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fecture, et ensuite pendant mon ministère. Il est des hommes, et ce sont les plus froids, les plus apathiques, qui s'étonnent toujours qu'on ne consulte pas en tout leurs désirs, et qu'on ne prenne pas l'instant qui leur convient.

L'habitude de monter à cheval me fut d'une grande utilité dans mon administration. En peu de jours, je connus parfaitement touts les environs de Metz, à une grande distance. Parcourant ainsi le département, je voyais les maires et les propriétaires venir au-devant de moi à cheval, m'inviter à voir des villages, des constructions situées loin du grand chemin, et m'instruire ainsi sur les lieux mêmes de toutes les choses nécessaires, indispensables, de toutes les améliorations utiles.

M. de Tournon, alors maître des requêtes, ayant été envoyé par l'empereur pour visiter plusieurs départements, nous parcourûmes ensemble une partie de celui de la Moselle; nous étions à cheval; il remarqua dans cette tournée l'avantage immense de voyager ainsi, et de tout voir, au lieu de courir en voiture sur les grandes routes, et de ne voir que les villes.

Lorsque je fus ministre de l'intérieur, je continuai de prendre cet exercice. Il se trouva de braves gens qui furent tout surpris qu'un mi

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nistre montât à cheval. On en fit de sottes plaisanteries, même dans des ouvrages publiés depuis ce temps. Un auteur, qui prend le titre d'homme d'Etat, répéta ces niaiseries. Il faut être en France pour lire de pareilles choses. On y trouve de bons esprits qui croient que l'on ne peut être bon ministre, si l'on n'est avocat; et l'on sait que ces messieurs ne montent guère à cheval. Les ministres anglais ne pensent pas ainsi; presque touts commencent la journée par cet exercice. Plusieurs même, et des pairs, des députés se rendent à cheval au parlement. Mais pourquoi les citer? N'avons-nous pas vu M. Pasquier commettre la grande faute d'aller ainsi à la Chambre des députés? Je regrette que M. de Richelieu n'ait pas suivi son exemple; il aurait eu besoin de cet exercice journalier pour se préserver d'affections nerveuses, et quelquefois vaporeuses, qui peut-être ont contribué à la direction des affaires et à sa mort prématurée.

Bonaparte sentait la nécessité d'établir une aristocratie; il y travailla rapidement; les titres, les cordons, les dignités, les majorats, tout fut prodigué. Il établit des sénatoreries; mais cette institution n'était pas heureusement conçue. Les sénateurs, ainsi placés dans les provinces, n'avaient aucun pouvoir; ils recurent des instruc

tions qui leur donnaient une sorte de surveillance sur les autorités. De là à l'espionnage et à la délation, il n'y avait pas loin. Plusieurs sénateurs repoussèrent cette surveillance. Ce plan était mauvais, parce qu'il était compliqué. Rarement en France on voit les choses dans leur simplicité, ni le bien qu'elles peuvent produire, précisément parce qu'elles sont simples. Bonaparte, en établissant les sénatoreries, en les dotant richement, en leur donnant des palais, n'avait qu'une chose à faire. C'était de dire aux sénateurs : « Je vous donne touts ces avantages, à condition que vous passerez la belle saison dans la province, et que vous y tiendrez un état convenable; vous y chercherez l'influence que doit avoir un riche propriétaire. Je fais de vous un grand seigneur, parce qu'il en faut dans les monarchies; je vous donne les moyens d'en tenir le rang, c'est à vous d'en acquérir la considération. » C'eût été une chose toute simple, toute naturelle, et qui, par sa simplicité même, aurait pro- . duit le bon effet qu'on pouvait en attendre. Mais ces sénateurs, exerçant une surveillance sans autorité, instruisant le gouvernement, faisant des rapports, présentaient un côté ridicule et odieux. Il était difficile de plus dénaturer une chose bonne en elle-même. L'idée principale

était de Napoléon; l'exécution appartient aux

ministres.

pas.

Cette complication de choses et de moyens a toujours été et sera toujours le défaut du gouvernement, en France. Quand nous adoptons une idée, nous la portons au dernier excès. Le morcellement de l'administration fut poussé à un degré inconcevable. Les ministres se plaignaient sans cesse d'être entravés par les présidents des sections du conseil d'Etat. Ces présidents étaient plus puissants que les ministres ; et ceux-ci, pour reprendre leur importance, saisissaient des parties d'administration qui ne leur appartenaient Un ministre de l'intérieur avait un bureau de l'esprit public: rien de plus simple et de plus convenable; mais ce bureau devint insensiblement un vrai bureau de police générale. Il avait ordonné aux préfets de lui rendre compte, touts les huit jours, de tout ce qui se passait dans leurs départements, sous le rapport le plus minutieux de l'ordre public; en sorte que les préfets avaient avec lui la même correspondance qu'avec le ministre de la police générale. Par la nature des choses, le ministère de l'intérieur, contrarié dans son action à un point vraiment ridicule, empiétait sur les autres ministères. Telles furent ces espèces d'usurpations, que M. Gaudin, duc de

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Gaëte, excellent ministre des finances, qui avait dans sa correspondance autant de politesse que de vraie fermeté, s'étant aperçu de l'embarras que cela mettait dans son ministère, écrivit aux préfets qu'il leur défendait de rendre compte à aucun autre ministre de ce qui concernait le ministère des finances.

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Le même abus s'était glissé dans le ministère de l'intérieur et de la guerre. Les chefs de division étaient devenus de petites puissances qui se choquaient, se combattaient, traitaient ensemble d'un ministère à l'autre, établissaient leurs prétentions respectives; et dans ces luttes ridicules, si aucun des contendants ne voulait céder, l'affaire dont ils s'occupaient ne pouvait finir. Il est certain que, dans les quatre dernières années de l'empire, l'administration était un vrai chaos; que la séparation multipliée des parties avait détruit tout ensemble, et produit un enchevêtrement continuel des affaires les unes sur les autres. Avec un travail toujours croissant, il était impossible aux préfets d'y suffire; ils s'en plaignaient touts les jours.

Par une bizarrerie funeste, on défendit aux préfets d'ordonner une dépense urgente, si elle - passait une très-petite somme fixée. Il arrivait sans cesse qu'une dépense modique n'ayant pas

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