Images de page
PDF
ePub

DE

DROIT INTERNATIONAL

PUBLIC

EN TEMPS DE PAIX

PRÉFACE

Nous nous trouvons à une époque de révolution et de transformation générale: les sciences, les lettres et les arts ont incessamment progressé, la nature s'agite sous les coups redoublés d'inventions et de découvertes nouvelles, et pendant ce temps une lutte sans merci s'est engagée entre le despotisme et la liberté, la science et Ferreur, la force et le droit. Cent révolutions ont été consommées les unes après les autres; elles ont inondé de sang la surface du globe, anéanti les ressources des États, décimé les peuples et fait du monde un vaste champ de carnage et de sang. Le despotisme a été principalement combattu au sein des nations; les principes d'absolutisme politique n'ont pu résister à la force des idées modernes, la théorie du droit divin, démasquée et ridiculisée, est restée le patrimoine des hypocrites et des ignorants. Les vieilles dynasties d'Europe ont vu leurs

trônes vaciller, le pouvoir absolu s'échapper de leurs mains, et le gouvernement représentatif est devenu le régime politique du monde civilisé. Les princes qui ont résisté aux exigences du temps ont vu leurs trônes tomber en débris, leurs sceptres se briser, et chassés de leurs cours, condamnés à l'ostracisme, ils s'en vont errants en des contrées étrangères.

Mais la liberté intérieure, alors même qu'elle est conquise, ne suffit à la vie des nations qu'autant qu'elle est accompagnée de la liberté extérieure; le gouvernement libre d'un peuple n'est, au contraire, qu'une illusion, quand il est soumis à la servitude étrangère. De là découle la nécessité d'abattre tout despotisme international, en plaçant chaque État dans le libre exercice de son autonomie, et dans la jouissance complète de ses droits. Cet idéal du genre humain ne peut se réaliser sans la fraternité des peuples, qui ne saurait être produite que par leur distinction en autant de familles nationales que déterminera la nature de chacune d'elles.

Lorsque ces principes commencèrent à agiter l'Europe, ses gouvernants internationaux se levèrent avec ensemble pour les combattre. Bien plus, envieux et jaloux de tout bien, ils se réunirent dans ce but à Vienne, où foulant aux pieds les tendances des peuples, ils se divisèrent l'Europe comme des malfaiteurs; qualifiant de sédition et de démagogie toute aspiration libre, ils établirent un système de police internationale, qui visait à supprimer toute tendance vers la liberté et vers la fraternité des nations; ils intervinrent à main armée dans les États les plus civilisés, imposant leur volonté par la

force des baïonnettes; pour combler la mesure, ils prirent plus tard le titre de Sainte-Alliance. L'Allemagne, l'Espagne et l'Italie furent, après les congrès de Carlsbad, de Troppau, de Laybach et de Vérone, les premières victimes; la réaction parut alors l'emporter sur la révolution.

Mais la révolution est invincible, parce qu'elle est la satisfaction des besoins des peuples, qui ne l'improvisent, ne la créent et ne la règlent pas, mais qui la sentent, la subissent et l'accomplissent. A la Sainte-Alliance des princes doit succéder la sainte-alliance des peuples, se divisant en familles nationales séparées et harmoniques, animées d'une affection réciproque, au lieu de vivre dans la désunion et dans la discorde; car les hommes sont nés pour s'entr'aider et non pour se combattre, pour s'aimer et non pour s'égorger. Le monde doit cesser d'être un vaste champ de bataille, où les États, se regardant d'un mauvais œil, semblent en guerre permanente. Les peuples ont besoin de paix pour travailler tranquillement, et pour vivre. Une guerre éclatant de nos jours est extrêmement dispendieuse et dévastatrice; les États ne peuvent plus la soutenir. Peu de mois d'hostilités suffisent pour consumer les ressources accumulées par la sueur de nombreuses années; en effet, toutes les nations étant unies par les intérêts, le commerce, l'industrie et les moyens rapides de communication, les conséquences de la guerre s'étendent sur tous les peuples et les jettent dans la misère et le désespoir.

Cette grande révolution cosmopolite est commencée, et son programme est la réalisation des nationalités,

c'est-à-dire la constitution des peuples selon leur nature et non selon le caprice des puissants, selon l'inspiration de leur conscience et de leur volonté, et non selon les équivoques combinaisons politiques de la diplomatie. Chaque peuple, qui a conquis sa nationalité, est par là même intéressé à respecter le même droit chez les autres, et à reconnaître la personnalité juridique des autres États.

Il suit de là que le droit qui règle les destinées des nations a, quoiqu'en disent les sceptiques, de plus en plus gagné du terrain. On a reconnu, en effet, le besoin d'étudier la science du droit international; et si, autrefois, cette science a été le monopole de quelques individualités privilégiées, si elle a été proscrite des universités et regardée comme une doctrine dangereuse et secrète, elle forme aujourd'hui, dans tous les États civilisés, un des enseignements intéressants, auxquels se sont adonnés de nombreux publicistes modernes.

Le droit international est l'ensemble des lois imposées aux États, aux nationaux et aux étrangers, et réglant leur activité dans les relations internationales, en tant qu'elle peut servir de condition indispensable à l'accomplissement de leur destinée.

Le droit international a une existence réelle et objective, il est établi par Dieu; il résulte de l'essence des êtres humains, formant les États ou nations, il se révèle à l'esprit de l'homme par la réflexion et le raisonnement, et, comme loi positive, il est déterminé par les traités et les coutumes. Il existe indépendamment des moyens dont on dispose pour le réaliser; il est imposé

par l'opinion publique et par la sanction naturelle et providentielle, et même, en fait, dans la plupart des relations internationales, il reçoit une application pratique.

En étudiant divers ouvrages de droit international, et sans vouloir en aucune façon mettre en doute les hautes qualités qui les distinguent, nous avons dû remarquer avec chagrin, qu'aucun d'eux ne peut véritablement s'adapter à un cours élémentaire. Quelquesuns ne développent pas la science et ne la traitent pas complétement, d'autres sont embarrassés d'idées d'absolutisme politique, engendrées par une propagande perfide, qui a fait en quelque sorte du droit des gens le droit de la force, propagande fomentée par les diplomates dans un intérêt mesquin, par nombre de savants dans un but de courtisannerie et d'ambition, par les potentats désireux avant tout de conserver leur pouvoir, par les fauteurs d'absolutisme en raison de leur détestable tendance à imposer orgueilleusement leur domination aux faibles, tout en courbant humblement la tête sous le fouet des puissants. D'autres livres, bien qu'étrangers à des idées semblables, traitent néanmoins la science de si haut qu'ils ne peuvent s'adapter aux jeunes intelligences qui en commencent l'étude. Quelques écrivains traitent avec le droit internationnal des matières qui le touchent, mais qui doivent cependant en rester distinctes. D'autres le considèrent du côté pratique, comme semble parfois le faire Wheaton, dont l'oeuvre est pourtant riche de bien des qualités. Il en est qui admettent un criterium purement historique, comme Schmatz, Martens,

« PrécédentContinuer »