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dans son sein, m'honore elle-même de sa visite? » que devons-nous dire et que pouvons-nous penser lorsqu'en ce Sacrement le Maître souverain de toutes choses daigne venir dans notre bouche et entrer dans notre estomac ? N'aurions-nous pas raison de faire, chacun en particulier, cette exclamation: D'où me vient cet avantage, non pas que la Mère de Dieu, mais que Dieu même, que celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied, et dont les anges se font gloire d'être les serviteurs, ait la bonté de venir dans moi? Dans moi, dis-je, qui l'ai si indignement et si outrageusement offensé; dans moi, qui ai si longtemps servi de retraite et d'instrument aux démons ses ennemis; dans moi, qui lui ai si souvent fermé les avenues et la porte de mon cœur; dans moi, qui l'en ai tant de fois chassé honteusement par le péché. Cependant, c'est par la fréquente participation de ce Sacrement qu'il veut que nous reconnaissions la grâce qu'il nous a faite en l'instituant, parce que son plaisir est d'être et de converser avec les enfants des hommes; et qu'il ne se repose pas avec moins de délices sur le cœur du juste que sur le trône éclatant où il est assis dans le ciel. Il ne s'est incarné qu'une seule fois dans le sein de la sainte Vierge; mais il veut entrer mille et mille fois dans nos entrailles, et il s'estime bien récompensé de son immense charité, lorsque nous lui préparons une demeure pure et un esprit embrasé de son amour.

Dans la naissance de l'Eglise, lorsque le sang de Jésus-Christ était encore, pour ainsi dire, tout bouillant, lorsque les fidèles, vendant leurs biens et renonçant parfaitement au monde, s'appliquaient tout entiers aux exercices de la piété, leur coutume était de communier tous les jours, comme on le voit par les Actes des Apôtres (chap. 1). Cette ferveur s'étant bientôt ralentie, on dit que le pape saint Anaclet tâcha de la rétablir, ordonnant que tous ceux qui assisteraient au saint sacrifice de la messe y communiassent après la consécration. Un peu après, du temps de saint Justin, martyr, les fidèles s'assemblaient tous les dimanches en un certain lieu pour y communier, et le diacre portait même la communion aux absents. Tertullien dit qu'il était permis aux chrétiens d'emporter chez eux la sainte Eucharistie pour se communier eux-mêmes à leur dévotion, et que c'était alors la coutume que les prètres sacrifiassent tous les jours, et que les laïques communiassent tous les mercredis et les vendredis de l'année. Mais le nombre des chrétiens croissant à l'infini, et l'Eglise recevant dans son sein des personnes de toutes sortes d'états, de conditions et d'emplois, cette observance devint presque impossible. Ainsi, nous lisons que le pape saint Fabien se contenta d'ordonner qu'on communierait trois fois l'année, savoir à Pâques, à la Pentecôte et à Noël; et c'est aussi un des canons du concile d'Agde et du concile d'Elvire, ainsi qu'ils se trouvent cités dans le décret. Enfin, le pape Innocent III, au concile général de Latran, fit commandement à tous les fidèles qui n'observaient plus ces anciennes lois, de confesser tous leurs péchés au moins une fois l'année, à leur propre pasteur, ou à celui qui aura pouvoir de les absoudre; et de communier aussi au moins une fois au temps de Pâques : ce que le concile de Trente a encore confirmé. Mais, quoique l'Eglise n'oblige pas à une communion plus fréquente, sous peine de péché mortel et de la damnation éternelle, néanmoins il faut avouer que si l'on se contente de la communion annuelle, c'est peu correspondre à la charité de Notre-Seigneur et n'avoir guère soin du salut de son âme qui n'a pas moins besoin de cet aliment céleste que le corps de l'aliment matériel.

