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LE DIMANCHE DE QUASIMODO

Ce dimanche si privilégié dans l'Eglise termine la célèbre octave de Pâques. C'était principalement pour les néophytes, ou nouveaux baptisés, que ces huit jours de fêtes étaient observés, afin de les munir par des secours spirituels, dit saint Chrysostome, contre tous les combats qu'ils auraient à soutenir après le baptême, le démon ne nous faisant jamais une plus rude guerre que lorsqu'il nous voit enrichis des plus grands dons du ciel Quanto majus est donum, tanto etiam majus est bellum..... idcirco septem consequentibus his diebus, concionum doctrina fruimini, ut in luctarum palæstra diligenter instruamini. Chaque jour de cette octave a une messe propre et un évangile qui servait de texte aux instructions qu'on faisait aux nouveaux baptisés. Saint Augustin dit que cette fête de huit jours était établie, nonseulement pour célébrer la solennité de la Résurrection, mais encore pour servir à fortifier et la nouvelle naissance de ceux qui avaient été régénérés, et leur enfance spirituelle; c'est pour cela aussi qu'on les faisait communier tous ces huit jours.

Les Grecs appellent ce dimanche le dimanche nouveau, parce que c'est la première fois que les néophytes, ayant quitté l'habit blanc, paraissent à l'église dans l'habit ordinaire comme le commun des fidèles, et ils lui donnent aussi le nom d'Anti-Pâques, c'est-à-dire, le dimanche qui est à l'opposite du dimanche de Pâques, dont il termine l'octave et la solennité.

Chez les Latins, il est qualifié de divers noms. Il est appelé dans les plus anciens sacramentaires l'octave de Pâques, parce qu'il forme la clôture nonseulement de cette célèbre octave, mais encore de la quinzaine pascale, dont le dimanche des Rameaux faisait l'ouverture; de là est venu le nom de Pâque clause, dont on se sert encore en France. Le nom de dimanche de Quasimodo est aujourd'hui le plus commun et le plus usité; c'est le premier mot de l'Introït de la messe de ce jour. Enfin il est appelé le dimanche in Albis, c'est-à-dire, le dimanche qui suit la semaine où les néophytes portaient l'habit blanc en signe de l'innocence qu'ils avaient reçue dans le baptême. Paschalis solemnitas, dit saint Augustin, hodierna festivitate concluditur, et ideo neophytorum habitus commutatur, ita tamen, ut candor qui de habitu deponitur, semper in corde teneatur: C'est aujourd'hui, dit ce Père, que la solennité de Pâques est terminée; c'est pour cela que les néophytes changent d'habit, bien entendu qu'en quittant l'habit blanc, ils ne doivent jamais quitter la blancheur de leur âme, qui consiste dans l'innocence.

C'est aussi en ce jour qu'à Rome les diacres distribuaient aux fidèles, après la communion, les Agnus Dei que le Pape avait bénits solennellement, comme on l'a dit ailleurs, et qu'il avait commencé à distribuer la veille.

L'Introït de la messe est tiré de la première épître de l'apôtre saint Pierre Quasimodo geniti infantes, alleluia: Comme des enfants qui viennent de naître, que vos premiers cris soient des louanges au Seigneur, et

des actions de grâces à ce Père des miséricordes, pour les signalés bienfaits dont il vous a comblés. C'est proprement aux néophytes que l'Eglise s'adresse; c'est une espèce d'exhortation que l'Eglise leur fait. Rationabile, sine dolo, lac concupiscite, alleluia, alleluia, alleluia. Désirez ardemment le lait pur de la sagesse, et ne cessez de vous répandre en cantiques de louanges et de bénédictions envers un Dieu qui, du fond des ténèbres, vous a appelés à son admirable lumière, vous qui autrefois n'étiez pas le peuple de Dieu et qui l'êtes maintenant. Sine dolo lac concupiscite : c'est toujours la même allégorie, enfants spirituels, néophytes nés par le baptême, seulement depuis huit jours vous avez besoin d'être nourris de lait, mais d'un lait pur et sans mélange : Concupiscite lac sine dolo: Ayez donc de l'ardeur pour la doctrine saine et pure de l'Evangile. Quelques saints Pères entendent aussi par ce lait pur, l'Eucharistie, qui est en effet le lait des faibles et la nourriture solide de ceux qui sont forts; aussi la donnait-on tous les jours aux nouveaux baptisés durant cette octave. Concupiscite : Soyez affamés de cette divine nourriture, afin que par ce lait, dit le saint Apôtre, vous croissiez jusqu'à parvenir au salut.

