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tout qui n'ont pris aucune part active à la révolution. Mais ceux qui, comme moi, avaient été témoins, acteurs et victimes, qui voyaient combien la France avait besoin d'une autorité vigoureuse, qui avaient observé notre caractère politique, ceux-là pensaient différemment alors. J'étais du grand nombre des Français qui se réjouissaient de voir enfin la France gouvernée avec fermeté. Les premières années furent admirables; c'était très-sincèrement que j'appuyais, autant qu'il dépendait de moi, l'autorité du premier consul. J'ai toujours pensé que le premier besoin d'un peuple est d'être gouverné, et qu'un peuple aussi mobile que le Français ne peut être gouverné par la seule puissance des lois. Le retour de l'ordre, le rétablissement de la religion, le rappel des émigrés et des proscrits, la restitution des biens qui n'avaient pas été vendus, étaient certainement de grandes actions politiques. Combien d'hommes, même victorieux, appelés au pouvoir, n'auraient pas osé faire ce que fit alors Bonaparte! On a dit souvent que jamais sous son gouvernement un prêtre ni un émigré n'avaient été insultés. Cela est vrai et doit être remarqué, parce qu'il faut toujours être juste. En vain dirait-on que c'était l'effet de l'opinion générale, fatiguée des révolutions. Cette opinion eût été

différente, si l'autorité avait été faible, ou si, pour fonder son pouvoir, elle avait ménagé les révolutionnaires.

Il joignit à cette gloire les victoires les plus éclatantes. On était excusable de l'admirer, jusqu'au moment où il ternit cet éclat. Malheureusement pour lui-même il ne sçut jamais s'arrêter. Montaigne avait bien raison de dire que le temps d'arrêt est la marque de la force. Une grande dame, en rendant justice à Bonaparte, disait alors Mais ce n'est pas un Français. Dites plutôt, lui répondit celui à qui elle parlait, qu'aucun Français n'a fait ni osé faire ce qu'a fait un Corse.

pu

M. de Bourrienne a marqué dans ses Mémoires l'instant où M. Barthélemi et moi nous sommes rangés sous la bannière de Bonaparte. Il aurait dire que j'allais avec empressement au-devant d'un homme qui rétablissait l'ordre social. C'était très-franchement que je servais son gouverne

ment.

Dans les affaires politiques, il est un degré d'impossibilité auquel nul homme n'est forcé de chercher à présenter des obstacles. Souvent même on ne pourrait le tenter sans folie. Tel était alors le rétablissement de la maison de Bourbon. Les bons Français sans doute n'avaient pas oublié

cette nombreuse liste de rois dont elle est la suite non interrompue, ni ce grand principe de la légitimité, si fécond dans touts ses résultats, en descendant du trône au plus petit propriétaire, ni surtout cette expiation si désirable de l'horrible attentat commis envers Louis XVI et sa famille. Tout cela était dans le cœur d'un grand nombre de Français. Mais l'impossibilité la plus absolue s'élevait devant eux comme une barrière insurmontable. Fallait-il renoncer à servir sa patrie, parce qu'on ne pouvait lui rendre ses princes légitimes? Telle était la question qui se présentait alors, comme elle s'était présentée pendant toute la révolution. J'ai traité cette question dans le chapitre où je parle de mon serment à la république. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit; j'insisterai seulement sur une simple réflexion.

Les Bourbons ont été reconnus en 1814 par des hommes qui touts avaient servi l'Etat sous les gouvernements précédents. Pas un seul des hommes qui se vantent de n'avoir prêté qu'un serment, n'a pu contribuer au rétablissement des Bourbons. Si aucun Français, conservant dans le fond de son âme des sentiments favorables à cette famille, n'avait été dans les emplois supérieurs, et même dans le sénat en 1814, il n'y aurait eu dans ces places que des hommes ennemis des

Bourbons; ils ne les auraient pas reconnus. Ils auraient mieux aimé faire ce qu'on fit dans une autre circonstance, demander tout prince, quel qu'il fût, excepté un Bourbon. Déjà l'histoire a dit, et redira plus encore, combien les princes étrangers balancèrent en 1814 sur leur rétablissement. Je traiterai ce sujet, avec étendue, dans un des chapitres de cet ouvrage. Toujours est-il certain que des Français qui dans les Conseils ou dans les armées avaient servi leur patrie pendant la révolution, purent seuls imprimer à la France et aux alliés le mouvement qui rétablit les Bourbons.

J'avais dû au serment constitutionnel prêté à l'exemple de Louis XVI, le bonheur de contribuer à maintenir l'ordre dans le département de Seine-et-Marne, commc président de l'administration; j'avais ensuite contribué, autant qu'il avait dépendu de moi, à défendre notre malheureux roi; j'avais mérité l'honorable proscription de la commune de Paris, au 10 août; d'être mis hors de la loi par le comité de salut public, d'être condamné à mort au 13 vendémiaire, à la déportation au 18 fructidor. Quatre fois proscrit, je me rendais la justice d'avoir toujours rempli mes devoirs avec courage, en défendant l'ordre social; de n'avoir jamais craint ni évité le danger. Ce

témoignage de ma conscience me traçait les devoirs que j'avais encore à remplir; je ne balançai à servir le nouveau gouvernement.

pas

Par l'institution des préfectures, Bonaparte établit un gouvernement ferme, et dont la force et l'activité ne laissaient aucun espoir aux factieux. Cette magistrature était une des institutions les plus monarchiques qu'on ait jamais imaginées. Elle était parfaitement adaptée au caractère français, et à la nécessité de rétablir l'ordre, après une horrible révolution. Leur costume et l'épée qu'ils portent, avertissaient sans cesse ces magistrats' qu'ils devaient être fermes, actifs, courageux, et présentait au peuple l'idée d'une magistrature énergique. Ce costume leur permet de se transporter rapidement partout où c'est nécessaire, de faire leurs tournées à cheval, de parcourir ainsi les chemins de traverse, au lieu de ne voir leurs provinces que dans les grandes routes et en voiture. La France avait autrefois des magistrats semblables dans ses grands baillis; on les trouve, en Prusse et en Russie, dans les gouverneurs civils; en Angleterre, dans les lords-lieutenants; mais seulement, dans ce dernier pays, sous le rapport de l'ordre public. Tels étaient aussi les magistrats romains envoyés dans les provinces, et les missi dominici de Charlemagne.

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