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a parlé par un esprit prophétique, quand il a dit : Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur cœur est bien éloigné de moi. Vous parlez sans cesse de la loi avec emphase, et vous la violez sans cesse avec impiété. Vous êtes exacts observateurs jusqu'aux scrupules de je ne sais quelles coutumes qui ne signifient rien et que le relâchement a introduites, tandis que vous violez effrontément les plus essentielles, les commandements de Dieu. Pensezvous que Dieu prenne le change? Le Sauveur s'adressant ensuite à tout le peuple qui l'écoutait : Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, leur dit-il, mais ce qui vient d'un cœur corrompu. Ce qui souille l'homme, c'est ce qu'il fait, ce qu'il désire, et non ce qu'il mange. Les viandes ne sont mauvaises qu'autant qu'elles sont défendues; elles sont en · elles-mêmes indifférentes, elles ne souillent l'âme que par le mauvais usage qu'on en fait. Alors ses disciples s'approchant de lui: Savez-vous, Seigneur, lui dirent-ils, que ce que vous venez de dire a choqué les Pharisiens, et a été pour eux un sujet de scandale. Toute fausse doctrine ne venant point de Dieu, leur répondit Jésus, doit être combattue et exterminée. Toutes sortes de plantes ne viennent pas dans la terre que j'ai entrepris de cultiver, qui est mon Eglise; il n'y a que celles que mon Père céleste y a plantées qui y profitent; les autres qui y croissent d'elles-mêmes et qui se passent de ma culture et de mes soins, y meurent et en doivent être arrachées. Laissez là ces âmes ingrates qui ne peuvent y prendre racine; ce sont des aveugles qui conduisent d'autres aveugles et qui vont se jeter dans le précipice avec eux. Le scandale des faibles est un grand mal; on doit, autant qu'on peut, le prévenir ou le lever. Mais quand c'est par pure malice, ou par une fausse délicatesse, ou par d'autres raisons encore plus frivoles ou plus injustes, que l'on prend du scandale de ce qui ne peut se taire sans blesser la vérité, on doit passer sur cette considération, dit saint Bernard, après saint Grégoire, saint Chrysostome et saint Augustin: Melius est ut scandalum oriatur, quam ut veritas derelinquatur.

Le Sauveur ayant congédié le peuple, saint Pierre, avec son ingénuité ordinaire, prit la liberté de lui demander, au nom de tous les disciples, une explication encore plus claire de ce qu'il avait dit, que la viande ne souillait point. Jésus lui répondit: Etes-vous aussi peu intelligents que les autres, vous que j'instruis depuis si longtemps? Ignorez-vous que la nourriture que l'on prend ne sert qu'à nourrir le corps sans passer jusqu'à l'âme, et qu'il n'y a que ce qui vient d'un cœur corrompu qui puisse la souiller? N'est-ce pas du cœur que viennent les méchantes pensées, les mauvais désirs, les adultères, les fornications, les larcins, les homicides, les faux témoignages, les blasphèmes? Voilà ce que produit un cœur vicieux, et voilà ce qui souille l'âme ; mais manger sans avoir lavé ses mains, c'est tout au plus une malpropreté extérieure, mais ce n'est pas un péché. Il n'y a de vraie souillure dans l'homme que celle du péché; et cependant c'est celle dont on a le moins d'horreur. Quelle étrange contradiction! On prend un soin outré et scrupuleux de la netteté du corps, tandis qu'on a le cœur tout corrompu! On fuit un homme dont l'extérieur trop négligé rebute; et une langue impure, des mains sacriléges, des mœurs corrompues ne rebutent point.

Le Pere Croiset.

LE JEUDI DE LA TROISIÈME SEMAINE DE CARÈME

APPELÉ LA MI-CARÊME

Ce jour a toujours été regardé chez les Grecs et chez les Latins comme le centre ou le milieu du Carême; aussi l'appelons-nous, pour ce sujet, la Mi-Carême, comme étant le vingtième des quarante jours de jeûne ou le dernier de la première moitié. Les Grecs l'appellent Mesonestime, c'est-à-dire le milieu des jeûnes, comme étant chez eux le premier de la seconde moitié. Ils ont érigé leur Mesonestime en fête solennelle; on ignore quel en a été le mystère et le motif. Les Latins n'ont pas pensé, à la vérité, à faire un jour de fête du jeudi de la Mi-Carême, mais il s'en est trouvé qui l'ont regardé comme un jour privilégié pour se dispenser du jeûne; cependant l'Eglise a toujours condamné cette licence et a réformé cet abus. Il semble que cette bonne mère, toujours attentive aux besoins spirituels et même corporels de ses enfants, les voyant arrivés aujourd'hui au milieu de cette pénible carrière du jeûne, tâche dans son office de leur obtenir du ciel de nouveaux secours et une nouvelle protection auprès du Seigneur, pour la conservation de leur santé jusqu'à la fin de la sainte quarantaine. L'Introït de la messe, l'Oraison du jour, la Station, l'Evangile, tout semble avoir rapport à cette intention, et la mémoire spéciale qu'on fait de saint Come et de saint Damien, dans la collecte, en est une preuve.

