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Au jour indiqué, les députations de Saint-Vincent furent accueillies avec joie à Saint-Symphorien; de nouveaux discours furent prononcés et les orateurs de cette dernière paroisse déclarèrent, tant aux membres du Comité de Saint-Vincent qu'aux officiers de la milice nationale, que leurs concitoyens les recevaient avec empressement et satisfaction pour leurs alliés, comme ils se disaient les leurs et qu'en acceptant les propositions de secours, ils leur offraient également de leur côté tous ceux qu'ils pouvaient leur donner avec l'assurance qu'ils sacrifieraient au besoin et leur tranquillité et leurs jours pour leur être utile et les secourir au besoin.

La nécessité de s'unir pour se fortifier se manifesta non seulement dans le Beaujolais et dans le Forez, mais sur beaucoup d'autres points de la France et l'idée des fédérations prit corps en province longtemps avant le 14 juillet 1790.

Les craintes suscitées par le manque prochain des grains indispensables à la consommation, les difficultés apportées à leur transport et les bruits d'accaparement amenèrent aussi les populations à contracter d'autres traités fédératifs. C'est ainsi que des inquiétudes de cette nature agitaient les paroisses situées au nord de la Généralité de Lyon et les territoires limitrophes du gouvernement de Bourgogne.

Là, on ne pouvait pourvoir qu'avec grand'peine à l'approvisionnement journalier des marchés et l'approche de l'hiver laissait entrevoir un avenir inquiétant; les comités avaient évalué approximativement la quantité de grains qui se vendaient communément chaque année dans la paroisse de Charlieuen-Lyonnais et dans celles de Toulon-sur-Arroux, Digoin-surLoire, Paray-le-Monial, Montcenis, Semur-en-Brionnais, La Clayette en-Mâconnais et Marcigny-sur-Loire, le produit de la dernière récolte dans les paroisses de ces territoires et les ressources à espérer des provinces voisines; ils avaient cru reconnaitre que, pour assurer leur subsistance, ils auraient besoin d'un secours d'au moins 1.200.000 livres pesant de grain ; d'autre part, la crainte de la disette ameutait fréquemment les populations. Dans ces conditions, les comités des paroisses nommées plus haut désignèrent chacune deux délégués pour se

réunir à Digoin, le 15 octobre, afin d'aviser aux moyens de maintenir la paix et la tranquillité dans la région, d'empêcher les accaparements et de faciliter l'approvisionnement des grenettes et marchés. Le marquis de Foudras, délégué de la ville de Charlieu, fut nommé président de l'Assemblée réunie à la date indiquée; le traité conclu ce jour disposait :

1° Que les Comités s'engageaient à se préter mutuellement tous les secours qui seraient à la disposition de chacun d'eux pour assurer dans leurs districts le maintien de l'ordre et l'exécution des lois et, en cas d'insurrection de la part des ennemis publics, pour s'assister réciproquement de leurs milices nationales;

2° Que les commissaires des susdites villes et bourgs emploieraient toute leur influence pour obtenir l'exécution des décrets de l'Assemblée nationale relatifs à la liberté du commerce des grains et engager leurs concitoyens et les habitants des paroisses de leurs arrondissements à les laisser circuler librement; qu'à cet effet, il serait convoqué par chaque Comité une assemblée à laquelle seraient appelés les curés, syndics et notables habitants de chaque paroisse; que dans cette assemblée, on leur exposerait que la liberté du commerce des grains est essentielle à leur propre subsistance; que n'ayant pas recueilli dans leur territoire. la quantité de grains nécessaire à leur consommation, ils seraient réduits à la plus affreuse disette, si leurs voisins, à leur exemple, s'opposaient à la circulation et ne consentaient point à leur faire part de leurs ressources; qu'en conséquence, lesdits comités réunis antérieurement dans leurs districts permettraient l'achat et le passage des grains lorsque les marchands seraient munis de certificats du Comité de leur ressort visés par le Comité établi dans le chef-lieu du canton où ils auraient fait leurs achats et à la condition que, sur la réquisition des membres de ce dernier Comité, ils seraient tenus de laisser à la grenette dudit chef-lieu la quantité de cinq mesures pour cent du blé acheté, lequel blé retenu serait payé comptant au prix d'acquisition, sans que les comités sur les territoires desquels le marchand ferait ensuite passer ses blés puissent faire la même retenue dès que le mar

chand pourrait justifier du visa de ses pouvoirs au Comité du canton d'où il aurait tiré son grain;

3o Que la présente déclaration serait communiquée aux comités de Charolles, Bourbon-Lancy, Gueugnon, Jovelacques et Oyé, avec invitation de se réunir aux comités ci-dessus et de donner leur adhésion;

4° Qu'extrait serait transmis au président de l'Assemblée nationale et à M. de Saint-Priest, ministre d'Etat, qui serait prié de faire passer des grains dans cette partie du royaume où la grêle et les inondations avaient réduit la récolte.

Le 29 octobre, de Foudras se conforma à la décision des délégués et il écrivit au président de l'Assemblée nationale que ceux-ci avaient cru devoir insérer dans leur délibération des modifications au décret sur la liberté du commerce des grains et qu'ils pensaient que l'Assemblée voudrait bien les approuver lorsqu'elle serait instruite que les délégués les avaient jugées nécessaires à leur sûreté et à la tranquillité du peuple; la lettre se terminait par ces mots : « L'auguste Assemblée qui vous a choisi pour la présider voudra bien employer ses bons offices pour nous obtenir du Gouvernement la quantité de grain indiquée plus haut ; si nous étions privés de ce secours, les habitants de nos villes et de nos campagnes seraient réduits aux plus affreuses extrémités » (1).

