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Les préfets étaient spécialement chargés de la haute police. Obligés à une surveillance perpétuelle, ils étaient redoutables aux perturbateurs de l'ordre public, et respectés des bons citoyens et des fonctionnaires civils et militaires. Le pouvoir de la haute police se bornait à la surveillance, et à prévenir le gouvernement de tout ce qui intéressait l'ordre public. Le préfet ne faisait arrêter un citoyen que d'après des ordres supérieurs, ou dans des circonstances extraordinaires, en s'exposant à l'improbation du gouvernement, ou en méritant d'en être approuvé.

Cette magistrature a contribué éminemment à comprimer, dans les provinces, les germes si enracinés de la révolution. Mais à la chute de Napoléon, en 1814, des hommes qui détestaient la restauration, ont travaillé sur le champ à diminuer la force de cette magistrature. Leurs insinuations avaient persuadé un ministre. Il n'a pas vu le secret de leurs pensées, et il a servi, sans le vouloir, des manèges révolutionnaires. Il a déclamé lui-même contre le pouvoir des préfets; cette magistrature lui paraissait trop militaire; il annonçait le projet de les rétablir comme les anciens intendants; il parlait d'habit noir, de man'teau court et de cheveux longs; il répétait souvent que des gentilshommes ne devaient pas être pré

fets, et ne devaient servir l'Etat que dans la carrière militaire. Ce costume seul, que ce ministre regrettait, aurait suffi pour les rendre ridicules. Autrefois on y était habitué; mais il aurait trop choqué les idées nouvelles, et l'habitude contractée sous l'empire. Ces discours et ces projets, parvenus dans les provinces, commencèrent à diminuer leur considération. Mais au 20 mars 1815, l'activité et l'énergie de ceux qui restèrent fidèles montra ce qu'ils pouvaient être, et Bonaparte, pendant les cent jours, fit voir encore combien utiles, combien nécessaires ils étaient à l'autorité supérieure qui sçavait s'en servir.

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Un grand avantage de cette institution pour le gouvernement, était de pouvoir placer honorablement des militaires blessés, qui ne pouvaient plus servir dans les armées, mais dont l'instruction pouvait en faire de bons administrateurs. C'était un lien heureux entre le civil et le militaire; et peut-être les Romains durent-ils, pendant huit siècles, la gloire et la force de leur république à l'union, tantôt successive et tantôt simultanée, des fonctions civiles et militaires.

D'anciens militaires furent nommés à ces places, dès l'origine de leur création; et Bonaparte a dit souvent que c'étaient les meilleurs préfets. Il ne faut pas en conclure qu'ils étaient absolus

dans leur autorité. Jamais des administrateurs ne furent plus dirigés et plus contenus par le gouvernement. Peut-être même cela fut-il poussé trop loin; car ils furent toujours environnés d'une espèce d'espionnage. Toujours est-il certain que c'est de leur établissement que date le retour à un ordre public constant et invariable; c'est aussi du relâchement de leur autorité que date cette faiblesse exécutive, aperçue sous nos rois, et dont les suites sont menaçantes au moment où je revois ces Mémoires.

et les

On vit alors, sous les consuls, une chose extraordinaire, et qui prouve bien la faiblesse de notre esprit politique. L'Assemblée constituante avait repoussé les deux Chambres, et enfanté un monstre, dans la conception d'une Assemblée unique. Elle avait rejeté touts les exemples, toutes les leçons que lui présentaient les temps anciens temps modernes; et lorsqu'elle avait paru vouloir revenir à deux Chambres, un avocat avait soutenu que la nation étant une, le Corps législatif devait être un; et, par ce raisonnement d'une métaphysique obscure, il avait terrassé les opposants. On frémit bientôt, en 1792, à la vue de cette Assemblée unique. Je ne craignis pas de in'expliquer hautement, et le fameux Brissot me fit l'honneur de m'appeler le chef des bicaméristes.

On avait, après l'exécrable terreur, créé deux Chambres, formées des mêmes éléments; autre pitoyable conception, que je combattis alors dans deux ouvrages; et enfin, sous le consulat, on vit, par cette mobilité extraordinaire qui n'appartient qu'aux Français, on vit un Corps législatif formé de quatre Chambres; le Sénat, les Députés, le Tribunat et le Conseil d'Etat. Je compte ce Conseil, parce qu'il préparait les lois, les proposait ensuite, et les discutait dans le Tribunat et dans la Chambre des députés. Ses orateurs, soutenant seuls les lois dans cette Chambre contre les tribuns, faisaient une partie essentielle du pouvoir législatif.

Cette bizarre conception n'appartenait pas au génie de Bonaparte; elle ne put durer long-temps. Le Tribunat fut aboli. On conserva un Sénat électeur, et un Corps législatif muet, devant lequel des conseillers d'Etat présentaient des lois qui n'étaient pas même discutées. Bonaparte, devenu empereur, fit du Sénat un instrument dont il se servit pour toutes les lois importantes. C'était à lui qu'il demandait les nombreuses levées de conscrits. On a souvent reproché au Sénat son consentement à ces enrôlements si répétés. Mais il faut convenir que lorsqu'un pays est entraîné dans une guerre opiniâtre, il est bien difficile,

peut-être même impossible de refuser des soldats au gouvernement. Dans la victoire, ce serait arrêter la gloire nationale; dans les revers, ce serait lui ôter les moyens de réparer les malheurs de l'Etat. Si le Sénat avait eu dans ses prérogatives le pouvoir d'arrêter l'ambition de Bonaparte, il eût été coupable de ne pas l'employer, en s'exposant même à ses ressentiments; mais il n'avait pas ce pouvoir. Le torrent des victoires entraînait tout alors. Des revers terribles pouvaient seuls l'arrêter.

Le reproche d'obéissance fait au Sénat, on l'a souvent adressé à la nation. Ce reproche est injuste. Tout peuple obéira toujours, pendant l'éclat des victoires, quoique cette gloire seule ne puisse affermir à jamais un gouvernement. C'est pendant la terreur qu'il faut nous reprocher notre abjecte soumission, notre basse servitude. L'imbécillité politique, la niaiserie sentimentale, la froide atrocité, tout se réunit pour faire de ces temps l'époque la plus déshonorante de l'esprit humain. Mais sortir de ces turpitudes, en obéissant à un homme qui montrait de la fermeté, de la grandeur dans ses desseins, et qui les couronnait par la victoire, ce ne sera jamais un sujet de reproches pour un peuple. Il n'y a point là d'abjection nationale. L'abjection n'a pu se trouver que dans des actes

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