La messe commence par ces consolantes paroles: Salus populi ego sum, dicit Dominus de quacumque tribulatione clamaverint ad me, exaudiam eos : et ero illorum Dominus in perpetuum: Je suis le salut du peuple, dit le Seigneur; en quelque affliction qu'il soit, je l'exaucerai lorsqu'il m'invoquera, et je serai éternellement son Seigneur. Dieu est notre salut: inutilement le chercherions-nous ailleurs. La vie, la santé et tous les biens que nous pouvons souhaiter se trouvent en Dieu seul; il en est la source: quelle folie de les attendre d'une autre main! Nous n'avons qu'à recourir à lui avec confiance; en quelque affliction que l'on soit, il nous promet son assistance : De quacumque tribulatione. Dieu est fidèle dans ses promesses. A qui faut-il s'en prendre si nous manquons de secours dans nos besoins? On n'a recours à Dieu qu'après avoir tenté tout autre remède. Notre manque de foi rend nos prières inefficaces. Notre confiance chancelante est l'effet de nos infidélités. Voulons-nous être exaucés dans l'affliction? gardons sa loi, écoutons avec docilité ses paroles: Attendite, popule meus, legem meam: inclinate aurem vestram in verba oris mei. Notre dissipation d'esprit nous empêche de comprendre le sens de ses oracles, et la corruption de notre cœur en empêche les plus salutaires effets.

L'Epître de ce jour contient un reproche que Dieu fait à son peuple, par la bouche de Jérémie, de la vaine confiance qu'il avait au culte extérieur qu'il lui rendait, sans se soucier de lui plaire par la pureté de ses mœurs et par l'observation exacte de ses divines ordonnances. Les Juifs comptaient si fort sur l'avantage qu'ils avaient d'avoir au milieu d'eux,

préférablement à toutes les autres nations, le seul temple consacré au culte du vrai Dieu, qu'ils croyaient que cette préférence leur assurait la protection du ciel, et qu'elle pouvait suppléer à l'inobservation de la loi, dont ils sentaient bien qu'ils étaient coupables. Le Seigneur leur déclare par son Prophète l'iniquité de cette vaine présomption et l'erreur de cette folle confiance.