L'Epître de la messe de ce jour est tirée de la première lettre de saint Jean. L'Apôtre assure que ceux qui sont nés de Dieu sont victorieux du monde, et que cette victoire est l'effet de la foi que nous avons en JésusChrist Omne quod natum est ex Deo, vincit mundum, c'est-à-dire, que tous les vrais chrétiens, devenus enfants adoptifs de Dieu par le baptême, sont victorieux du monde, victorieux de cet empire que le démon s'était fait dans le monde, et où il ne laisse pas, quoique vaincu, d'avoir des partisans de ses lois, de ses coutumes et de ses maximes. Jusqu'à la mort de JésusChrist, le démon, fier de la disgrâce que l'homme avait encourue par le péché, ne ménageait plus rien; il commandait en maître et se faisait élever des autels, donner de l'encens, adresser des vœux de là, ces temples, ces idoles, ces sacrifices impies; de là ce torrent de l'idolâtrie qui avait inondé tout l'univers. La seule nation juive, par une singulière prédilection de Dieu, était exempte de la contagion générale; encore a-t-elle été presque dans tous les siècles quelquefois entraînée par le mauvais exemple. Jésus-Christ par sa mort avait bien vaincu ce fort armé, et triomphé de toutes les puissances, de tous les maîtres de ce monde, lieu de ténèbres : Adversus mundi rectores tenebrarum harum. Mais le monde, accoutumé à vivre sous ce tyran, en a retenu les maximes et l'esprit ; c'est pour cela que, quoique la religion chrétienne l'ait purgé du paganisme, les chrétiens ont toujours eu à combattre cet esprit et ces maximes du monde, qui se sont retranchés dans le cœur des mondains. Mais les vrais enfants de Dieu ont remporté et remportent tous les jours la victoire; et cette victoire qui rend victorieux du monde, des maximes pernicieuses du monde, de l'esprit contagieux du monde, c'est notre foi: Et hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra. Le monde inspire l'amour du plaisir, des richesses, des faux honneurs, des commodités de la vie; la foi des chrétiens inspire des sentiments tout contraires; et cette morale, quoique opposée aux sens, aux inclinations de la chair, à l'amour-propre, à l'esprit et aux maximes du monde, a triomphé de tous les préjugés malgré leur prescription. Les hommes les plus orgueilleux et les plus sensuels se sont rendus à la doctrine de l'Evangile, dans le cloître et dans les déserts, au milieu du monde le plus brillant, et jusque sur le trône même; sages du monde, grands du monde, partisans du monde, tout a plié, tout s'est rendu, tout s'est soumis au joug de Jésus-Christ; c'est à la foi animée par la charité que cette vic

toire est due: Hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra. Quel est celui qui remporte la victoire sur le monde, continue le saint Apôtre, sinon le chrétien qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? Certains païens, certains esprits forts se sont vantés, ont fait parade même d'avoir du mépris pour le monde, et ils en ont été les esclaves; il n'y a que la foi des chrétiens qui ait pu le subjuguer. Il s'est trouvé des gens, hors de l'Eglise, qui ont pu mépriser les honneurs et les richesses; mais en a-t-on trouvé qui aient résisté aux attraits de la volupté, qui aient eu le courage de pardonner les injures, qui aient porté la charité jusqu'à aimer avec tendresse leurs plus mortels ennemis? Hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra. Remarquez que l'Apôtre ne dit pas simplement que c'est la foi qui a remporté cette victoire : l'hérétique pourrait se flatter d'y avoir part; mais il dit: Fides nostra; c'est la foi qu'avaient les Apôtres et les premiers fidèles, et qui ne se trouve que dans l'Eglise romaine; il n'y a que la foi des catholiques qui soit la foi des Apôtres et des premiers chrétiens.

