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Méconnu!... murmurait à mon oreille la voix harmonieuse... Lorsque je revis cette toile, mes larmes coulèrent malgré moi!

« Que l'être dont la raison se révolta le pius souvent contre la superstition humaine pleure donc sur ta chute, ô Christ! Que ses larmes se mêlent à celles de ta mère au pied de la croix sanglante!

« Ta mère!... Elle ne voulut point croire à ta divinité; elle rejetait le dieu qui la privait de son fils. «N'est-ce pas le fils du charpentier Joseph? disait-elle, et voilà ses frères... » Et cependant tu marchais, tu t'avançais sur le sable des mers; et les pêcheurs suivaient la trace de tes pas.

« Mais lorsque tu t'arrêtas sur la montagne, et que tu vis qu'un peuple te suivait, quelles paroles sortirent de ta bouche? La foule y répondait en t'appelant roi. « Roi! pensas-tu, non pas, mais « dieu. » Il en fallait un au monde; et jusqu'à toi que d'insensés avaient essayé de mettre des idoles sur les autels déserts! Pieds nus, tu montas sur les trépieds d'or, et tu donnas un dieu pauvre à cet univers gorgé de richesses. O Christ! le vieil Olympe en tressaillit au Capitole; tu vis que ton manteau de bure ne te garantissait pas des pierres de Jérusalem; tu découvris ta poitrine, et lorsque de larges blessures l'eurent ouverte, tu montas sur la croix...

« Mais là... mais là... oh! si au fond de ton âme, si dans les derniers et secrets replis de ta pensée, le Doute, le Doute terrible... si toi-même tu ne

croyais pas à cette immortalité que tu prêchais; si l'homme, l'homme criait alors en toi!... Et pas un être au monde ne savait ta pensée... Jamais, lorsque tu marchais sur cette terre, ignorant si tu serais tout ou rien, tu ne versas dans une âme humaine ce qui accablait ton âme divine... Et dans cette nuit terrible des Oliviers, oh! devant qui t'agenouillas-tu? Qui l'a su? Qui le saura jamais ?... Quoi! pas un être !... »

A cette parole je m'arrêtai. La voix harmonieuse avait glissé dans les airs; une douce mélodie se fit sentir à mon oreille, et j'entendis chuchoter : Maria Magdalena!

1830.

ARTICLES

PUBLIÉS

DANS LE JOURNAL LE TEMPS

EN 1830 ET 1831

I

EXPOSITION DU LUXEMBOURG AU PROFIT DES BLESSÉS

ANS un siècle comme le nôtre, ou plutôt comme tous les siècles possibles, où chacun vise à l'originalité; où, dans la clameur universelle qui proclame à tout moment ce qu'elle appelle les besoins du temps, chacun s'écrie: « C'est moi! c'est moi qui l'ai trouvé! »> et tandis que l'esprit humain s'en va tombant d'une ornière dans une autre, bien digne d'être comparé

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par Luther à un paysan ivre qu'on ne peut placer d'équilibre sur son cheval et qui chavire de droite si on le relève de gauche, il est bien doux, bien précieux pour le petit nombre de gens tranquilles qui ne voient les choses ni à travers des verres de couleur, ni en fermant les yeux à moitié et en jurant sur l'auto-da-fé; il est bien doux, disonsnous, de voir tout d'un coup revenir et reparaître de vieux chefs-d'œuvre enfouis, et pour ainsi dire mûris dans l'ombre; ouvrages aussi étrangers aux idées et aux systèmes du jour qu'un homme débarqué hier de l'Amérique, faits non avec de l'art, comme on dit à présent, mais avec le cœur; ouvrages simples, sans modèle, non sans imitateur il est vrai, mais du moins sans affectation de style ni d'originalité.

Qu'est monsieur Gros? Est-ce un classique, un romantique, un florentin comme celui-ci, un raphaélien comme celui-là, un vénitien comme tel autre? Qu'est son tableau? Est-ce une prétention, un système, une compilation? C'est Bonaparte et les pestiférés, rien de plus; c'est la nature, vivante, terrible, majestueuse, superbe. Il a vu son héros, il a emporté dans sa pensée cette tête sévère jusqu'au pied de sa toile, il a trempé son pinceau dans les couleurs ardentes d'un ciel empoisonné; il a peint comme Homère chantait.

Nous ne craignons pas d'être accusé de partialité en disant qu'aucun ouvrage de l'école française n'est supérieur à ces trois toiles magnifiques. Comme

autrefois Voltaire, comme Goethe maintenant, le peintre qui les a produites peut se vanter d'assister vivant au jugement de la postérité. Ce qu'elle considère, c'est l'œuvre, non l'ouvrier; et les tableaux dont nous parlons sont contemporains d'un siècle déjà bien loin de nous. Il était beau de voir, au premier jour de cette exposition faite dans un si noble but, l'écrivain de ces trois sublimes pages de notre vieille histoire, jouissant, sans orgueil ni modestie affectée, du plaisir qu'il éprouvait à revoir ces ouvrages de sa jeunesse et de son beau temps, entouré de ses vieux et de ses jeunes amis, parlant de lui et des autres sans envie, sans haine, sans exagération, comme pour prouver qu'il était aussi peu de ce siècle que ses tableaux.

Aboukir représente la fierté et le courage d'un vainqueur superbe; le pied de son cheval est posé sur les corps des vaincus; l'œil étincelant, mais toujours aussi ferme sur la selle qu'un jour de parade, Murat regarde la fuite de l'armée qu'il a combattue, et les derniers efforts du pacha. Quelle misérable agonie! Comme il saisit avec fureur un fuyard par son turban, tandis que son jeune fils présente avec grâce au héros français la poignée de son sabre!

Parlerons-nous de Japha? Regardez cette vaste et admirable composition; regardez Eylau; quelle expression dans ce personnage de l'empereur! quelle tristesse! Son gesie a tout dit. Si vous êtes artiste d'ailleurs et que vous aimiez les remarques

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