Dieu ordonne à Jérémie de s'aller mettre à la porte du temple de Jérusalem et d'annoncer au peuple ces vérités éternelles. Ecoutez la parole du Seigneur, vous tous habitants de Juda, qui entrez par ces portes pour adorer le Seigneur : Voulez-vous que j'habite avec vous dans ce lieu saint? voulez-vous que j'y écoute vos prières et que j'y exauce vos vœux ; voulez-vous que j'y répande mes bénédictions en abondance? Bonas facite vias vestras, et studia vestra. Redressez vos voies, réformez vos mœurs, corrigez votre conduite; n'y venez qu'avec un cœur pur, n'y paraissez qu'avec de saintes dispositions, et que votre respect et votre modestie soient une preuve de votre foi; mais ne mettez point votre confiance en des paroles de mensonge, en disant : C'est le temple du Seigneur, c'est la maison du Seigneur, c'est ici son seul temple: Nolite confidere in verbis mendacii, dicentes: Templum Domini, Templum Domini, Templum Domini. Ce n'était point un mensonge, ni une erreur de croire et de dire que le temple de Jérusalem était le temple du Seigneur; mais dans la bouche des Juifs et avec les sentiments qu'ils avaient, c'était une erreur, une illusion, un mensonge. Ils croyaient que, quelque criantes que fussent les abominations qui se commettaient dans le lieu saint, quelque irrité que pût être le Seigneur par leurs crimes, il avait trop à cœur sa gloire pour permettre jamais que son temple fût profané par des étrangers, et encore moins que son peuple favori fût chassé du pays qu'il lui avait donné, et que les Juifs fussent un jour sans temple, sans autel, sans sacrifices. Rassurons-nous, disaient-ils, contre les menaces de Jérémie : Templum Domini. Nous avons le temple du Seigneur; ce seul temple est pour nous un rempart contre toutes sortes de malheurs, et même contre les traits de sa colère. Aveugles qu'ils étaient, de ne pas voir qu'ils déshonoraient plus le temple sacré du Seigneur par leur idolâtrie et par leurs impiétés, que les infidèles ne l'auraient pu faire en le brûlant et en le détruisant de fond en comble. Voulez-vous que ce temple soit ma maison? n'en faites pas une caverne de voleurs et d'impies: Quoniam si bene direxeritis vias vestras, et studia vestra, habitabo vobiscum: Je demeurerai avec vous, comme je l'ai promis, j'habiterai dans ce temple d'une manière particulière ; j'y écouterai vos prières; j'y recevrai vos offrandes ; j'y verrai avee complaisance vos sacrifices et je m'y rendrai favorable à vos vœux, si vous avez soin de marcher dans les voies de mes commandements, si vous ne répandez point en ce lieu le sang innocent, si vous ne suivez point les dieux étrangers, si vous ne profanez point ce temple par vos mauvais désirs, par vos impiétés, par des mœurs toutes païennes. Ce qui me chasse de ce temple sacré, ce qui m'oblige de changer ce trône de ma miséricorde en tribunal de ma plus sévère justice, ce sont les crimes que vous y commettez, les usures, les brigandages que vous y exercez; ce qui m'oblige d'en sortir, c'est l'encens sacrilége que vous y offrez aux idoles. Vivez comme mon peuple, et j'y régnerai comme votre Dieu; que vos mœurs soient pures, et ma présence y sera bienfaisante. Ne vous fiez point aux vaines assurances que les faux prophètes vous donnent de ma protection. Voulez-vous que je demeure au milieu de vous et que je sois avec vous dans ce lieu, de siècle en siècle? soyez religieux, gardez ma loi, ne

faites tort à personne, et alors mon temple sera pour vous un gage éternel de ma bonté et de ma bienveillance: Habitabo vobiscum in loco isto a sæculo, et usque in sæculum.

L'Evangile de la messe de ce jour contient l'histoire de plusieurs guérisons, et en particulier du miracle que le Sauveur fit en faveur de la bellemère de saint Pierre, qui était au lit, et qui avait une grosse fièvre.

Jésus étant sorti de la synagogue de Capharnaum un jour de sabbat, entra chez Simon, c'est-à-dire dans la maison de saint Pierre, soit que cette maison appartînt à cet Apôtre, soit qu'elle fût à sa belle-mère, et que saint Pierre, qui était de Bethsaïde, y logeât quand il était à Capharnaum. Geci se passa avant la troisième vocation des Apôtres, et avant leur renoncement entier à tout ce qu'ils possédaient le Sauveur n'avait encore que cinq disciples. Dès qu'il y fut entré, on lui dit que la belle-mère de Simon, son disciple, qui logeait dans cette maison, était très-dangereusement malade d'une fièvre continue, et ils le conjurèrent tous ensemble de lui rendre la santé. Il ne fallut pas le presser beaucoup, puisqu'il avait plus d'envie de leur accorder ce qu'ils demandaient, qu'aucun d'eux n'en avait de l'obtenir. Ce divin Médecin s'approche du lit de la malade, et d'un ton qui ne peut convenir qu'à celui qui est le maître de la mort et de la vie, il commande à la fièvre de la quitter, et à l'instant la fièvre la quitte. La malade se sentant non-seulement sans fièvre, mais encore pleine de santé, se lève, fait servir le dîner, et, selon la coutume du pays, sert à table et le Maître et les disciples. La joie fut aussi grande que l'admiration. On connut bien, alors que le Sauveur ne saurait voir souffrir ceux qui l'aiment, sans y être sensible et sans les soulager. Il connaît tous nos besoins, mais il veut que nous les lui découvrions. Le sein de la divine miséricorde est toujours prêt à s'ouvrir; mais la prière en est comme la clef. Cette femme n'a pas plus tôt recouvré la santé par la toute-puissance de Jésus-Christ, que le premier usage qu'elle en fait, c'est de le servir. Après la maladie, est-ce ainsi que le nous témoignons à Dieu notre reconnaissance?

