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sieurs autres saints Pères, les créatures signifient ici tous les hommes, et surtout les gentils dont l'Apôtre commence à annoncer la vocation à la foi, signe de leur prochaine délivrance. Le Messie est appelé dans l'Ecriture, le désiré des nations. Il y avait longtemps, dit le savant interprète que nous avons souvent cité, il y avait longtemps que les gentils sentaient le poids de leurs misères; ils en gémissaient et ils en étaient d'autant plus accablés, qu'ils avaient, pour en sortir, moins de secours que les Juifs. Dieu l'avait ainsi permis pour manifester en son temps les trésors de ses miséricordes. L'heureux moment était enfin venu, où ils devaient être réconciliés à leur Dieu. Les grâces qui leur étaient communiquées, rendaient leurs misères plus pesantes et plus sensibles, et leur faisaient pousser les cris de leur enfantement spirituel à l'Evangile. Scimus enim quod omnis creatura - ingemiscit et parturit usque adhuc Car nous savons que jusqu'à cette heure toutes les créatures gémissent et souffrent les douleurs de l'enfantement.

L'homme n'a été fait que pour Dieu; voilà notre fin. Dieu n'a pu nous former pour d'autres que pour lui, il veut notre bonheur et lui seul peut nous rendre heureux. Nous n'avons qu'à consulter notre cœur, il nous dira, s'il n'écoute que la raison, que Dieu seul est le centre de notre repos, hors duquel nous sommes dans une agitation continuelle. Ce penchant naturel à tout homme, cette passion extrême d'être heureux, ne sauraient être satisfaites ici-bas: car depuis plus de six mille ans que les hommes travaillent à chercher le bonheur, aucun n'a pu trouver encore un objet capable de le contenter et de fixer tous ses désirs; il demeure toujours dans le cœur un vide infini que toutes les choses créées ne peuvent remplir. Ce n'est point pour elles que l'homme a été fait ; il faut qu'il s'élève jusqu'à Dieu, et du moment qu'il prend ce parti, il trouve une paix, une douceur qu'il n'a point rencontrées ailleurs, marque évidente que Dieu est sa fin et le centre de son repos : Fecisti nos ad te, dit saint Augustin, et irrequietum est cor nostrum donec requiescat in te. Or, ce n'est que dans le ciel que se trouve cette félicité pleine et parfaite après laquelle tout homme soupire. Les Juifs seuls en avaient connaissance. Les autres peuples la désiraient sans savoir où et comment ils pourraient en jouir. Jésus-Christ est venu l'apprendre à toutes les nations de la terre, et le christianisme leur enseigne où se trouve cette félicité inséparable du souverain bien qu'ils ont cherché en vain ici-bas. C'est ce bonheur de l'autre vie qui faisait gémir les Apôtres et les premiers fidèles, par l'ardent désir qu'ils avaient d'être rappelés de ce lieu d'exil et d'aller jouir de cette gloire céleste dont ils avaient une si haute idée. Plus on est éclairé des lumières de la foi, plus on aime ardemment Jésus-Christ, plus on soupire après le séjour de la céleste Jérusalem: Desiderium habeo dissolvi, et esse cum Christo (Philip., 1), disait saint Paul: Je souhaite ardemment de ne plus vivre et d'être avec Jésus-Christ. C'est dans ce même sens que le saint Apôtre dit ici, que ce ne sont pas seulement les gentils qui soupirent après leur délivrance: Non solum autem illa, sed et nos ipsi primitias Spiritus habentes, et ipsi intra nos gemimus : Nousmêmes qui avons reçu les prémices de l'Evangile, qui avons été sanctifiés par le Saint-Esprit, nous attendons encore l'entier accomplissement de notre adoption, c'est-à-dire la gloire qui en est l'effet et la perfection.

La pêche miraculeuse que Jésus-Christ fit faire à saint Pierre dans la mer de Tibériade, fait le sujet de l'Evangile.

Le Sauveur ayant parcouru la Judée, la Galilée, la contrée qu'on appelait Décapolis, parce qu'elle comprenait dix villes, et le pays au-delà du Jourdain, faisant le bien et opérant un grand nombre de miracles, se vit

bientôt suivi d'une multitude qui ne lui laissait point de repos. Un jour étant sur le bord du lac de Génésareth, qu'on appelait aussi mer de Tibériade, la foule qui l'accablait croissant à tout moment, il vit près de lui deux barques arrêtées sur le bord; les pécheurs en étaient descendus à terre pour laver leurs filets. Etant monté dans l'une des deux, qui était celle de Simon, il le pria de s'éloigner un peu du rivage, et s'étant assis, il instruisait le peuple de dessus la barque. Ce n'est point sans mystère que Jésus-Christ choisit entre les deux barques celle qui est à Simon. « Car »>, dit saint Grégoire, « que signifie autre chose la barque de Pierre où JésusChrist monte pour instruire le peuple, sinon l'Eglise qui doit être confiée aux soins de cet Apôtre ?» C'est donc dans cette Eglise seule confiée à Pierre et à ses successeurs, disent les interprètes, que Jésus-Christ nous instruit; là est une source pure où nous puisons la vérité sans mélange : hors de cette barque, il n'y a que danger, que naufrage; hors de cette seule Eglise, point de salut.

