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servus meus multos. Une multitude innombrable de Saints, qui ont triomphé sous ses ordres et par sa grâce de toutes les puissances de l'enfer, composeront sa cour dans l'éternité. A son seul nom, tout ce qu'il y a dans le ciel, sur la terre et dans les enfers fléchira le genou; et tous ses serviteurs qui entreront dans son royaume y viendront chargés des dépouilles de la mort qu'il a lui-même vaincue par la sienne: Dispertiam ei plurimos, et fortium dividet spolia. Et tout cela, parce qu'il s'est livré lui-même à la mort et qu'il a été mis au rang des scélérats: Et cum sceleratis reputatus est. Voilà le fruit de son sacrifice. Enfin, conclut le Prophète, non content de se charger de nos péchés, il a bien voulu encore prier pour les violateurs de sa loi, qui trouvent toujours en lui un fonds de miséricordes infinies, et poussant sa bonté jusqu'au-delà de toutes les bornes, il a prié encore pour ceux qui l'ont fait mourir : Et pro transgressoribus rogavit. C'était plus de sept cents ans avant Jésus-Christ qu'Isaïe s'exprimait avec des couleurs si vives. Un évangéliste ne pouvait parler plus clairement.

L'histoire de la Passion qu'on lit à la messe de ce jour a été écrite par saint Luc. On n'en fera ici que le précis, avec les réflexions que le sujet suggère. Elle commence par ces paroles: Appropinquabat dies festus azymorum, qui dicitur pascha : La fête des azymes, c'est-à-dire des pains sans levain, appelé la pâque, était proche. C'était le mercredi, la veille du jour que le Sauveur célébra cette fête pour la dernière fois, que Judas convint avec les Juifs de le leur livrer. On a vu de quelle manière cet impie apostat exécuta son infâme dessein. Les soldats, s'étant saisis de Jésus dans le jardin des Oliviers, le lièrent, et le traitant avec la dernière ignominie, le conduisirent, durant la nuit, dans Jérusalem avec des lanternes et des torches allumées, et avec un fracas qui apprenait à tout le monde qu'on menait quelque fameux prisonnier. Quels furent la surprise et les sentiments de tout ce peuple, quand il vit que c'était Jésus, ce grand prophète, qu'on avait reçu trois jours auparavant dans cette même ville comme le Messie, et qui, saisi par ordre des prêtres et des magistrats, était traîné comme un insigne imposteur ? Cette aventure frappa tellement les esprits, que toute leur vénération se changea en indignation contre lui; et à l'instant ce divin Sauveur devint l'objet de l'exécration publique. On le mène d'abord chez Anne, nommé aussi Ananus, qui était grand prêtre, et tenait le premier rang parmi les Juifs; mais comme c'était Caïphe, son gendre, qui cette année-là faisait les fonctions de grand sacrificateur, Anne lui envoya le Sauveur pour lui faire son procès et pour le condamner. Caïphe, averti qu'on lui amenait celui qu'il haïssait et dont il avait déjà prononcé l'arrêt de mort dans le conseil qu'on avait tenu quelques jours auparavant, pour trouver les moyens de s'en défaire avait assemblé chez lui les prêtres, les scribes et les anciens, qui brûlaient d'envie de le voir à leurs pieds et de pouvoir assouvir sur lui leur jalousie et leur rage. Cependant Pierre, honteux d'avoir si lâchement abandonné son bon maître, le suivait de loin. La crainte lui avait fait prendre la fuite, et l'amour l'avait fait revenir; mais cet amour était encore trop faible pour qu'il osât se déclarer son disciple. Mon Dieu, que les ménagements en matière de piété et de religion ont de funestes suites, et qu'il est bien vrai que le respect humain et la crainte de passer pour disciple de Jésus-Christ font tôt ou tard des traîtres et quelquefois même des apostats !

Caïphe, pour sauver les apparences, interroge Jésus-Christ sur sa doctrine. Le Sauveur lui répond avec sa douceur ordinaire qu'il avait toujours prêché en public, et que si l'on voulait connaître sa doctrine on n'avait qu'à inter

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roger tous ceux qui l'avaient entendu. Une réponse si sage et si modeste méritait un applaudissement universel; elle lui attira cependant un affront insigne. Un des officiers lui donna un soufflet. C'était traiter en vil esclave' le Roi des rois néanmoins un traitement si injuste fut approuvé, et on y applaudit dans toute la salle. Cet outrage déchira tellement le cœur de Jésus-Christ, que lui, qui ne demandait qu'à souffrir, ne put en cette occasion ne pas témoigner combien il lui était sensible. Il craignit d'un autre côté qu'on ne crût qu'il avait manqué de respect au pontife du Seigneur; c'est ce qui lui fit dire : Si j'ai parlé mal à propos, montrez en quoi; mais si je n'ai rien dit qui soit contre le respect, pourquoi me frappez-vous de la sorte? Quelques-uns de la lie du peuple, subornés par ses ennemis, déposent contre lui; mais quelque artifice qu'on employât pour le calomnier, tous les faux témoignages qu'on apportait se contredisaient si visiblement, qu'on ne put jamais rien trouver qui donnât un air de vraisemblance à la calomnie. Il n'y avait que la passion, la fureur et l'injustice qui pussent condamner Jésus-Christ.

