lettre du duc d'Angoulême, datée de Nîmes; il y faisait l'éloge du préfet, du général et du maire : c'étaient MM. d'Arbaud de Jouques, de Lagarde et de Vallongue. Le prince avait vu toutes les autorités ensemble et à part; il les avait interrogées, ainsi que touts les protestants qui s'étaient présentés devant lui, et principalement les ministres de leur culte; il ne voyait dans les

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