Tous les saints docteurs nous exhortent à nous approcher souvent de

cette table des anges. Saint Basile dit (dans son épître CCLXXXIX): « C'est une chose belle et fort utile de communier tous les jours, et de participer au corps sacré et au précieux sang du Fils de Dieu, puisque lui-même dit ces pareles : « Quiconque mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Car, qui doute que ce ne soit vivre en plusieurs manières, de participer souvent à la vie? C'est pourquoi nous communions toutes les semaines quatre fois le dimanche, le mercredi, le vendredi et le samedi, même tous les jours où se rencontre la fête de quelque saint ». Saint Cyrille d'Alexandrie (dans ses Commentaires sur saint Jean), pour aller au-devant de ceux qui cherchent de faibles excuses et de vains prétextes pour s'éloigner de la sainte communion, dit ces admirables paroles : « Si nous voulons avoir la vie éternelle, si nous désirons posséder en nous Celui qui donne l'immortalité, courons avec ferveur pour recevoir la bénédiction de l'Eucharistie. Gardonsnous bien de nous laisser tomber dans ce piége du démon qui tâche de nous en détourner par un scrupule superstitieux. Si quelqu'un me répond : Il est écrit : « Celui qui mange de ce pain et boit de ce calice indignement, mange et boit sa condamnation »; et, m'étant examiné moi-même, je me trouve indigne; pour moi, je lui dirai : Quand est-ce donc que vous en serez digne ? Quand vous présenterez-vous à Jésus-Christ? Car, si vos péchés vous retirent de la communion, et que vous ne cessiez de pécher, selon ces paroles du Psalmiste: « Qui est celui qui connaîtra tous ses péchés ?» vous ne vous en approcherez jamais. Prenez donc plutôt la résolution de mener une vie sainte, afin de participer à la bénédiction de l'Eucharistie qui a la puissance, non-seulement de chasser la mort, mais aussi de nous guérir de nos maladies. En effet, Jésus-Christ étant en nous, il apaise les rébellions de notre chair, rallume notre piété envers Dieu, bannit le trouble que nos passions excitent dans notre intérieur, et, sans avoir égard aux fautes que nous commettons tous les jours, il guérit nos infirmités, il rétablit ceux qui sont blessés, et, comme un bon pasteur, il nous relève lorsque nous sommes tombés ». Palladius (dans son Histoire des saints Pères), parlant de saint Macaire qui avait guéri une femme d'une affreuse difformité, lui fait tenir ce discours à cette femme : « Prenez bien garde de ne plus abandonner l'Eglise, ni de vous abstenir de la communion des Sacrements de Jésus-Christ, et sachez que cette infirmité vous est arrivée de ce que vous avez déjà été cinq semaines sans vous approcher des sacrements adorables de NotreSeigneur Jésus-Christ ». Cassien (dans sa vingt-deuxième Conférence), combat l'orgueil caché de ceux qui, sous un prétexte d'humilité, refusent de s'approcher de la communion de peur de n'y être pas assez disposés. « Quoique nous soyons pécheurs », dit ce savant abbé, « nous ne devons pas pour cela nous priver de la communion du corps de Jésus-Christ; mais au contraire, il faut nous en approcher avec d'autant plus d'avidité que nous y devons trouver une médecine pour notre âme et de quoi purifier notre esprit. Néanmoins il faut s'en approcher avec une telle humilité de cœur que, nous estimant indignes de cette grâce, nous y allions pour obtenir des remèdes à nos plaies; car autrement nous ne devrions pas communier, même une fois l'année. Il est donc juste qu'avec une grande humilité de cœur, croyant et confessant que nous ne pourrons jamais approcher de ces divins mystères avec les préparations qu'ils méritent, nous les recevions tous les dimanches pour en tirer le remède de nos maladies; cela vaut mieux que de penser, avec un cœur enflé d'une vaine persuasion, que, même après un an entier, nous sommes dignes d'en être participants ».

Nous pourrions rapporter encore plusieurs beaux passages de saint Jean

Chrysostome, de saint Augustin et de saint Thomas; mais nous laissons au lecteur le soin de les voir dans leurs ouvrages : nous exposerons seulement quel a été le sentiment du concile de Trente sur cette matière ; celui de saint Charles Borromée, cardinal et archevêque de Milan, et celui du grand saint François de Sales, évêque et prince de Genève. Le concile de Trente (dans la session vingt-deuxième, chapitre sixième), dit en termes formels : « Le saint Concile désirerait bien qu'à chaque messe les fidèles communiassent, non pas seulement d'une affection spirituelle, mais aussi en recevant sacramentellement l'Eucharistie, afin qu'ils reçussent un plus grand fruit de ce saint sacrifice, etc. » Saint Charles, qui non-seulement a vu le concile, mais qui a travaillé particulièrement à le faire terminer par l'autorité de Pie IV, son oncle, sachant très-bien le sentiment des Pères assemblés, donne cette instruction aux curés de son diocèse : « Que tout curé s'efforce d'exciter le peuple à l'usage très-salutaire de la fréquente communion, lui proposant pour cela les règles et les exemples de l'Eglise naissante et la doctrine reçue d'un commun consentement de tous les Pères; il le pourra apprendre du Catéchisme romain et du Concile de Trente ».

