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que professoient toutes ces aimables personnes, acheva de former le caractere de gaieté et d'insouciance de l'Abbé SCARRON. Son pere fournissoit à ses besoins présens, et il ne s'inquiétoit gueres de l'avenir. Il s'abandonna donc entiérement à son penchant au plaisir. Malgré le charme des liaisons qui l'attachoient à Paris, il eut le desir de voyager, et il alla en Italie, dès l'âge de vingt-quatre ans. Il resta quelque tems à Rome, où il rencontra Maynard, avec lequel il fit connoissance. De retour à Paris, il se livra, de nouveau, à son goût pour les jouissances de toute espece; mais des maladies longues affoiblirent son tempérament, et, peu-àpeu, le détruisirent en entier.

Ce fut alors que privé d'aller dans le monde, où il étoit autant desiré qu'il s'y plaisoit, il chercha à se distraire en écrivant. Depuis cette époque de l'origine de ses douleurs, si capables d'ôter à tout autre que lui la liberté d'esprit nécessaire pour le travail, il sembla gagner de ce côté ce qu'il perdoit du côté du corps. Il composa tant de vers et d'un style si enjoué, qu'ił fut, à juste titre, regardé comme le créateur

du genre burlesque, parmi nous; et, dans ce genre, quelque nombreuse quantité d'imitateurs qu'il ait eus, il a, jusqu'à présent, conservé la gloire de n'être point égalé.

Cependant ses maux augmenterent de jour en four. Les Médecins, ne pouvant le guérir, l'envoyerent deux fois aux eaux de Bourbon, d'où il ne remporta d'autre soulagement que l'avantage d'acquérir la protection du Duc de Longueville qu'il y vit la premiere fois, et celle de Gaston de France qui y étoit la seconde.

Ces Protecteurs lui devinrent, peu après, fort nécessaires; car son pere se trouva enveloppé dans une disgrace qui dérangea beaucoup sa fortune. Le Parlement fit quelque difficulté pour enregistrer un Édit qui importoit aux projets du Cardinal de Richelieu, et le Conseiller Scarron, l'un des plus zélés opposans, fut exilé, près d'Amboise, en Touraine, où il avoit une petite Terre.

Sa femme resta à Paris, avec ses enfans; mais elle ne songea gueres à continuer la pension de l'Abbé, qui se trouva sans ressources pour lui et pour ses deux premieres sœurs. Il

sollicita vivement ses Protecteurs pour obtenir le retour de son pere; et, quand il vit qu'il étoit appuyé par une partie des plus illustres personnes de la Cour, il hasarda une Requête au Cardinal, dans laquelle il lui donna des louanges très-délicates, et qu'il data ainsi :

« Fait à Paris, ce dernier jour d'Octobre,
>> Par moi Scarron qui malgré moi suis sobre,
>> L'an que l'on prit le fameux Perpignan,
» Et, sans canon, la ville de Sedan. >>

Le Cardinal trouva cette Requête plaisamment datée : ce furent ses propres termes ; et il y a apparence que si la mort n'étoit pas venue le surprendre dans ce tems-là, il auroit accordé à SCARRON la grace de son pere.

L'Abbé fit quelques tentatives auprès du Chancelier Séguier et auprès du Roi même ; mais il ne réussit point. Il vit, au contraire, détruire toutes ses espérances : le Conseiller mourut dans son exil. SCARRON plaida contre sa belle-mere, que la chicane favorisa. Il perdit tout son bien; mais cette perte ne prit rien sur sa gaieté, et les Requêtes et Factums qu'il écrivit

lui-même dans ce Procès, sont pleins de cette plaisanterie et de ce burlesque qu'il plaçoit partout, et qu'il conserva toujours, même lorsqu'il s'agissoit des choses les plus sérieuses.

La Comtesse du Lude avec laquelle il s'étoit fort lié dans son quartier, avoit sa fille chez la Reine. Cette connoissance lui procura celle de toutes les Demoiselles de la Cour; mais parmi elles ce furent Mademoiselle de Hautefort et Mademoiselle Descars, sa soeur, auxquelles il s'attacha le plus particuliérement, pour lesquelles il fit le plus de vers, et qui lui devinrent le plus utiles. Mademoiselle de Hautefort, surtout, lui rendit des services essentiels : elle parla beaucoup de lui à la Reine, et lui donna l'envie de le voir.

Louis XIII venoit de mourir, et Anne d'Autriche étoit Régente du Royaume. Mademoiselle de Hautefort, que SCARRON appella toujours depuis son bon Ange, introduisit le pauvre Abbé chez la Reine. Il lui demanda la permission d'être son malade en titre d'office. Elle sourit, et dès-lors SCARRON ne signa plus sans ajouter à son nom la qualité de Malade de la

fût

Reine. Il prétendit même que cette nouvelle charge exigeoit que celui qui en étoit pourvu logé au Louvre. La Reine ne le refusa pas; mais l'espérance qu'elle lui en laissa resta sans être réalisée.

Comme il n'avoit que l'habit d'un Ecclésiastique, il lui écrivit qu'elle pouvoit empêcher les gens de mentir, en l'appellant M. l'Abbé. C'étoit demander une Abbaye; mais on dit à la Reine qu'étant hors d'état de faire aucun service à cause de ses infirmités, SCARRON ne pouvoit point posséder de Bénéfices. Il répondit qu'il bornoit ses désirs à un Bénéfice simple, et qu'il le voudroit si simple, si simple, qu'il ne fallût que croire en Dieu pour le desservir.

SCARRON n'obtint pas plus de Bénéfice de la Cour que de logement. Il essaya de mettre le Cardinal Mazarin dans ses intérêts, par des vers louangeurs, et cette Éminence, qui gouvernoit sous Anne d'Autriche, voyant qu'elle avoit des bontés pour le malheureux Abbé, lui accorda une gratification de quinze cents livres, qui fut convertie en pension.

Cependant SCARRON ne la toucha que deux

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