Les fédérations nombreuses organisées sur le sol de la France eurent de bons résultats. D'abord, elles imposèrent silence aux aristocrates tout prêts à agir contre les mesures prises par l'Assemblée; puis, elles dispersèrent ces troupes de paysans ameutés, égarés, voulant répéter les scènes de la Jacquerie et incendier les châteaux ; enfin, elles permirent, dans une certaine mesure, l'approvisionnement des marchés, contrarié par les arrêts des parlements et aussi par les bruits colportés à dessein sur de prétendues spéculations et sur des accaparements.

(1) Arch. nat. Comité des recherches. DXXIXь 25.

TROUBLES DE SAINT-ÉTIENNE A L'INSTIGATION D'ODDE

(11 NOVEMBRE 1789); MORT DU BARON DE ROCHETAILLÉE, COMMANDANT EN SECOND DE LA MILICE.

Une nouvelle insurrection menaçait Saint-Etienne; bientôt elle éclata et elle eut des conséquences plus défavorables que celle du mois de juillet.

Il convient de remarquer qu'à cette époque, la France entière parlait des complots de la Cour et de la contre-révolution qui s'était affichée dans les banquets des 1er et 3 octobre à Versailles. On prétendait qu'à Lyon, les aristocrates et les émigrés rentrés tenaient des réunions clandestines.

Le 27 octobre, les ouvriers se rendirent de nouveau au dépôt des armes du Roi, ayant à leur tête un des leurs, Claude Odde, et obligèrent le garde d'artillerie à leur ouvrir les salles du dépôt à Saint-Etienne; on prétendait que les armes avaient été furtivement enlevées et envoyées aux ennemis. Le lendemain, plusieurs particuliers armés firent des visites domiciliaires à Valbenoite, aux Minimes, aux Capucins, chez de la Chance, pour savoir s'il n'existait pas d'armes cachées. Rien ne fut découvert.

Saint-Etienne semblait rentré dans le calme, lorsque un propos d'Odde provoqua de nouveaux troubles. Cet ouvrier, disait-on, avait prononcé ces paroles: « Ces coquins de nobles font enlever les armes dans la nuit, du dépôt de la Pièce ronde : je l'ai vu moi-même. Ils veulent que tout le peuple soit sans défense pour pouvoir faire contre lui ce qu'ils voudront ».

Le Comité municipal ayant eu connaissance des affirmations d'Odde, décida qu'il serait arrêté et, dans la nuit du 10 au 11 novembre, de Tours, premier échevin, le fit enlever et conduire dans la prison de Montbrison.

Dès que la nouvelle de cette arrestation fut connue, les ouvriers de Polignais et d'autres quartiers se soulevèrent, se répandirent dans la ville et vinrent demander au Comité, à grands cris et avec menaces, que l'on remit en liberté Odde. Le Comité refusa. Aussitôt, le peuple se mutina; les attroupements se multiplièrent et des pierres furent lancées sur les citoyens paisibles. Les échevins firent déployer le drapeau rouge et proclamaient la loi martiale (1); en même temps, ils ordonnèrent à la milice bourgeoise de prendre les armes; le baron de Rochetaillée, commandant en second, se présente à la tête de sa troupe; mais il n'était plus temps, parce que le peuple était trop nombreux; d'ailleurs, peu de miliciens commandés se rendirent à l'appel; les femmes retinrent leurs maris, ou elles les désarmèrent et les ramenèrent dans leur domicile; l'ordre de faire feu ayant été donné, les miliciens tirèrent à poudre ou en l'air. Bientôt les ouvriers s'en aperçurent; ils devinrent plus hardis; la milice, serrée de près, mit bas les armes et le drapeau rouge fut arraché et traîné dans la boue. Dans la déroute, le baron de Rochetaillée fut jeté à bas de son cheval et foulé aux pieds; il reçut plusieurs blessures et eut notamment une cuisse cassée et la cheville du pied fracassée. Le peuple obtint du Comité l'ordre de mettre en liberté Odde et, aussitôt, quelques citoyens se rendirent à Montbrison pour ramener leur compatriote. En même temps, un grand nombre d'habitants, le Comité, les chefs de la municipalité quittèrent Saint-Etienne et se réfugièrent dans les villes voisines et à Lyon.

Dans la journée du 12, les ouvriers se rendirent en foule au dépôt du Roi et enlevèrent toutes les armes au nombre de 5.612. Le peuple pilla également le magasin à poudre de la ville, celui

(1) Le 21 octobre 1789, l'Assemblée nationale avait décrété la loi martiale, obligeant les officiers municipaux des lieux où la tranquillité publique serait en péril à déclarer que la force militaire devait être déployée à l'ins, tant pour rétablir l'ordre public; cette déclaration se faisait en exposant à la principale fenêtre de l'Hôtel de Ville et en portant dans toutes les rues un drapeau rouge. Au signal seul du drapeau rouge, tous attroupements, avec ou sans armes, devenaient criminels et devaient être dissipés par la force.

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