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isolés d'une obéissance servile à des ordres injustes. Et remarquez que dès l'instant que le dominateur commença l'abus du pouvoir, et montra la tyrannie, la soumission intérieure des esprits s'affaiblit et cessa entièrement. Les armes seules le soutinrent encore quelque temps; mais aussitôt que la victoire l'abandonna, il fut contraint à s'abandonner lui-même.

J'ai toujours cherché, dans mes récits, à être juste envers ma patrie. J'ai montré les efforts qu'elle a faits, en 1790 et 1791, pour soutenir le trône, que la Constituante avait si profondément ébranlé; j'ai dit comment des administrateurs et un grand nombre de citoyens dans Paris, eurent une conduite noble et courageuse, en 1792, après l'attentat du 20 juin; j'ai montré qu'alors l'autorité seule se manqua à elle-même, et se perdit dans une catastrophe amenée par sa faiblesse. Mais l'esprit national fut admirable avant sa chute, et l'aurait sauvée, s'il avait été secondé par elle. Ainsi, depuis le commencement de la révolution jusqu'au rétablissement de Louis XVIII, je compte sept époques remarquables:

Premièrement, la faiblesse du gouvernement, en 1789, lorsqu'il se mit lui-même à la merci d'une Assemblée;

Secondement, l'inéptie métaphysique qui s'eni

para de cette Assemblée, lui fit tout détruire, et enfanter la plus ridicule Constitution;

Troisièmement, le retour de la plupart de ses membres à des pensées meilleures, lorsqu'elle attaqua les factieux après le retour du roi de Varennes, et rétablit le roi sur son trône, mais avec des éléments d'une ruine certaine;

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Quatrièmement, l'horrible année de 1792, pendant laquelle une faction, secondée par la faiblesse des ministres, marcha à la destruction du trône; mais pendant laquelle aussi une noble et belle résistance se manifesta dans le Corps législatif, dans la capitale, et dans un grand nombre de villes et de provinces;

Cinquièmement, l'infâme terreur, pendant laquelle la bassesse, la turpitude et l'atrocité furent portées au dernier degré;

Sixièmement, l'abolition de cette exécrable tyrannie, la résistance du 13 vendémiaire, et les efforts qui précédèrent le 18 fructidor, pour empêcher cette tyrannie de renaître de ses débris encore menaçants;

Et enfin, le règne de Bonaparte, où le rétatablissement de l'ordre social, secondé par la victoire, inspira une soumission nécessaire, utile, indispensable, et qui, sans doute, eût été la même chez touts les peuples.

Après avoir combattu la tyrannie en 1792 et au 13 vendémiaire, et avant le 18 fructidor, je me demande si j'ai déshonoré ma carrière politique, en servant la tyrannie de Bonaparte. Je réponds, sans hésiter, que je n'ai servi qu'une dictature, nécessaire alors à la France; qu'elle ne m'a commandé que trois actes injustes; que j'ai désobéi aux deux premiers, et exécuté le troisième suivant toutes les règles de la justice, ainsi que je le prouverai dans les détails de mon administration.

Ce fut donc après avoir profondément réfléchi sur mes devoirs, sur la situation de ma patrie, que je me déterminai à seconder le nouveau gouvernement. Sans doute il pouvait, après d'heureuses prémices, abuser de són autorité, et attirer de grands malheurs sur la France; c'était dans la destinée des choses humaines; mais nul homme n'est responsable d'une suite si extraordinaire d'évènements, de ce mélange inoui des meilleures choses et de leur abus, de victoires et de revers.

CHAPITRE II.

Mon administration dans le département de la Mosclle. De la conscription, de la population pendant la guerre. Des gardes d'honneur, des sénatoreries, de la haute police. Ordres d'arrêter MM. de Tschudy, de Fouguet et l'abbé de Tournefort. Singulière conduite d'un chef de carbonari, poursuivi pour des crimes. Je le fais arrêter à Metz. Affaire des Stévenistes.

Je désirai donc une préfecture; celle de Metz me fut proposée, au nom de Napoléon, par le ministre secrétaire d'Etat du conseil. Je l'acceptai avec reconnaissance. Je me rends le témoignage d'avoir toujours tout vu, tout examiné, tout fait par moi-même. Je trouvai autant de zèle que de probité dans touts les fonctionnaires

publics; je n'ai jamais eu de reproche grave à faire à un seul d'entre eux; je fus toujours secondé par eux; je dois surtout nommer le secrétaire-général, M. de Viville. Trois pères de famille me déclarèrent qu'il leur avait sauvé la vie. C'était le noble usage qu'il faisait de sa popularité, tant qu'il a pu la conserver. J'ai déjà fait remarquer la même conduite de plusieurs hommes, courageux autant que bienfaisants, qui, dans les comités de surveillance, s'exposaient eux-mêmes en sauvant des proscrits. Au milieu des folies et des horreurs, conservons du moins la plus noble des vertus, la reconnaissance.

Je crois impossible de porter plus loin que je ne l'ai fait, l'activité, et l'esprit de suite et d'action dans toutes les affaires. Pourquoi ne dirai-je pas que touts les jours, dès six heures du matin jusqu'à deux, toute personne qui se présentait, la plus pauvre comme la plus riche, était introduite à l'instant même dans le cabinet où je travaillais, et que j'interrompais toujours mon travail pour l'écouter. Tel j'ai été pendant douze ans. Cela n'empêcha pas plus d'un homme de se présenter de deux à quatre heures, et de m'écrire ensuite qu'ils ne pouvaient réussir à obtenir une audience de moi. J'ai reçu cet étrange reproche d'hommes plus étranges encore pendant ma pré

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