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piration. Aussi fut-elle applaudie d'une façon qui lui fit comprendre qu'elle avait enlevé les spectateurs; et elle le témoigna par la manière dont elle s'inclina pour les remercier. Il ne m'en coûtait que quinze sous pour entendre un chant si admirable.

Quelques jours après, je retournai à ce même opéra de Gédéon. La toile se lève; j'entends le second acte; je crois me tromper; j'écoute plus attentivement encore; j'interroge un Italien assis près de moi : il me dit que le grand-duc avait entendu le premier acte seulement, le dimanche précédent; qu'il s'était retiré après ce premier acte, parce qu'il avait l'habitude de se retirer toujours à cette heure dans ses appartements; qu'il avait été si content de la musique, qu'il avait voulu entendre le second acte, et que par cette raison, on avait commencé par cet acte. Cela paraissait tout simple aux Italiens, parce qu'ils ne vont pas à l'opéra pour entendre les paroles, ni pour suivre une action dramatique, comme nous autres Français, mais pour jouir de la musique. Aussi, n'écoutent-ils que les beaux airs et les grands chanteurs; ils causent pendant tout le reste de l'opéra, et ne donnent pas la moindre attention à ce récitatif si monotone, dont nous ne perdons ni un son ni une parole. J'ai souvent en

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tendu des Français témoigner leur surprise de cet usage. J'ai cru voir que la différence de l'usage des deux peuples vient de la différence extrême de leur goût pour la musique. Nous mettons plus d'intérêt à l'action, parce que nous en mettons moins à la musique. L'Italien a pour elle un goût trop passionné, pour s'occuper d'une action, toujours très-imparfaite, à cause des bornes de l'art; mais quand il assiste à une tragédie ou une comédie, il l'écoute comme nous, avec la plus grande attention.

A la fin de cet opéra, le vainqueur parut sur un char attelé de quatre chevaux. Ils firent sans gene ce que leur demandait la nature; ils remplirent la salle d'une odeur particulière; il fallut que des valets vinssent le balai à la main. Ce n'était ni beau ni agréable. Combien toutes ces imitations d'un triomphe, ces chars, ces chevaux sont au-dessous d'une belle musique, ou d'une poésie qui parle à l'âme, et qui attache par la peinture des passions!

J'assistai plusieurs fois à un spectacle qui m'étonna beaucoup. Des jeunes gens jouaient des tragédies, comme amateurs. On me dit que c'é taient des tailleurs, des couturières et d'autres artisans. Ils jouaient des tragédies françaises, traduites en italien. Je vis Sémiramis et Mahomet. Les vers de Mahomet étaient rendus presque lit

téralement. En les écoutant je répétais, dans ma mémoire, les vers de l'original. La manière dont jouaient ces jeunes gens, prouve l'aptitude singulière qu'ont les Italiens pour touts les arts.

Au printemps, une troupe de comédiens succéda à l'opéra. Je vis jouer plusieurs comédies de Goldoni. Les principaux acteurs avaient un jeu franc, net, décidé, sans aucun art apparent, sans aucune grimace ni affectation. La première actricé était semblable, dans son jeu, à celle que j'avais vue à Turin dans les pantomines. Douée de touts les charmes que la nature peut accorder à une femme, elle était sur le théâtre, telle qu'elle était chez elle dans les actions ordinaires. Je suis persuadé qu'elle n'avait jamais étudié un seul de ses gestes. De cette aisance et de cet abandon résultait un charme inexprimable. J'avoue que ce naturel me paraissait supérieur à l'art le plus étudié, surtout à cette prétention de faire valoir les vers par une pantomime exacte, et plus encore l'affectation de faire dire au personnage plus par que n'a voulu l'auteur. Toutes les fois qu'en France j'ai vu ce qu'on appelle détailler les vers, j'ai été saisi d'un dégoût insurmontable. J'ai vu une actrice dire ces vers de Racine :

Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords?

en appuyant sur le mot entrer, et en faisant le geste d'entrer. Une autre, dans ce vers de Corneille :

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Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie,

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semblait, par un geste à droite et à gauche, prendre l'Orient et l'Occident, et les unir ensemble. Je citerais mille autres exemples semblables. Ajoutez les coups d'œil pour plaire au parterre, l'occupation de sa toilette et de sa coiffure, les poses et les gestes étudiés cent fois devant une glace, la lenteur et la rapidité du débit, affectées alternativement sans aucun motif, les aspirations fatiguées et fatigantes, qui forment un hoquet convulsif, tout cela parvient, avec beaucoup d'art et de peine, à s'éloigner de la nature.

Je n'ai rien vu de semblable dans les actrices italiennes dont je parle. Comme c'est la seule troupe de comédiens que j'aie vue en Italie, j'i

gnore si toutes les autres ont ce naturel que j'ai tant aimé dans ceux dont je parle. Au reste, la tragédie de Saül, d'Alfieri, m'ennuia souverainement par une situation toujours la même.

* En Italie, on ne voit pas toujours les mêmes troupes de chanteurs ou de comédiens; elles changent touts les trois ou quatre mois. Il y avait, dans une autre troupe que je vis aussi à Florence,

une très-belle femme dont on racontait l'histoire. On disait que c'était la fille d'un prince napolitain, et qu'elle avait abandonné sa famille pour épouser un acteur qui lui avait inspiré la passion la plus ardente; on la voyait et on l'écoutait avec ce vif intérêt qui s'attache aux âmes capables de fortes passions, et peut-être aussi avec cet intérêt différent qu'inspirait la comparaison de sa situation actuelle avec celle à laquelle elle était destinée. Elle n'avait pas le talent de madame Catalani; mais elle chantait bien. Elle voulut un jour élever la voix au-dessus d'un choeur nombreux; sa voix devint criarde et désagréable; il y eut dans toute la salle un cri général d'improbation. Elle fut humiliée, et l'on vit sa peine dans son attitude et sur sa physionomie. Les bons Florentins en furent touchés, et l'applaudirent plusieurs fois de façon à lui prouver l'intérêt affectueux qui s'attachait à sa situation: ses gestes et ses regards montrèrent une vive émotion.

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Nous apprîmes alors la levée du siége de SaintJean-d'Acre par Bonaparte. Les progrès de Suvarow forcèrent les Français à évacuer le royaume de Naples. L'armée, commandée par le général Macdonald, traversa Toscane et Florence dans le plus grand ordre, et fut attaquée sur la Trébia par Suvarow. Nous vîmes arriver à Florence

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