Jésus-Christ, ajoute l'Apôtre, est venu avec l'eau et avec le sang, ce qui prouve qu'il est aussi vrai homme qu'il est vrai Dieu. Jean-Baptiste n'est venu que dans l'eau, c'est-à-dire, avec le seul baptême de l'eau; aussi son baptême n'ôtait point le péché du monde. Jésus-Christ est venu non avec l'eau seule, mais avec l'eau de son baptême, et avec le sang de sa passion, qui a donné à son baptême toute son efficace pour la rémission des péchés. Le dessein de l'Apôtre, dans cette épître, est de démontrer que Jésus-Christ notre Sauveur est vrai Dieu et vrai homme tout ensemble, et que comme le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, qui ne sont qu'un seul et même Dieu, rendent témoignage dans le ciel de la divinité du Sauveur du monde, trois choses aussi sur la terre, savoir l'esprit, l'eau et le sang rendent témoignage que Jésus-Christ est aussi vrai homme qu'il est vrai Dieu. C'est cet esprit de Jésus-Christ qui nous vivifie, c'est cette eau du baptême qui nous purifie, c'est ce sang du Rédempteur qui expie nos péchés et nous réconcilie avec Dieu; et ces trois choses n'en sont qu'une, et hi tres unum sunt, c'est-à-dire, la même personne, le même homme, qui est Jésus-Christ Notre-Seigneur. Le témoignage d'un Dieu est bien plus grand et plus authentique que celui des hommes. Or, si on ne laisse pas de croire celui des hommes, on doit donc d'autant plus de créance à celui que Dieu même a rendu publiquement à son propre Fils, et sur le Jourdain dans son baptême, et sur le mont Thabor dans sa transfiguration, et au temple après son entrée solennelle dans la ville de Jérusalem. Jésus-Christ s'est rendu à lui-même ce glorieux témoignage en plusieurs occasions, et surtout devant Caïphe et devant Pilate; enfin, le Saint-Esprit l'a rendu visiblement en paraissant sur lui en forme de colombe et en descendant en langues de feu sur les Apôtres. De là, l'Apôtre conclut que celui qui croit au Fils de Dieu, celui qui croit que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, ne saurait errer, puisqu'il a le témoignage de Dieu même. Tout ceci peut se rapporter à l'état des nouveaux baptisés, puisqu'ayant reçu le baptême de l'eau, du sang et du Saint-Esprit, ils sont nés de Dieu par cette régénération, et sont devenus victorieux du monde, qui est, avec Satan, l'ennemi qu'ils ont eu à combattre et dont ils ont triomphé par la foi.

L'évangile de la messe contient l'histoire d'une apparition de JésusChrist, arrivée précisément huit jours après sa résurrection. Il la fit, ce semble, principalement en faveur de saint Thomas, celui des Apôtres. qui ne l'avait point encore vu ressuscité, ne s'étant pas trouvé avec les

autres.

Saint Chrysostome croit que les Apôtres ayant pris la fuite, lorsque le Sauveur fut arrêté dans le jardin, se rassemblèrent les uns après les autres à mesure qu'ils revinrent de leur frayeur. Thomas n'était pas encore de retour le soir du jour de la résurrection, lorsque Jésus-Christ apparut à toute l'assemblée, les portes étant fermées. On eut beau lui raconter tout ce qui s'était passé en son absence, les circonstances de la résurrection de Jésus-Christ, son apparition à Madeleine, aux autres femmes, à Pierre, aux deux disciples qui allaient à Emmaüs, et enfin à tous les frères assemblés, Thomas ne peut se rendre à tant de témoignages si peu suspects; il déclare qu'il ne s'en rapportera qu'à sa propre expérience, et qu'à moins qu'il ne voie de ses yeux et qu'il ne touche de ses mains le corps de son divin Maître, il ne le croira point ressuscité; il ajoute même qu'il ne se contentera pas de voir dans ses mains la marque des clous qui les avaient percées, qu'il voulait encore mettre le doigt dans l'ouverture que ces clous avaient faite, et la main dans la plaie de son côté. Dieu permit cette cri- . minelle opiniâtreté dans un Apôtre, d'ailleurs attaché à la personne du Sauveur, et qui avait même témoigné être prêt à donner pour lui sa vie, afin de servir de nouvelle preuve à la vérité de sa résurrection. L'incrédulité de Thomas, disent les Pères, n'a pas peu servi à la foi des fidèles. Un homme de ce caractère n'était certainement pas disposé à croire légèrement. Son infidélité, dit saint Grégoire, nous a été plus avantageuse que la simple foi des autres Apôtres : Plus nobis Thomæ infidelitas ad fidem, quam fides discipulorum profuit; parce qu'en ne voulant croire qu'après avoir vu et touché, il a banni de notre esprit jusqu'aux moindres doutes : Quia dum ille ad fidem palpando reducitur, nostra mens omni dubitatione postposita in fide solidatur.

Jésus voulut bien avoir cette condescendance à l'égard d'un disciple qu'il s'agissait de guérir de son incrédulité. Il lui accorda ce qu'il avait presque toujours refusé aux pharisiens et aux autres Juifs. On peut attribuer cette différence de conduite aux différentes dispositions de leurs cœurs. Les pharisiens haïssaient Jésus-Christ, et ne voulaient pas qu'il fût ce qu'il leur avait déjà si souvent et si évidemment prouvé qu'il était; et s'ils demandaient de nouvelles preuves, ce n'était que pour les combattre. Saint Thomas, dans une situation d'esprit et de cœur toute contraire, aimait dans le fond Jésus-Christ; il souhaitait passionnément sa résurrection et sa gloire, et ce n'était que ce grand désir même qui l'empêchait de la croire, avant que de s'en être assuré par lui-même. Un trop grand désir de voir arriver une chose qu'on souhaite passionnément fait qu'on refuse même de croire ceux qui nous disent qu'elle est arrivée, pour ne s'en rapporter qu'à ses propres sens telle était peut-être l'incrédulité de cet Apôtre; cela ne pouvait néanmoins le justifier. Jésus-Christ l'en reprit, quoique en termes pleins de douceur et de tendresse, après lui avoir accordé d'ailleurs toutes les preuves qu'il demandait de sa résurrection.

