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musicale. Ce serait peut-être une étude curieuse que de rechercher jusqu'à quel point ces deux muses peuvent s'allier, où commence leur union et où elle finit; car, il ne faut pas s'y tromper, elles ne peuvent être constamment unies. Diderot, dans Le Neveu de Rameau, a dit, je crois, le premier, une chose qui me semble parfaitement fausse. Il a prétendu que la musique n'était que la déclamation exagérée, en sorte que, si l'on comparait la déclamation à une ligne droite, à un thyrse, je suppose, la musique tournerait à l'entour en l'enveloppant à peu près comme un pampre ou une branche de lierre. C'est une ingénieuse absurdité. La déclamation, c'est la parole, et la musique, c'est la pensée pure. L'opéra d'Otello, comme bien d'autres, le prouverait. Rien n'est assurément plus dramatique et (en prenant le mot en bonne part) plus déclamatoire que la majeure partie de cet opéra. Mais quand le souffle musical arrive, voyez comme tout s'efface devant lui! Y a-t-il vestige de déclamation dans la romance? Si la mélodie enveloppe alors la parole, ce n'est pas comme un lierre qui s'attache à elle, mais comme un nuage léger qui l'enlève et qui l'emporte dans les cieux.

Que deviendra maintenant Pauline Garcia? Personne ne doute de son avenir; son succès est certain, il est constaté; elle ne peut, quoi qu'elle fasse, que s'élever plus haut. Mais que fera-t-elle ? La garderons-nous? Ira-t-elle, comme sa sœur, se montrer en Allemagne, en Angleterre, en Italie ?

Quelques poignées de louis de plus ou de moins lui feront-elles courir le monde? Cherchera-t-elle sa gloire ailleurs, ou saurons-nous la lui donner? Qu'est-ce, à tout prendre, qu'une réputation? Qui la fait et qui en décide? Voilà ce que je me disais l'autre soir en venant de voir Otello, après avoir assisté à ce triomphe, après avoir vu dans la salle bien des visages émus, bien des yeux humides; et j'en demande pardon au parterre, qui avait battu des mains si bravement, ce n'est pas à lui que cette question s'adressait. Je vous en demande pardon aussi, belle dame des avant-scènes, qui rêvez si bien aux airs que vous aimez, qui frappez quelquefois dans vos gants, et qui, lorsque le cœur vous bat aux accents du génie, lui jetez si noblement vos bouquets parfumés. Ce n'était pas non plus à vous que j'avais affaire, et encore moins à vous, subtils connaisseurs, honnêtes gens qui savez tout, et que par conséquent rien n'amuse! Je pensais à l'étudiant, à l'artiste, à celui qui n'a, comme on dit, qu'un cœur et peu d'argent comptant, à celui qui vient là une fois par extraordinaire, un dimanche, et qui ne perd pas un mot de la pièce; à celui pour qui les purs exercices de l'intelligence sont une jouissance cordiale et salutaire, qui a besoin de voir du bon et du beau, et d'en pleurer, afin d'avoir du courage en rentrant, et de travailler gaiement le lendemain; à celui, enfin, qui aimait la sœur aînée, et qui sait le prix de la vérité.

AU

CITOYEN RÉDACTEUR

DU JOURNAL LE NATIONAL.

<< Paris, le 20 août 1848.

« MONSIEUR,

'ACADÉMIE française m'a fait l'honneur, dans sa dernière séance, de me donner le prix fondé, comme encouragement, par monsieur le comte de Maillé Latour-Landry. Ce secours,

accordé pour un an, consiste en une somme de treize cents et quelques francs, intérêt d'un capital de trente mille francs légué par le testateur, et placé en rentes sur l'État.

« Voulez-vous être assez bon, monsieur, pour ajouter cette somme à celles que vous avez déjà reçues en faveur des victimes des événements de

juin 1848? Je m'empresserai de la verser entre vos mains aussitôt qu'elle me sera parvenue.

« Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de ma parfaite considération.

ne

« ALFRED DE MUSSET. »>

Cette lettre était précédée des lignes suivantes : « Nous recevons de monsieur Alfred de Musset une lettre qui nous étonne pas de la part d'un poëte homme de cœur. Nos lecteurs, qui sont au courant des termes du programme des prix décernés, en 1848, par l'Académie française, apprécieront le sentiment de modestie et de générosité qui a dicté cette lettre, et l'Académie ellemême ne peut manquer d'approuver la destination donnée par monsieur Alfred de Musset au prix d'encouragement qu'elle lui a décerné. » (National du 21 août 1848.)

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