Après que le Sauveur eut instruit ce peuple avide de la parole de Dieu, il fit un miracle dont toutes les circonstances sont autant de mystères. Il commande à Pierre de prendre le large, d'avancer en pleine mer et de jeter ses filets pour pêcher. Ce n'était point dans la Judée, signifiée par le bord du lac, que l'Evangile devait faire le plus de conquêtes; c'était en pleine mer que devait avoir lieu cette abondante et merveilleuse pêche, c'est-àdire que c'était au milieu des nations et jusque dans le centre du paganisme que la foi de Jésus-Christ devait triompher par la conversion des gentils. « C'était à vous », disaient saint Paul et saint Barnabé, parlant aux Juifs, « c'était à vous qu'il fallait annoncer premièrement la parole de Dieu; mais puisque vous la rejetez, et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voilà que nous allons nous tourner du côté des gentils ».

Præceptor, per totam noctem laborantes nihil cepimus: Maître, lui répond saint Pierre, nous avons fatigué toute la nuit, qui était le temps le plus propre pour la pêche, et nous n'avons rien pris; cependant, quoique nous ne devions pas espérer pendant le jour un succès plus heureux, je vais jeter le filet sur votre parole. Il le jette aussitôt; sa foi, quoique naissante et faible, l'emporte et sur sa raison et sur son expérience; aussi en fut-il récompensé libéralement. Le filet ne fut pas plus tôt dans la mer, qu'il fut plein de poissons; il y en eut une si grande quantité, qu'il en rompait; les pêcheurs n'avaient même pas la force de le tirer; il fallut donc qu'ils fissent signe à leurs compagnons qui étaient dans l'autre barque, de venir les aider. Ils y vinrent, et la pêche se trouva si abondante, et les deux barques en furent tellement remplies, qu'il s'en fallut peu qu'elles n'allassent à fond. Dans cette pêche miraculeuse, tout est mystère et instruction. Pierre et ses compagnons avaient pêché de leur propre mouvement toute la nuit ils avaient beaucoup fatigué sans rien prendre; ils ne jettent qu'une seule fois le filet par l'ordre de Jésus-Christ, et sans beaucoup travailler, ils prennent assez de poissons pour en remplir deux barques. La pêche est ici la figure du ministère évangélique; il faut, pour l'exercer avec fruit, y être appelé par Jésus-Christ, y être animé de son esprit et n'y travailler que par son ordre. On fatigue, on se donne de grands mouvements, et toujours en vain quand on n'agit pas pour Dieu. On ne gagne rien, on perd même tout, peine, étude, sueurs, quand dans son travail on ne cherche que soi-même : Per totam noctem laborantes nihil cepimus. Combien feront un jour ce triste aveu! Intrus dans le sacré ministère, que de peines sans

fruit! animés par un esprit vain et par des vues peu épurées, entraînés par une vivacité toute naturelle, que d'actions infructueuses ou du moins sans mérite! Quand on agit humainement, quand on ne fait que sa propre volonté, quand on ne suit que son humeur et son caprice, on travaille, on fatigue beaucoup, mais c'est de nuit qu'on le fait et toujours sans fruit. On paraît devoir être riche en bonnes œuvres et en mérites, viri divitiarum, comme parle le Prophète, mais on n'a travaillé que la nuit, on n'est riche et puissant qu'en songe, dormierunt somnum suum, et en s'éveillant à la mort, on se trouve les mains vides, et nihil invenerunt in manibus suis. Saint Pierre et saint André appellent une autre barque pour venir partager avec eux la pêche qu'ils avaient faite. Malheur aux ministres de Jésus-Christ qui, par une criminelle jalousie, aimeraient mieux voir périr une partie du troupeau, que d'en partager le soin avec d'autres, pour s'en réserver seuls tout l'honneur !