Le grand prêtre s'avisa de l'interroger sur un point très-délicat, et auquel il crut bien que Jésus ne pouvait se dispenser de répondre. Je vous adjure, lui dit-il, par le Dieu vivant, de nous dire si vous êtes le Fils unique de Dieu, le Messie? Oui, répond le Sauveur sans hésiter, je suis celui que vous dites. Il n'avait pas besoin de preuves; sa vie, sa doctrine, ses miracles le démontraient assez. Cet aveu, si souvent confirmé par le Père éternel, fut un arrêt de mort contre lui dans l'esprit du juge: Reus est mortis. Voilà donc le Saint des Saints, l'innocence même, le Créateur de l'univers et le Sauveur de tous les hommes, condamné à la mort par le plus énorme de tous les attentats, par le plus impie de tous les tribunaux, et contre le droit et l'équité. Eh! mon Dieu, on crie à l'injustice, à la vengeance au moindre tort qu'on éprouve, et votre Fils ne dit un seul mot en se voyant condamné à la mort par des scélérats et des impies?

Sa mort résolue, chacun se retire, et on abandonne le Sauveur pendant tout le reste de la nuit à la cruauté des soldats et à l'insolence des valets, qui non-seulement en font leur jouet, mais qui, le regardant comme une victime vile et destinée à la mort, le traitent de la manière du monde la plus barbare. Les uns lui crachent au visage, les autres le frappent à coups de pieds; ceux-ci lui bandent les yeux, et par une raillerie la plus impie et la plus outrageante: Faux Messie, lui disent-ils en le souffletant, devine qui te frappe. Enfin, c'est à qui lui adressera le plus d'injures, à qui lui donnera le plus de coups.

O sagesse éternelle! ô puissance sans borne ! ô souverain Maître de l'univers, devant qui toutes les principautés du ciel, de la terre et des enfers doivent plier le genou! Vous voilà devenu l'objet de l'insolence d'une tourbe furieuse, effrénée. Concevons, s'il est possible, les injures et les ignominies dont Jésus fut rassasié, et ce que dut souffrir ce divin agneau le reste de la nuit au milieu de ces bêtes féroces. Dès la pointe du jour, ses ennemis s'étant assemblés, on conclut que, pour le rendre encore plus odieux à tout le peuple, il fallait le faire juger et condamner à mort par Pilate, qui commandait pour les Romains en Judée. C'est à ce tribunal profane qu'on conduit le Sauveur, les mains liées derrière le dos comme un scélérat, au travers de Jérusalem et par des rues pleines de gens avides de le voir.

Quel spectacle! Jésus la tête nue, le visage meurtri de coups, les mains liées, environné d'une foule de peuple qui le charge d'imprécations, conduit

au gouverneur païen pour recevoir son dernier arrêt de mort, devant un juge étranger qui ne connaissait que des crimes les plus énormes : pesez toutes ces circonstances. O mon Dieu ! quand est-ce que vos humiliations guériront notre orgueil et serviront de frein à notre ambition? Il serait bien juste qu'elles nous rendissent plus humbles et moins délicats sur le point d'honneur.