Huit jours après, post dies octo, c'est-à-dire le dimanche suivant, qui était le premier jour de la semaine, una sabbatorum, les disciples s'étant assemblés, et ayant fermé les portes de peur que les Juifs ne vinssent les insulter, Thomas étant avec eux, Jésus parut tout à coup au milieu d'eux, et leur dit La paix soit avec vous. Cette manière de saluer lui était ordinaire. La joie fut générale; mais Thomas fut bien surpris, lorsque ce divin Sauveur, qui venait principalement pour ramener la brebis égarée, s'adressant à lui: Vous ne voulez point croire que je sois ressuscité, lui dit-il, si vous ne mettez votre main dans mes cicatrices; je veux que vous vous con

vainquiez de la vérité de ma résurrection par le témoignage de vos yeux et de vos mains, et que vous cessiez d'être incrédule. Voyez dans mes pieds et dans mes mains les ouvertures que les clous y ont faites; ne vous en fiez pas à vos yeux, mettez-y votre doigt, avancez votre main et mettez-la dans mon côté, et ne soyez plus incrédule, mais fidèle. Il n'y a pas lieu de douter que Thomas n'ait mis les mains dans les plaies du Sauveur. Confus de son opiniâtreté, et pénétré de la douleur la plus vive, de la contrition la plus parfaite de sa faute, il se jette aux pieds de Jésus-Christ et s'écrie, animé d'une foi vive: Je reconnais, mon divin Maître, que vous êtes véritablement mon Seigneur et mon Dieu : Dominus meus, et Deus meus. Le Sauveur, content du retour de cette brebis égarée, lui adresse avec bonté ces consolantes paroles: Parce que vous m'avez vu, vous avez cru; mais sachez qu'heureux seront ceux qui, ne m'ayant point vu, ne laisseront pas de croire. Saint Thomas crut d'une foi divine; il crut même plus qu'il ne voyait, puisqu'il crut la divinité de Jésus-Christ qui ne tombait point sous les sens c'est ici même la confession de la divinité de Jésus-Christ la plus expresse qui paraisse dans l'Evangile. Mais le Seigneur voulut lui faire entendre que sa foi eût été plus parfaite, si, sans attendre de preuve sensible, il s'en fût rapporté d'abord à ce qu'il lui avait dit si souvent de sa résurrection et de sa divinité durant sa vie mortelle : Beati qui non viderunt, et crediderunt. Que cette parole est consolante pour tous les fidèles! Nous sommes ici particulièrement désignés par le Sauveur, dit saint Grégoire, nous, qui ne l'ayant point vu dans sa chair mortelle, le contemplons seulement des yeux de l'esprit, et le conservons invisiblement dans notre cœur, pouvu que nos œuvres s'accordent avec notre foi car faire profession de connaître Dieu, et le renoncer par ses œuvres, c'est n'être fidèle que de nom : Ille etenim vere credit, qui exercet operando quod credit.

Saint Jean finit l'histoire de cette apparition en disant que le Sauveur a fait encore en présence de ses disciples plusieurs autres miracles qui ne sont point écrits dans ce livre, et que ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ Fils de Dieu, en qu'en le croyant, vous ayez la vie en son nom. En effet, il n'y a de salut en aucun autre; car sous le ciel il n'est point d'autre nom accordé aux hommes, en vertu duquel nous devions être sauvés : Non est in aliquo alio salus. Nec enim aliud nomen est sub cœlo datum hominibus, in quo oporteat nos salvos fieri. De toutes les apparitions par lesquelles Jésus-Christ a voulu assurer ses disciples de la vérité de sa résurrection, le saint Evangéliste n'a rapporté que celles-ci, qui lui ont paru suffisantes pour convaincre les fidèles qu'il est le Fils de Dieu et le Sauveur des hommes. Les autres apparitions assez fréquentes qu'il a faites jusqu'au jour de sa glorieuse ascension, ont toutes eu pour fin quelque autre motif; tantôt c'est pour établir Pierre son vicaire et le chef de son Eglise, tantôt pour les instruire sur les mystères et sur les autres points de la religion.

Le Pere Croiset.

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