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règles et son enseignement n'ont pas encore été placés au rang qui leur convient, et la discussion raisonnée qui engendre la persuasion lui fait complétement défaut. C'est pourquoi l'étude du droit des gens sera considérablement améliorée, quand elle sera parvenue au degré de perfection qu'ont atteint les autres sciences juridiques. Elle y parviendra en profitant des progrès accomplis par ces dernières, et en les appliquant à ces parties du droit international, qui ont avec elle des relations naturelles, sans négliger assurément les améliorations que le droit des gens peut recevoir comme science spéciale.

Il est vrai que de nos jours on entend, à chaque instant, philosophes et publicistes s'annoncer avec fracas comme inventeurs de nouvelles vérités fondamentales (1), bien que ces brillantes découvertes ne se réduisent qu'à remanier le passé, à le revêtir d'obscurités nouvelles, bonnes tout au plus à augmenter l'interminable catalogue des livres qui illustrent chaque science. Aussi un pu

(1) Belime, (Philosophie du droit, t. I, p. 36), observant la manie générale d'innover, écrivait : « Je sais qu'aujourd'hui c'est une condition de succès que de se faire le propagateur d'une idée quelconque, fùt-elle unique; de la poursuivre dans le simple et dans le composé et d'y rapporter toutes choses. L'un par exemple prouvera que le droit suit les variations du thermomètre ; l'autre que les idées du juste et de l'injuste, comme toute l'histoire d'un peuple, dépendent de son mode d'alimentation. Pour celui-ci la question de moralité d'une nation se réduit à savoir si ses villes sont construites en iles ou en pâtés. Enfin, avec un peu de talent, on peut s'élever au niveau de ce physicien, qui expliquait les fréquentes révolutions politiques des républiques d'Amérique par les basaltes et les amygdaloides, lesquels en augmentant la charge électrique de l'atmosphère rendent les peuples inconstants, irritables et toujours prêts à renverser le gouvernement. (V. Humboldt, Essai politique sur la Nouvelle Espagne, t. II, p. 196.)

bliciste étranger fort distingué a-t-il été contraint de dire que «les mêmes vérités et les mêmes erreurs ont été répétées d'âge en âge avec quelques variations de langage seulement, et que la nouveauté d'une expression a été souvent regardée par les ignorants comme une découverte essentielle; et cependant, à dire vrai, ceux qui recouvrent d'un jargon nouveau une idée ancienne font soupçonner qu'ils sont des imposteurs et non des philosophes (1) ». En fait de sciences spéculatives, on a tant écrit et tant dogmatisé que ce que l'on peut dire au sujet des vérités fondamentales semble épuisé. Aussi la tàche du publiciste doit surtout avoir pour but de séparer le vrai du faux, de le dépouiller des sophismes tissus par les illusions humaines, et de faire l'application des principes fondamentaux de la science à toutes les parties qui la composent.

La théorie ne doit pas être séparée de la pratique, parce que l'une et l'autre ne peuvent jamais être en désaccord. Bien plus, si la première est vraie, elle ne doit jamais tromper dans son application. Ceux-là sont dans l'erreur qui affirment que certaines choses sont vraies en théorie, et fausses en pratique. Si elles trompent. en pratique, c'est que théoriquement elles ne sont pas vraies, ou que soit impéritie, soit malice, elles sont appliquées d'une façon erronnée. Seuls, les hommes médiocres mettent en opposition la théorie et la pratique. En effet, quand dans l'application la théorie trompe, il ne faut pas en inférer qu'elle est en contradiction avec la

(1) Mackintoch, Discours sur l'étude du droit naturel et du droit des gens, p. 363 à 371.

pratique, mais simplement que dans ce cas elle ne doit pas recevoir d'application. Assurément rien n'est plus vrai que cet axiome, que la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre; pourtant, si, dans le tracé d'une route, on rencontre une montagne, l'application d'une semblable théorie sera désastreuse; cela ne signifie pas que la théorie est inexacte, mais bien que, dans des conditions déterminées, la théorie n'est plus la même; c'est ainsi que, dans l'exemple précité, on peut dire que la voie la moins montueuse et la moins courbe

est la plus courte.