Le juge païen découvre bientôt l'innocence du prétendu criminel, et la véritable cause de la haine et de l'injustice criante des Juifs. La calomnie n'ayant pu le faire croire coupable en matière de religion, ils veulent le faire passer pour criminel d'état devant le tribunal; mais toutes leurs accusations tombent. Pilate reconnaît et déclare publiquement son innocence; et ce fut sans doute pour n'être pas obligé de le juger et pour se faire un ami aux dépens du juste, qu'il l'envoie à Hérode, tétrarque ou gouverneur de Galilée. Hérode souhaitait depuis longtemps de voir Jésus, mais par un pur motif de curiosité; aussi le Sauveur ne daigna pas répondre un seul mot à toutes ses vaines questions; et là tout se termine par des injures et des railleries piquantes, et celui qui était la sagesse éternelle est traité de fou par Hérode et par toute sa cour. Faut-il, Seigneur, qu'il n'y ait aucun tribunal, aucun état dans le monde qui ne vous outragent? Vous êtes haï des prêtres, maudit par le peuple, méprisé par les grands, persécuté de tous! On a beau le déclarer innocent, on veut qu'il meure. Pilate désire le délivrer, mais le respect humain l'en empêche. C'était la coutume de donner, la veille de Pâques, la vie à un criminel au choix du peuple. Pilate leur propose Jésus et Barabbas. Y avait-il à délibérer sur la préférence? Jésus, le Saint des Saints, qui avait rendu la vie à tant de morts et la santé à tant de malades; et Barabbas, scélérat de profession, voleur public, chef de faction, et qui avait été mis aux fers pour avoir tué un homme; voilà le concurrent de Jésus; sur qui tombera le choix? Si c'est le monde qui doit le faire, certainement Jésus sera oublié, méprisé, repoussé, condamné. C'est ce qui arriva : Donnez-nous Barabbas, s'écrie-t-on de tous côtés, et crucifiez Jésus. Mais quel mal a-t-il fait, réplique le gouverneur? Est-ce la religion et la raison qu'on consulte quand on n'agit que par passion? On insiste à demander sa mort. Ce fut alors que ce juge païen crut que le moyen d'apaiser leur rage, ou du moins de l'adoucir, était de mettre cet innocent agneau dans un état à faire pitié aux plus barbares. Il ordonne que Jésus soit déchiré à coups de fouets. L'ordre fut exécuté avec tant de cruauté, que Pilate en eut horreur, et il crut qu'il suffirait de le montrer pour éteindre toute fureur et toute rage. S'étant donc présenté au peuple sur un balcon, il fit avancer le Sauveur, et le leur montrant dans un si pitoyable état : Voilà l'homme, leur dit-il, que vous m'avez livré pour le faire mourir; jugez s'il lui reste encore longtemps à vivre. Le voilà, pouvez-vous encore le reconnaître ? Craindrez-vous désormais qu'il veuille se faire votre roi? Et le croyez-vous en état de dogmatiser? Laissez-lui finir, par ses douleurs et son épuisement, un misérable reste de vie. Un spectable si lugubre et si touchant ne fit qu'irriter davantage ces tigres furieux; le sang du Sauveur les rendit encore plus acharnés à lui ôter ce reste de vie. On entend crier de toutes parts: Qu'il soit crucifié, qu'il meure; et Pilate, après avoir protesté publiquement qu'il n'avait point de part à cette injustice, livre enfin cet agneau sans tache pour être immolé.

On serait attendri en lisant une pareille histoire, quand même on saurait que ce n'est qu'une fiction. On est sûr ici de la réalité. Ce tissu d'injustices, d'opprobres, de supplices et de cruautés jusqu'alors inouïes, est

certain; la personne adorable qui souffre de si cruels supplices ne nous est pas inconnue; quelle ne doit pas être notre compassion! Nous savons que ce n'est que pour l'amour de nous qu'elle souffre; avec quel empressement nous devons répondre à sa tendresse et profiter de ses douleurs !

L'Eglise célèbre ces trois derniers jours les obsèques du Sauveur. On commence le mercredi soir l'office des ténèbres, on donne ce nom aux Matines des féries majeures de la semaine sainte, c'est-à-dire du jeudi, du vendredi et du samedi saints. La solennité des prières chantées après le cantique Benedictus pendant l'obscurité de la nuit, toutes les lampes et les cierges étant éteints, a fait appeler ainsi tout cet office.

Le mot de Matines ne convient, à proprement parler, qu'à l'office des Laudes, qui, selon son ancienne institution, doit être chanté le matin à la pointe du jour, et qui s'appelle, à cause de cela, Laudes, ou louanges matutinales: Matutinæ laudes. De là est venu le mot de Matines qui a remplacé celui d'office nocturne, depuis que l'usage de chanter le matin l'office de la nuit s'est introduit dans la plupart des églises cathédrales.

On met pendant l'office des ténèbres un chandelier triangulaire, sur lequel sont quinze cierges qu'on éteint successivement à la fin de chaque psaume. C'est encore un reste de l'ancien usage de l'Eglise. Autrefois on ne mettait point de chandeliers sur les autels. L'usage cependant des lumières, des cierges et des lampes est de la première antiquité dans toutes les églises. Ces luminaires, en grand nombre, étaient posés sur des lustres suspendus, ou sur des poutres élevées qui éclairaient tout le chœur, et même toute l'église, ou bien encore sur de grands chandeliers fixés proche de l'autel, sans parler des flambeaux que portaient les acolytes. Ces chandeliers fixes étaient de diverses figures: les uns étaient en forme de croix, d'autres en triangle et d'autres avaient plusieurs branches. L'usage d'éteindre les cierges à la fin de chaque psaume aux offices des ténèbres de la semaine sainte est très-ancien. Plusieurs donnent un sens spirituel à cette cérémonie et disent que ces cierges qu'on éteint successivement représentent les Apôtres et les disciples de JésusChrist, que le Sauveur appelle la lumière du monde, et qui disparurent et s'enfuirent successivement au moment de sa passion. Le cierge qu'on réserve allumé, qu'on cache durant les prières qu'on dit à genoux après le Benedictus et qu'on rapporte après ces prières finies, sert pour allumer la lampe qui doit brûler devant l'autel, pour ne point laisser sans lumière le très-saint Sacrement. Le sens spirituel de cet usage est, selon plusieurs interprètes, de signifier la mort de Jésus-Christ et sa résurrection. Quoique mort et enseveli, il fut toujours la véritable lumière qui ne saurait s'éteindre; c'est pour mieux exprimer cette belle pensée qu'on prend le cierge qui est à la tête du chandelier triangulaire et qui représente Jésus-Christ.

