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Tenez-moi des

Monsieur, je suis

Ah! Monsieur, je ne vous

et qui veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le Prince dix ans durant? N'a-t-il pas ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droit et à gauche1, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié? « Monsieur, votre très humble serviteur. « Monsieur, je suis tout à votre service. « vôtres, mon cher. Faites état de moi, Monsieur, «< comme du plus chaud de vos amis. << ravi de vous embrasser. << voyais pas! Faites-moi la grâce de m'employer. Soyez « persuadé que je suis entièrement à vous. Vous êtes <«<l'homme du monde que je révère le plus. Il n'y a per<«<sonne que j'honore à l'égal de vous. Je vous conjure de «le croire. Je vous supplie de n'en point douter. Ser<< viteur. - Très humble valet. » Va, va, Marquis, Molière aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra; et tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce qui reste. » Voilà à peu près comme cela doit être joué.

Les comédiens de Molière l'engagent à tirer vengeance de la pièce de Boursault, le Portrait du peintre, jouée sur la scène de l'hôtel de Bourgogne.

MADEMOISELLE BÉJART.

Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. Voulez-vous que je vous die?? Si j'avais été en votre place, j'aurais poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse; et après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous deviez n'en épargner aucun. MOLIÈRE. J'enrage de vous ouïr parler de la sorte; et

1. A droit était très fréquemment employé au xvII° siècle: on trouve des exemples de cette forme chez Boileau. Corneille, Mme de Sévigné, etc.

2. Die sur cette forme, voyez p. 59, note 4.

voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrais tirer, et le grand dépit que je leur ferais! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses? Et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueraient le Portrait du peintre, sur la crainte d'une riposte, quelques-uns d'entre eux n'ont-ils pas répondu : « Qu'il nous rende toutes les injures qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent? » N'est-ce pas là la marque d'une âme fort sensible à la honte? et ne me vengerais-je pas bien d'eux en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir?

MADEMOISELLE DE BRIE.

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Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la Critique et dans vos Précieuses.

MOLIÈRE. Il est vrai, ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auraient voulu1; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant qu'ils voudront; toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces : tant mieux; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaise! Ce serait une mauvaise affaire pour moi.

MADEMOISELLE DE BRIE.

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Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages.

MOLIÈRE. Et qu'est-ce que cela me fait? N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulais obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes per

1. C'est précisément ce que dit Boileau dans ses Stances à Molière Si tu savais un peu moins plaire,

Tu ne leur déplairais pas tant.

sonnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire? N'aije pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard? Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant? et lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée, que l'art de celui qui l'a faite?

MADEMOISELLE DE BRIE.

Ma foi, j'aurais joué ce petit Monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui.

MOLIÈRE. Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que Monsieur Boursault! Je voudrais bien savoir de quelle façon on pourrait l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le bernerait sur un théâtre, il serait assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui serait trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée : il ne demanderait pas mieux; et il m'attaque de gaieté de cœur, pour se faire connaître de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchainé1 que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire; et cependant, vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quel

1. Ne l'ont lancé contre moi l'expression dont se sert Molière suffit pour assimiler Boursault à un chien hargneux, aboyant après le poète sur l'ordre de ses maitres. Voyez sur le rôle joué par Boursault la Notice, p. 163.

2. Tel est le sous-titre de la comédie de Boursault, qui est intitulée : le Portrait du peintre, ou la contre-critique de l'Ecole des femmes.

5. Ceci s'applique à Boursault, qui, dans sa comédie satirique, s'était

que agrément qu'on y trouve, et d'un peu de bonheur que j'ai, j'y consens ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes; et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage : je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde. Mais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquaient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête Monsieur qui se mêle d'écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi.

borné à retourner comme un habit la Critique de l'Ecole des femmes.

LE MARIAGE FORCÉ

COMÉDIE

(29 janvier 1664)

NOTICE

Nous avons dit que toutes les attaques des ennemis de Molière avaient été impuissantes à ébranler son crédit auprès du roi. Celui-ci donna à l'auteur de l'École des femmes une nouvelle preuve de sa bienveillance, en le faisant inscrire sur la liste des pensions dressée en 1663, avec cette mention flatteuse « Au sieur Molière, excellent poète comique, mille livres. >>

Molière adressa au roi un spirituel remerciement en vers, où sa muse promettait à Louis XIV

D'employer à sa gloire ainsi qu'à ses plaisirs
Tout son art et toutes ses veilles.

Le poète tenait déjà cette promesse lorsqu'il composait une comédie-ballet, en trois actes, le Mariage forcé, qui devait être joué au Louvre pour la première fois le 29 janvier 1664. Le roi y dansa sous le costume d'un Égyptien. Tout n'était pas allégorie pure et fiction mythologique dans le ballet, dont Molière avait écrit le scénario et Lulli la musique. Il fut facile au poète de dégager la comédie que renfermait son livret, et, grâce à la suppression des récits et des entrées, il put réduire sa pièce de trois actes à un seul. C'est sous cette forme nouvelle que le Mariage forcé a été le plus fréquemment représenté, même du temps de Molière il dut en effet renoncer, quand sa pièce passa

:

1. Cf. la Notice de l'Impromptu de Versailles, p. 163.

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