Quod cum videret Simon Petrus, procidit ad genua Jesu, dicens: Exi a me, quia homo peccator sum, Domine: Simon Pierre, étonné de ce miracle, se jette aux pieds de Jésus, et s'écrie tout hors de lui-même : Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur indigne de paraître en votre présence: Exi a me, quia homo peccator sum. Ces paroles ne sont que la marque d'un profond respect pour le Sauveur, et d'une sainte frayeur à la vue d'un si grand prodige. C'est ainsi que le centurion ne se croit pas digne. de recevoir chez lui Jésus-Christ: Non sum dignus ut intres sub tectum meum. Ces humbles sentiments sont toujours agréables au Seigneur. Rien ne nous rend moins indignes d'être avec Jésus-Christ, que l'aveu sincère que nous faisons de ne pas le mériter; c'est la disposition où nous devons être quand nous recevons Jésus-Christ dans la communion. Rien ne gagne tant le cœur de Dieu, qu'une humilité profonde. Cette vertu est la base de toutes les autres et surtout de la véritable contrition. Jacques et Jean, et les disciples qui étaient avec Simon Pierre, ne furent pas moins frappés du miracle dont ils avaient été témoins, leur étonnement alla jusqu'à une espèce de frayeur pleine de respect que cause ordinairement la vue d'une chose surprenante et inattendue; mais le Sauveur les rassura; et s'adressant à Pierre, il lui dit: Ne craignez rien, je vous ai choisi pour une autre sorte de pêche; ce ne sera plus des poissons que vous prendrez, mais des hommes: Ex hoc jam homines eris capiens. La pêche matérielle et sensible que fit ici Pierre, fut le symbole du ministère apostolique et spirituel auquel le Fils de Dieu l'élevait par son choix. La grâce accompagna cette divine vocation, et dès ce moment, saint Pierre, saint André, saint Jacques et saint Jean, ayant tout quitté pour toujours, suivirent sans cesse leur bon Maître : Relictis omnibus secuti sunt eum. Jusqu'ici les Apôtres, quoiqu'ils eussent embrassé la doctrine de Jésus-Christ et qu'ils se fussent déclarés ses disciples, n'avaient. pas encore renoncé à tout ce qu'ils possédaient; ils avaient encore leur maison, leur barque et leurs filets, et se livraient à leur trafic ordinaire. A celte troisième et dernière vocation, ils abandonnèrent tout pour s'attacher uniquement à Jésus Christ.

Le Père Croiset.

LE CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE

On appelait anciennement ce cinquième dimanche le dimanche de la pêche, parce qu'on y lisait l'histoire de la pêche miraculeuse que fit saint Pierre sur la parole de Jésus-Christ, et qui fait depuis plusieurs siècles le sujet de l'Evangile du quatrième dimanche. On le nomme aujourd'hui le dimanche de la perfection de la loi de Jésus-Christ, parce que l'Evangile que l'Eglise a fixé à ce jour déclare que la plus grande perfection de l'ancienne loi ne suffit pas pour le salut des fidèles; que Dieu exige d'eux une justice plus pleine, une foi plus pure, une piété plus spirituelle, une charité plus généreuse et plus universelle, enfin une sainteté plus parfaite que celle qu'il demandait des Juifs. L'Epître a rapport à cette obligation, puisqu'elle est un précis des plus essentiels devoirs de la perfection chrétienne.

L'Introït de la messe est tiré du psaume xxvi, qui a pour titre : Psaume de David avant qu'il fût oint: Psalmus David antequam liniretur. David reçut trois fois l'onction royale: la première, par la main de Samuel, à Bethleem, dans la maison de son père Jessé; la seconde, à Hébron, après la mort de Saül, et la troisième, après la mort d'Isboseth, lorsqu'il fut reconnu roi sur tout Israël. Ce psaume, où le saint roi bénit la protection visible que Dieu lui a toujours accordée contre ses ennemis, ne saurait avoir été composé lors de sa première onction: David, encore tout jeune, n'avait alors d'autres ennemis que les bêtes féroces qui en voulaient à ses troupeaux ; et ce ne fut que le jour de cette onction royale que l'esprit de Dieu se répandit sur lui, comme dit l'Ecriture: Directus est Spiritus Domini a die illa in David. Ce pieux prince ne peut donc avoir composé ce psaume qu'à la cérémonie de la seconde onction, ou peut-être même à la troisième, lorsque, sorti victorieux de tous les dangers qu'il avait courus tant de la part de Saül, que de la part des partisans d'Isboseth, fils de Saül, il se vit enfin paisible possesseur de tout le royaume de Juda et d'Israël, et en état d'aller rendre de très-humbles actions de grâces à Dieu dans le tabernacle. C'était par sa confiance en Dieu qu'il avait toujours été intrépide au milieu des dangers, c'est avec la même confiance qu'il implore la même protection et le même secours pour tout le reste de sa vie.