Ce miracle fit grand bruit. Aussi la fête du sabbat qui finissait au coucher du soleil ne fut pas plus tôt passée, que toute la ville accourut en foule au logis où Jésus était. Tous ceux qui avaient des malades fendaient la presse pour les apporter devant lui, persuadés que pourvu qu'il les touchât, leur guérison était certaine. Leur foi ne fut pas vaine. Quelque prodigieux qu'en fût le nombre, il les toucha tous, et tous furent guéris sur l'heure. Nous n'avons de vrais maux dans la vie, que les maladies de l'âme : comment se peut-il faire que le corps et le sang même de Jésus-Christ que nous recevons dans l'Eucharistie, comme un souverain remède, n'opèrent pas ces merveilleuses guérisons? Sujet fécond de réflexions sur les dispositions de ceux qui communient sans fruit, et qui, recevant si souvent JésusChrist, restent toujours plongés dans leurs infirmités.

On amena aussi à Jésus-Christ un grand nombre de possédés au premier mot que le Sauveur prononçait d'un ton de maître, on voyait les démons sortir des corps en furie, ne laissant pas de publier hautement la gloire de celui qui les chassait. Ce n'est pas qu'ils eussent pour but de lui procurer de l'honneur; mais ces esprits orgueilleux, craignant de paraître vaincus par un homme du commun, criaient en sortant des corps : Vous êtes le Fils de Dieu. Ils n'en avaient encore qu'une connaissance imparfaite et fondée sur des conjectures. Cependant Jésus, qui ne voulait pas qu'on leur fût redevable de la vérité, les menaçait et leur imposait silence. Entre plusieurs raisons qu'on apporte de la défense que fait ici le Sauveur, la plus

naturelle peut-être est que les peuples n'étaient pas encore assez disposés à entendre parler de sa divinité. Il fallait ménager leur faiblesse, et les préparer peu à peu par une longue suite de miracles et d'instructions. La leçon de morale que nous donne ici le Sauveur, c'est de rejeter les louanges et de les éviter, quelque bien fondées qu'elles puissent être; et le motif qu'on peut avoir que Dieu en peut être glorifié, doit être toujours suspect.

Le Sauveur passa presque toute la nuit à délivrer les possédés et à guérir toutes sortes de malades. Dès que le jour parut, il sortit secrètement et s'en alla dans un désert, nous apprenant par là que quelque saintes que soient les fonctions des ouvriers évangéliques, ils ont toujours besoin de se ménager des heures de retraite pour rentrer en eux-mêmes, pour reprendre de nouvelles forces dans la prière, pour se purifier de ce qu'ils ont pu contracter d'imperfection dans le commerce des hommes, et pour parler avec Dieu et apprendre de lui dans l'oraison ce qu'ils doivent ensuite enseigner. Jésus-Christ ne fut pas longtemps seul dans le désert; le peuple l'y vint trouver, et ils le retenaient, de peur qu'il ne les quittât. Quand on a connu Jésus-Christ, et qu'on l'aime, on ne s'en sépare pas aisément. Dès que tout ce peuple fut arrivé, ils l'environnèrent de toutes parts, le prièrent instamment de ne point quitter leur ville, et n'omirent rien pour l'obliger de demeurer avec eux. Mais son zèle, pour qui le monde était trop petit, ne se bornait pas à une province ou à une ville; c'est pourquoi il leur répondit : « Il y a dans le voisinage une infinité de bourgs et de villes qui ont besoin de mes instructions, aussi bien que Capharnaum ; il n'est pas juste que je laisse périr tant de peuples, faute de leur distribuer la nourriture spirituelle que vous avez reçue les premiers. Si l'Evangile que je vous ai annoncé vous donne une assurance certaine du royaume de Dieu que je suis venu établir, ce royaume ne vous doit pas être tellement propre, qu'il ne devienne commun à toutes les nations du monde, qui s'uniront désormais pour ne faire qu'une seule Eglise. C'est dans le dessein de les réunir que mon Père m'a envoyé, et que je suis descendu du ciel ». Ainsi, plein d'ardeur pour la conversion de tout le monde, il allait d'un lieu à un autre, prêchant dans toutes les synagogues de la Galilée, faisant du bien partout où il passait, et guérissant les possédés et les malades: Pertransit benefaciendo, et sanando omnes.

Si l'oraison de la messe de ce jour fait mémoire de saint Côme et de saint Damien, c'est parce que la station des fidèles a été indiquée à Rome dans l'église de ces deux Saints, médecins de profession. On les invoque afin d'obtenir la continuation de la santé pour la moitié du Carême qui reste à accomplir.

Le Père Croiset.

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