Le bruit qu'on fait à la fin de l'office n'était anciennement que le signal que le président, en frappant sur son livre ou sur sa chaise, donnait au clergé et au peuple de s'en aller. D'autres prétendent qu'on en use ainsi, non-seulement pour marquer la confusion qui parut dans toute la terre à la mort du Sauveur du monde, mais encore pour exprimer par ce battement de mains un applaudissement universel à la résurrection de Jésus-Christ qui fut son glorieux triomphe sur la mort et sur l'enfer, et que c'est pour cette raison que le cierge allumé et caché paraît dans le même moment.

Le Père Croiset.

LE JEUDI SAINT

Le jeudi saint a été de tout temps pour l'Eglise un des jours les plus solennels, à cause des grands mystères qu'on y rappelle. Les Grecs et les autres peuples de l'Orient l'ont nommé, pour cette raison, le jour des mystères. On y célèbre l'humilité et l'abaissement de Jésus-Christ dans le lavement des pieds, son amour incompréhensible dans l'institution de la divine Eucharistie et du sacerdoce sacré de la nouvelle loi; son oraison mystérieuse, qui fut comme sa première oblation, son agonie sanglante dans le jardin des Oliviers, prélude de sa passion, et sa prise volontaire qui en fut la première scène. Mais l'objet principal de la solennité du jeudi saint, c'est l'institution de la sainte Eucharistie; cette fête a commencé avec cet auguste sacrement, et l'on peut dire que sa célébration est aussi ancienne que l'Eglise. Le deuil même et la tristesse de ces jours consacrés à la passion du Sauveur cédèrent, pour ainsi dire, à la jouissance spirituelle qu'inspire un si grand bienfait. L'Eglise montre sa joie dans la célébration de la messe par la couleur et la magnificence des ornements et par le chant du cantique Gloria in excelsis. La rigueur même du jeûne fut mitigée dès les premiers siècles, et on permettait de prendre le repas après none, comme dans les petits jeûnes; et, pendant longtemps, il y avait obligation de chômer. Le concile de Trèves, assemblé en 1549, réduisit le jeudi saint au rang des demi-fêtes, où la matinée est destinée au service divin et aux autres services de piété, et l'après-midi au travail. L'usage le plus communément reçu aujourd'hui est de laisser la fête à la dévotion des particuliers, en leur recommandant d'assister à l'office divin et de visiter le soir les stations avec cet esprit de religion et cette dévotion que demande une pratique de piété si sainte et si utile.

Quoiqu'on célébrât autrefois avec la plus grande solennité l'institution de l'adorable Eucharistie, le jeudi saint, l'Eglise a depuis jugé que cette fête se trouvait trop resserrée dans un jour qui est aussi consacré à la mémoire de la passion du Sauveur. Ce fut donc vers le milieu du treizième siècle qu'elle jugea à propos de transférer la fête particulière du très-saint Sacrement, du jeudi saint au jeudi après l'octave de la Pentecôte, pour la célébrer avec toute la magnificence et la solennité que demande un mystère qui fait notre bonheur, qui renferme la source de toutes les grâces, et qu'on peut appeler le trésor de notre religion. On renvoie à ce jour à parler plus au long de cet adorable mystère.

Le lavement des pieds est une des principales cérémonies du jeudi saint, Jésus-Christ ayant dit à ses disciples que s'il leur lavait les pieds, lui qui était leur Seigneur et leur maître, ils devaient aussi se laver les pieds les uns aux autres. On a toujours pris cet ordre comme un commandement d'humilité et comme une leçon qu'il était à propos d'observer à la lettre. Les premiers chrétiens s'en firent une loi de charité à l'égard des hôtes qu'ils recevaient, et à qui on ne manquait jamais de laver les pieds d'abord après leur arrivée. La même pratique se conserva encore plus religieuse

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