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que et ne se laisse voir en quelque sorte qu'au second plan. Mais une évolution décisive s'est opérée, et désormais, à l'exemple de Vico, c'est exclusivement dans la nature morale de l'homme que l'on va rechercher la base et le fondement du droit des gens. Il est vrai qu'à l'époque dont nous parlons on ne rencontre, en Italie, aucun traité exclusivement consacré à l'étude du sujet qui nous occupe; mais, pendant ce temps, une infinité de questions de droit international sont développées par les publicistes italiens, parmi lesquels nous devons citer Rossi, qui publie une importante étude sur le Principe de non-intervention, et Romagnosi qui écrit sa Science des constitutions (1).

Après la tentative infructueuse d'émancipation de 1848 et de 1849, le développement progressif du droit international eût été certainement arrêté, en Italie, sous la compression matérielle et morale de l'Autriche, si le Piémont n'avait su conserver à l'enseignement supérieur la liberté qui lui est indispensable pour ne pas être stérile, et si le gouvernement subalpin, par un acte de politique libérale, n'avait pas ouvert à deux battants les portes de ses universités à la critique indépendante. Dès le mois de novembre 1850, une loi instituait à

(1) Le premier de ces auteurs développe largement dans son travail le principe des nationalités; le second, dont l'œuvre ne put voir le jour qu'après sa mort et pendant l'insurrection de 1848, indique à peu de choses près les bases nouvelles du droit international sur lesquelles, quelques années plus tard, Mancini devait établir un système nouveau.

l'université de Turin un enseignement spécial de droit international public et privé, et, quelques jours après, un publiciste illustre, que les Bourbons avaient chassé de Naples, était appelé à occuper la chaire nouvellement créée. C'est à ce moment que se fonde l'école italienne moderne et que la théorie des nationalités, érigée en doctrine scientifique, lui donne le caractère original et la physionomie propre que possède même encore aujourd'hui l'enseignement du droit des gens dans la plupart des universités d'au delà des Alpes. Mancini ouvrit le cours dont il venait d'être chargé par un discours préliminaire qui doit être considéré, au double point de vue de la politique et de la science, comme une œuvre d'une rare hardiesse, étant données les circonstances de temps et de lieu au milieu desquelles il fut prononcé. Dans un style dont l'élégance n'affaiblit pas la vigueur, il établit que la coexistence des nationalités sous l'empire du droit est le fait primitif et la théorie fondamentale de la science du droit international. Il analyse ensuite le fait de la nationalité; il examine les éléments qui le constituent, les conditions de sa légitimité et de son autorité juridique, les lois suivant lesquelles il se manifeste et se développe dans l'histoire du monde.

La doctrine dont nous venons d'indiquer l'idée primordiale était, avons-nous dit, une innovation d'une incontestable audace; nous n'en donnerons d'autre preuve que les remontrances que l'Autriche, encore

enivrée de ses récents succès, crut pouvoir adresser par voie diplomatique au cabinet sarde, à l'occasion des leçons de droit international professées à l'université de Turin. A un autre point de vue, l'entreprise n'était pas sans quelque témérité; en Europe, en effet, où la liberté semblait ne plus devoir trouver d'asile, les savants (c'est Mancini lui-même qui parle) accueillirent la théorie nouvelle avec le sourire de l'incrédulité et du mépris; on la qualifia dédaigneusement d'utopie, sentence que l'on prononce toujours contre les grandes idées qui finissent ensuite par conquérir les esprits et réformer le monde. Cependant les obstacles de différente nature que le savant professeur rencontra sur sa route ne le découragèrent pas, et il put voir, bientôt après, sa doctrine, acceptée par la presque unanimité des écrivains de la péninsule, devenir la base de l'enseignement du droit international en Italie.

En 1859, la France avait arrêté les Autrichiens en marche sur Turin, et, dans cette mémorable campagne de deux mois, qui compte autant de succès et de victoires que de combats et de batailles, les avait ramenés, de concert avec l'armée sarde, des bords du Tessin jusque sous le canon des places du quadrilatère. L'élan était donné, et, en quelques années, l'Italie parvenait à conquérir son indépendance d'un bout à l'autre de son territoire. La liberté avait retrouvé sa place, l'esprit humain allait reprendre ses droits.

Ici commence, pour l'étude du droit des gens en

Italie, une ère véritablement féconde, qui démontre jusqu'à l'évidence que les sciences sociales ne sauraient accomplir de sérieux progrès qu'à l'abri d'institutions gouvernementales compatibles avec le libre développement de l'intelligence humaine. Dès 1860, apparaissait un petit livre qui obtint un succès considérable et fit impression non-seulement en Italie, mais encore dans le reste de l'Europe; c'était le Nouveau Droit public européen de Mamiani. cet ouvrage n'est pas un traité didactique; l'auteur y expose ses vues sur les questions les plus importantes du droit des gens, et y indique les bases nouvelles d'une réorganisation sociale et internationale. Au fond, la pensée de Mamiani diffère peu de celle de Mancini; l'un et l'autre considèrent la nationalité comme le fondement légitime des droits et des devoirs internationaux. Jusque-là, cependant, aucun auteur, à l'exception de Casanova (1), n'avait encore donné un traité complet et systématique de droit international public ou privé. La lacune fut immédiatement comblée, et les publications se multiplièrent rapidement sous le souffle de liberté qui courait sur la péninsule.

(1) Casanova faisait à l'université de Gênes, en même temps que Mancini à Turin, un cours de droit international qui n'a été publié qu'après sa mort. Comme travail scientifique et méthodique, l'œuvre de Casanova est diversement appréciée; mais on s'accorde généralement pour reconnaître en cet auteur un jurisconsulte profondément versé dans toutes les branches du droit et un esprit sincèrement libéral.

b

II

Le court espace de temps écoulé depuis le jour où Mancini avait pris possession de sa chaire jusqu'au moment où nous sommes arrivés lui avait suffi pour recruter en Italie de nombreux et chauds adhérents. Plus tard, lorsque le temps et la réflexion eurent calmé l'enthousiasme, des divergences se produisirent, et, à l'heure actuelle, un certain nombre de jurisconsultes italiens combattent la théorie des nationalités dans leurs écrits et leur enseignement. Néanmoins, malgré diverses tentatives que nous aurons à signaler plus loin, on ne peut pas affirmer qu'il se soit élevé jusqu'à ce jour une école italienne rivale de celle dont Mancini reste toujours le chef incontesté. Il convient donc de rechercher maintenant quelle est la nature de la réforme que celui-ci a tenté d'opérer et quelles ont été, au delà des Alpes, les conséquences de cette tentative pour l'étude du droit international.

Comme la plupart des publicistes modernes, Mancini constate qu'il est impossible de trouver dans les sociétés politiques, telles que l'histoire les a faites, le principe organique de la vie juridique des peuples dans

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