Cela posé, l'histoire nous servira à démontrer que l'application de principes salutaires a conduit les nations à leur bien-être, et qu'on a forgé leur infortune quand on s'en est écarté.

Après avoir établi les principes fondamentaux du droit des gens, nous déterminerons, dans le cours de l'ouvrage, ce qu'est le droit international positif, en indiquant les améliorations dont il est susceptible par l'application des principes de raison, qu'une irrésistible nécessité imposera, un jour ou l'autre, à l'acceptation des gouvernants internationaux. Nous signalerons les idées émises par les publicistes, et celles qui sont passées dans le domaine du droit positif, en faisant remarquer le développement graduel qu'a reçu la science, et les progrès qu'elle doit encore acccomplir.

Telles sont les idées avec lesquelles nous nous sommes mis à écrire ce livre, cherchant, autant qu'il nous a été possible, à adopter une méthode claire et précise, à comprendre les besoins du siècle, à fuir les abstrac

tions arides et les formules vides et sans application pratique, qui, loin d'enflammer les cœurs d'amour et d'enthousiasme pour la science, n'engendrent que l'indifférence et le découragement.

L'époque actuelle est solennelle dans l'histoire : les problèmes sociaux les plus compliqués ont reçu ou attendent une solution; l'idole postiche de la légitimité dynastique, devant laquelle les Metternich et les Talleyrand ont brûlé leur encens au congrès de Vienne, a couvert le sol de ses débris, et, au milieu des angoisses désespérées de sa lente agonie, on sent le frémissement des peuples qui proclament leur souveraineté juridique. De grands événements se sont accomplis: l'héroïque émancipation de la Grèce, la séparation de la Belgique de la Hollande, que la vindicative et soupçonneuse diplomatie avait liées ensemble, les agitations de la Hongrie et de la Gallicie, les sanglantes insurrections polonaises, les mouvements des Moldo-Valaques, la guerre de Crimée, les aspirations des peuples scandinaves de la Suède, de la Norwège et du Danemark, l'annexion des îles Ionniennes à la Grèce, la guerre des Duchés, et par-dessus tout la grande révolution italienne démontrent l'état de remaniement et de reconstruction politique du monde civilisé.

L'Allemagne, elle aussi, après avoir nourri de grandes aspirations, est entrée dans une lutte terrible et sanglante; les armées prussiennes ont obtenu dans cent batailles des succès fabuleux. Le principe des nationalités triomphe, défendu même par l'un des membres de la SainteAlliance. L'Autriche, défaite et domptée, a été obligée de courber la tête sous les principes nouveaux; elle a

vu démolir, lambeau par lambeau, l'édifice politique élevé par elle en 1815. La révolution pénètre dans tous les canaux du corps universel; les traités conclus par la réaction européenne sont déchirés page à page, les principes nouveaux triomphent. Le plus grand problème social des temps modernes, c'est-à-dire celui de la souveraineté temporelle du Pape, a reçu une solution pratique, qui démontre que le droit des peuples à l'indépendance et à la liberté prévaut sur des préjugés invétérés, et que personne n'a le droit, pour quelque raison que ce soit, de s'opposer à ce qu'un peuple, rassemblant ses membres épars, constitue sa nationalité. La guerre, devenue plus meurtière sans doute que par le passé, a été soumise à des lois d'humanité et de civilisation, qui en mitigent, autant que faire se peut, les désastreux effets. Bien plus, les peuples, épouvantés par ce terrible fléau, mettent tous les moyens en œuvre pour le conjurer, et recourent aux arbitrages internationaux. L'humanité s'agite en une grande commotion, dont le frémissement annonce la fin de toute théocratie, la liberté des peuples et la réalisation des nationalités qui proclament un droit international nouveau.

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