Exaudi, Domine, vocem meam, qua clamavi ad te : adjutor meus esto: ne derelinquas me, neque despicias me, Deus salutaris meus: Ecoutez, ô mon Dieu les cris que je pousse vers vous; continuez de me secourir; soyez toujours mon protecteur tout-puissant, mon appui, mon refuge pourrezvous, Seigneur, me rejeter, lorsque je mets en vous seul l'espérance de mon salut? Dominus illuminatio mea, et salus mea; quem timebo? Le Seigneur est ma lumière et mon salut; il m'éclaire, il me défend, il me fait éviter les piéges de mes ennemis, il veille à ma conservation, quem timebo? qui craindrais-je ? C'est par ces deux versets de ce psaume que commence la messe de ce jour; plus nous devons tendre à la perfection, plus devonsnous prier avec confiance; et plus l'édifice de la perfection chrétienne est

difficile, plus devons-nous compter sur la grâce et sur le secours de Dieu. La leçon de la messe est tirée de la première épître de saint Pierre. Le saint Apôtre y exhorte les fidèles à faire paraître en eux une parfaite union, une bonté compatissante, une charité universelle, une affection pleine de tendresse, une douceur propre à gagner les cœurs, à ne rendre point mal pour mal, mais à souhaiter toutes sortes de biens à ceux même qui nous maudissent, sachant que c'est à cette perfection que nous avons tous été appelés, afin de recevoir de Dieu la bénédiction qui nous met en possession de l'héritage. Il les exhorte à éviter la médisance et le mensonge, à souffrir pour la justice, à ne point craindre les maux dont ils pourraient être menacés; enfin, à ne se troubler de rien, mais à rendre gloire et témoignage à la sainteté du Seigneur en toute rencontre, par une vie innocente et par une conduite irréprochable.

Omnes unanimes in oratione estote. Le saint Apôtre, après avoir donné de salutaires avis en particulier aux personnes de certains états, vient ici aux devoirs communs à toutes les conditions, et ce qu'il dit est une courte et admirable leçon qui renferme toute la perfection chrétienne. Il commence par la prière, qu'il recommande à tous les fidèles comme un moyen sûr et efficace pour obtenir les secours du ciel dans tous leurs besoins. Ayez tous, dit-il, un même esprit, comme vous devez avoir tous la même fin et le même principe: Compatientes, fraternitatis amatores, misericordes, modesti, humiles: La charité est le lien de la perfection, ayez donc les uns pour les autres une bonté et un amour qui prennent part aux dispositions différentes de joie ou de tristesse où vos frères se trouvent, et puisque vous devez aimer votre prochain comme vous-même, ressentez toutes leurs af flictions comme les vôtres propres, et compatissez à tous leurs maux. Misericordes: Ayez de la miséricorde; mais souvenez-vous que la miséricorde n'est pas seulement un attendrissement de l'âme sur les misères d'autrui, elle est encore un véritable désir d'y remédier; ainsi ne vous contentez pas d'être sensible, de gémir sur leurs souffrances; soulagez-les par vos conseils, par votre crédit, par vos aumônes; la miséricorde dit quelque chose de plus que la simple compassion. Modesti, humiles: Ayez de la modestie et de l'humilité. Il n'y eut jamais de véritable humilité sans modestie; il est très-naturel de déférer les premières places à ceux qu'on estime plus que soi. On est retenu, circonspect, discret dans ses paroles, en ses jugements, en ses actions, quand on est modeste; on est tout cela quand on est humble: l'humilité et la modestie font en partie le caractère des vrais chrétiens Non reddentes malum pro malo, nec maledictum pro maledicto: Ne rendez point mal pour mal, ni malédiction pour malédiction. La loi chrétienne qui ordonne d'aimer ses ennemis, et de faire du bien à ceux qui nous font du mal, est bien éloignée de permettre qu'on rende le mal pour le mal, et qu'on se venge. Au contraire, donnez des bénédictions à ceux qui vous maudissent.

Cette morale est admirable, et en la suivant, selon l'expression de saint Paul, on entasse sur la tête de son ennemi des charbons ardents; car si vos bienfaits le gagnent, il est assez puni de sa haine par la honte et le regret qu'il en conçoit; s'il continue de vous haïr malgré votre générosité, vous êtes assez vengé par l'aveu qu'il est contraint de faire de votre vertu et de sa faiblesse. « Vous êtes plus juste que moi », disait en pareil cas Saül à David. Et ne pensez pas que ce ne soit ici qu'un devoir de conseil et de perfection, c'est un précepte. Quia in hoc vocati estis ut benedictionem hæreditate possideatis : Puisque c'est à quoi vous êtes appelés pour devenir

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