Enfin, saint François de Sales, l'ornement de son siècle, parle très-clairement sur ce sujet (au chapitre vingt et unième de la seconde partie de son Introduction à la vie dévote): « Si », dit-il, « les mondains vous demandent pourquoi vous communiez si souvent, répondez-leur que deux sortes de gens doivent souvent communier les parfaits, parce qu'étant bien disposés, ils auraient grand tort de ne point s'approcher de la source et fontaine de perfection; et les imparfaits, afin de pouvoir justement prétendre à la perfection; les forts, afin qu'ils ne deviennent pas faibles; et les faibles, afin qu'ils deviennent forts; les malades, afin d'être guéris; et les sains, afin qu'ils ne tombent pas en maladie; et que vous, comme imparfait, faible et malade, vous avez besoin de souvent communier avec votre perfection, votre force et votre médecin. Dites-leur que ceux qui n'ont pas beaucoup d'affaires mondaines doivent souvent communier, parce qu'ils en ont souvent la commodité, et ceux qui ont beaucoup d'affaires mondaines, parce qu'ils en ont la nécessité. Et que celui qui travaille beaucoup doit aussi manger des viandes solides et souventes fois. Dites-leur que vous recevez le saint Sacrement pour apprendre à le bien recevoir, parce qu'on ne fait guère bien une action à laquelle on ne s'exerce pas souvent ». Les Pères spirituels, c'està-dire ceux qui ont écrit sur la théologie mystique, nous conseillent tous de nous approcher souvent de la sainte Eucharistie, malgré nos chutes journalières et nos froideurs dans nos exercices de dévotion, parce que c'est dans ce divin Sacrement que nous trouvons des forces pour ne plus tomber et des ardeurs pour aimer Dieu. Jean Gerson, cet illustre chancelier de l'Université de Paris, si consommé dans l'expérience des choses spirituelles, assure que, dans la communion, l'on puise souvent la ferveur qu'on n'y avait point apportée; voici ses paroles: « Vous me direz que vous êtes froid ou tiède, et moi je vous réponds qu'il arrive souvent que celui qui entre à l'autel avec un peu de dévotion et beaucoup de tiédeur, en sort tout échauffé et tout fervent ». Taulère dit, après saint Thomas: « Quoiqu'il soit bon de s'abstenir, pour un temps, de la participation de l'Eucharistie par une profonde humilité, néanmoins il est beaucoup meilleur de s'en approcher par un sentiment d'amour ». Et afin qu'on ne lui objecte point. qu'on ne se sent guère de dévotion, il dit : « Qu'une grande dévotion sensible n'est nullement nécessaire pour communier; mais qu'il suffit de n'avoir sur sa conscience aucun péché mortel et de sentir un grand désir de

plaire à Dieu. Que personne donc, conclut-il, sous prétexte de quelques petits manquements, ne se retire de l'usage de la sainte Eucharistie; mais, au contraire, que celui qui est infirme et imparfait, ayant une bonne volonté, s'en approche avec joie et avec amour». C'est aussi le sentiment du célèbre Pierre de Blois, abbé de Liessies, puisqu'il se sert des paroles de Taulère que nous venons de rapporter. Il raconte, dans un autre endroit, que, comme sainte Gertrude priait pour une religieuse de son monastère, laquelle jetait l'épouvante dans l'esprit de ses sœurs et les détournait de communier si souvent, Notre-Seigneur lui apparut et lui fit ses plaintes en ces termes : « Puisque mes délices sont d'être avec les hommes, et que l'amour que j'ai pour eux m'a fait instituer ce Sacrement, afin que les fidèles le reçussent en mémoire de moi, et que tout mon désir est de demeurer avec eux jusqu'à la consommation des siècles ; quiconque détourne ceux qui ne sont pas en péché mortel, soit par paroles ou autrement, de recevoir ce précieux gage de mon amour, il empêche en quelque façon et interrompt les délices que j'aurais d'être avec eux ». Voici la conclusion que nous tirons de toutes ces autorités, quoiqu'il y ait peu de laïques, dans la corruption du siècle où nous vivons, qui soient capables de la communion de tous les jours; toutefois, il est à souhaiter que ceux qui vivent dans la crainte de Dieu et dans l'horreur du péché mortel, et qui font profession d'une vie pure et bien réglée, communient au moins tous les dimanches (comme il est porté au livre des Dogmes ecclésiastiques, attribué à saint Augustin, mais qui est plus probablement du prêtre Gennade). Pour ceux qui ne veulent jamais quitter le péché, ils ne doivent jamais communier; puisque communier en état de péché, ce n'est pas manger son salut et sa vie, mais son jugement et sa mort, et se rendre coupable du corps et du sang du Fils de Dieu. Ou, pour mieux dire, ils doivent nécessairement quitter cette volonté si injuste et si pernicieuse qui les rend incapables de goûter la vic, et les livre à une mort éternelle, et prendre des sentiments plus chrétiens et plus religieux; alin que, par le moyen de cet aliment céleste, ils puissent éviter ces peines qui dureront éternellement.

