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prévenu et traîné à l'échafaud par Roberspierre.

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Je vis à Turin le comte de Lusignan, lieutenant-général au service d'Autriche; il avait été grièvement blessé à la bataille de Novi ; il eut la complaisance de faire viser mon passeport par le général autrichien. Il me pria de me charger d'une somme considérable en or, pour la remettre à M. de Laborde, veuve de l'ancien banquier de la cour. Je lui représentai que je n'avais qu'une petite malle au fond de laquelle je mettrais cette somme; que je ne pouvais répondre des évènements en traversant les Alpes. Il insista néanmoins, en me disant que son or courait les mêmes chances que moi.

Parti de Turin, je m'arrêtai à Suze. Un colonel hongrois, qui commandait dans ce lieu, vint au devant de moi avec beaucoup de politesse, en me demandant si je n'étais pas l'orateur Vaublanc. Ce fut son expression. Il me combla d'honnêtetés et des égards les plus marquants. Touts les procédés que j'avais éprouvés à Turin et dans ce lieu, me prouvaient l'extrême importance qu'attachaient les étrangers à tout ce qui se passait en France, et leur désir d'y voir rétablir le crédit des hommes qui avaient toujours défendu l'ordre social. Aussi, fus-je d'abord un peu surpris le lendemain de voir un officier autrichien

entrer dans mon auberge, examiner attentivement touts mes effets, qui n'étaient pas nombreux, prendre et emporter touts mes papiers. Une heure après, le même officier me les rendit, me fit des excuses de la part du général Zach, et m'invita à souper avec lui. Je m'y rendis. Ce général renouvela ses excuses en me disant que la guerre, toujours subsistante entre la France et l'Autriche, lui avait commandé cette précaution. Je l'assurai qu'elle m'avait paru naturelle, et je le remerciai de ses procédés en

vers moi.

Il avait un jeune aide-de-camp qui était Français. Cet officier portait la croix de Malte et un large bandeau noir qui couvrait entièrement un de ses yeux. Il parlait de ce qu'il venait de lire dans les gazettes françaises. On y annonçait que Bonaparte formait un camp de réserve à Dijon, et qu'il avait envoyé Carnot à l'armée de Moreau, pour engager ce général à faire passer plusieurs corps de son armée à celle que l'on formait du côté de l'Italie. Le général Zach se moquait de ces annonces de gazettes. Il disait qu'on ne formait pas si rapidement des armées; il riait de l'armée de réserve, et surtout du projet annoncé par ces journaux de passer le mont SaintBernard. Le jeune officier insistait, soutenait que

tout cela était possible, et ajouta : « M. de Vaublanc ne dit rien; demandez-lui ce qu'il en pense. » Le général Zach repartit aussitôt; je ne lui demanderai pas son opinion, car il ne me la dirait sûrement pas. Cette réponse me fit penser que le général lui-même ne disait pas ce qu'il pensait. Peu de mois après, il était à la bataille de Marengo, chef de l'état-major de l'armée autrichienne.

Je partis le lendemain matin avec un sousofficier et un soldat autrichiens, qui me conduisirent jusqu'aux premiers postes français. Le froid était très-vif sur le mont Cenis. Il était couvert de neige. Nous arrivâmes au premier poste français sans être seulement aperçus. Je fus aussitôt environné de soldats; ils étaient touts fort jeunes, parlaient et criaient touts à la fois. Quand ils surent que j'étais un proscrit rappelé en France, ils m'accablèrent de questions, et me recommandèrent de dire au premier consul que je les avais vus, qu'ils étaient prêts à marcher sous ses ordres, et qu'il serait content d'eux. Ils faisaient le plan de la campagne prochaine; ils étaient convaincus que Bonaparte passerait les Alpes et reprendrait l'Italie. C'était un torrent de paroles auquel je n'étais plus accoutumé depuis près de deux ans. Les uns montés sur les tables, les au

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tres sur les chaises, parlaient touts ensemble, et faisaient les questions et les réponses. Je recon

nus ma nation.

Après m'être bien réchauffé dans leur corpsde-garde, je descendis la montagne; je me fis ramasser. Mon conducteur n'avait pas plus de dix-huit ans; il fut très-prudent. J'arrivai promptement et sans accident à Lanes-le-Bourg, d'où je me rendis à Lyon et à Paris.

LIVRE V.

CHAPITRE PREMIER.

Réflexions sur le gouvernement établi par Bonaparte, et sur l'adhésion de la France à son gouvernement. Entretiens avec lui et avec le général Leclerc sur l'expédition projetée à St.-Domingue. Institution des préfectures.

Le lendemain de mon arrivée à Paris, je fus présenté à Bonaparte par le consul Lebrun. Il me dit quelques mots flatteurs sur ma carrière politique, et me fit beaucoup de questions sur ce

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