Nous ne finirions jamais, si nous voulions nous arrêter à tout ce qui touche cet auguste sacrement de l'Eucharistie. On trouvera dans Gennade, et dans plusieurs autres livres spirituels, les affections et les sentiments qu'il faut concevoir avant la communion, à l'instant de la communion et après la communion, et comment il se faut comporter pour recevoir ses effets dans toute leur plénitude, et pour les entretenir et les conserver après les avoir reçus. Louons éternellement Notre-Seigneur qui a été si magnifique, et, pour ainsi parler, si prodigue à notre endroit, et ne cessons jamais de lui rendre amour pour amour et de nous donner et consacrer entièrement à lui, après qu'il s'est donné tout à nous avec une libéralité et une profusion si merveilleuses.

Ce récit est du Père Giry; nous n'avons fait que le compléter.

LE DIMANCHE DANS L'OCTAVE DU SAINT SACREMENT

ET LE DEUXIÈME APRÈS LA PENTECOTE

Ce dimanche et toute l'octave sont la continuation de la fête solennelle du très-saint Sacrement et de la célébrité du triomphe de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

L'Introït de la messe est tirée du psaume xvir, qui est un cantique d'actions de grâces que David a composé pour remercier Dieu de l'avoir tiré de tant de dangers; il le bénit de l'avoir pris sous sa protection et de lui avoir donné de ne plus craindre ses ennemis et de remporter sur eux de nombreuses victoires. Comme David, toute notre force est en Jésus-Christ. Nous avons dans l'Eucharistie un rempart que tout l'enfer ne saurait jamais forcer. Quelle plus illustre, quelle plus sûre protection! Sur nos autels, Jésus-Christ est notre appui, notre consolation, notre refuge, toute notre ressource au milieu des dangers de cette vie. C'est dans cet esprit que l'Eglise commence la messe de ce jour, par le verset de ce psaume qui exprime si bien les sentiments vifs et affectueux de reconnaissance et d'amour que doivent avoir tous les fidèles au souvenir des biens infinis que nous trouvons dans le saint Sacrement: Factus est Dominus protector meus: Le Seigneur s'est fait mon protecteur en se donnant à moi pour me nourrir: Et duxit me in latitudinem: Je ne serai plus pressé par mes ennemis, le Seigneur m'a mis au large. Salvum me fecit, quoniam voluit me: Je reconnais bien que c'est l'excès de son amour immense qui m'a sauvé. Le témoignage le plus éclatant de sa tendresse, est le gage de mon salut; aussi aimerai-je mon Sauveur de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces: Diligam te, Domine. Comment pourrai-je, ô mon Dieu, après une si prodigieuse marque de votre amour, ne pas vous aimer de tout mon cœur, ou ne vous aimer que médiocrement, ou avec réserve? Diligam te, Domine, virtus mea: Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes toute ma force. Dominus firmamentum meum, et refugium meum, et liberator meus: Le Seigneur est mon appui, mon refuge, mon libérateur.

L'Eucharistie est le pain des forts; c'est ce pain céleste, ce pain divin, ce pain de vie, dont celui que l'ange apporta à Elie, et qui lui donna tant de vigueur pour continuer son chemin, n'était que la figure: Et ambulavit in fortitudine cibi illius. Ceux que nous excitons et exhortons au combat pour la foi, disait saint Cyprien écrivant au pape Corneille, nous ne souffrons pas qu'ils entrent dans le champ de bataille sans être auparavant fortifiés et comme armés du corps et du sang de Jésus-Christ par la communion Quos excitamus, et hortamur ad prælium, non inermes nudosque relinquimus, sed protectione corporis et sanguinis Christi munimus. Nous devons sortir de la sainte table, disent les saints Pères, comme des lions pleins de ce feu divin que le corps et le sang de Jésus-Christ allument dans l'âme; quel courage, quelle force ne donne-t-il pas pour supporter les misères de la vie!

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