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MARINETTE.

Ne me lorgne point, toi j'ai l'esprit trop touché.

GROS-RENÉ.

Romps voilà le moyen de ne s'en plus dédire.
Romps tu ris, bonne bête?

MARINETTE.

Oui, car tu me fais rire.

GROS-RENÉ.

La peste soit ton ris! Voilà tout mon courroux
Déjà dulcifié1. Qu'en dis-tu? romprons-nous,
Ou ne romprons-nous pas?

MARINETTE.
Vois.

GROS-RENÉ.

Vois, toi.

MARINETTE.

Vois, toi-même.

GROS-RENÉ.

Est-ce que tu consens que jamais je ne t'aime?

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1. Dulcifié ce mot, emprunté au vocabulaire des alchimistes, avait

été déjà employé par Scarron.

GROS-RENÉ.

Ma foi, nous ferons mieux de quitter la grimace.
Touche, je te pardonne.

MARINETTE.

Et moi, je te fais grâce.

GROS-RENÉ.

Mon Dieu! qu'à tes appas je suis acoquiné!1

MARINETTE.

Que Marinette est sotte après son Gros-René!

1. Acoquiné, attaché par une passion aussi tyrannique qu'une habitude. Cf. Regnard : « On s'acoquine à servir ces gredins-là. »>

(Sérénade, sc. II.)

LES PRÉCIEUSES RIDICULES

(1659)

NOTICE

Le 18 novembre 1659 les Précieuses ridicules furent représentées pour la première fois sur la scène du Petit-Bourbon. Le succès dépassa les espérances de l'auteur; jouée très fréquemment jusqu'à Pâques de 1660, la pièce nouvelle valut à la troupe de Molière de brillantes recettes. Elle retrouva le même succès lorsqu'elle fut représentée à Vincennes devant le roi, le 29 juillet 1660. D'un esprit droit et judicieux, naturellement épris de grandeur et de vraie noblesse, Louis XIV ne pouvait goûter la littérature précieuse raillée par Molière. Il dut dès le premier jour se sentir attiré vers ce poète, qui prenait si vaillamment la défense du bon sens et de la vérité.

Ne pouvant contester le succès des Précieuses ridicules, certains critiques malveillants insinuèrent qu'il ne revenait pas à Molière, car sa pièce n'était qu'un plagiat. On l'accusa d'avoir copié les Précieuses de l'abbé de Pure, jouée récemment aux Italiens1. Il nous est impossible de vérifier aujourd'hui cette accusation, car nous ne possédons pas l'œuvre du « galant » abbé ce ne devait être d'ailleurs qu'un « canevas », sur lequel s'exerçait librement la fantaisie des acteurs. Mais on peut apprécier la valeur des insinuations de ce genre, quand on voit leur auteur prétendre très sérieusement que Molière « tire toute sa gloire des Mémoires de Guillot-Gorgeu, qu'il a achetés de sa

1. Il est certain, dit Somaize, qu'il est singe en tout ce qu'il fait et que non seulement il a copié les Précieuses de l'abbé de Pure, jouées aux Italiens, etc. » (Préface des Véritables précieuses.) Le même abbé avait publié, en 1656, un roman en quatre volumes, intitulé: La Précieuse ou le Mystère des ruelles.

:

veuve et dont il s'adapte tous les ouvrages ». Il se peut que l'abbé de Pure ait mis en scène un valet qui se substitue à son maître pour courtiser une dame et bénéficier auprès d'elle de tous les avantages de la naissance et de la richesse; mais cette idée n'appartient pas plus à l'abbé de Pure qu'à Molière elle est du domaine de la comédie; l'intrigue des Précieuses ridicules ne se trouve-t-elle pas déjà, par exemple, dans l'Héritier ridicule de Scarron, joué en 1648? Un gentilhomme, Don Diègue de Mendoce, qui se voit dédaigné d'Hélène, sa maîtresse, parce qu'il est pauvre, imagine, pour se venger, d'affubler son valet de ses habits et de le faire passer pour un riche Péruvien; la ruse réussit, et, à la fin de la pièce, lorsque Hélène s'aperçoit qu'elle a promis sa main à un valet, elle trouve dans cette humiliation le juste châtiment de sa cupidité. Si l'on veut absolument que Molière ait plagié quelqu'un, n'est-il pas plus vraisemblable qu'il se soit souvenu de la pièce de Scarron, dont il jouait régulièrement le répertoire?

C'était chose toute nouvelle sur la scène française qu'une comédie dont le sujet était directement emprunté aux mœurs contemporaines, et où l'imagination, remplacée par l'étude de la nature, se bornait à accuser le relief des ridicules selon la perspective de la scène. Il est douteux qu'un vieillard du parterre se soit écrié: « Courage, Molière! voilà la bonne comédie! » Mais si l'on peut suspecter l'authenticité de cette apostrophe, il faut reconnaître qu'elle rend un juste hommage à l'heureuse innovation du poète.

Mais quelle est donc la classe de la société qui a fourni à Molière les éléments de sa première comédie de mœurs? On a très diversement répondu à cette question. Certains, comme Roederer et Cousin, se sont attachés à démontrer que « Molière n'a jamais songé à attaquer l'hôtel de Rambouillet »; d'autres, comme Despois, sont persuadés qu'une partie des traits de la satire de Molière retombe sur l'« Incomparable Arthénice » et les habituées de la « Chambre bleue ». Disons un mot sur ce débat. Cela nous sera d'autant plus facile que tout le monde nous paraît avoir raison Roederer, en prétendant que Molière n'a pas voulu attaquer l'hôtel de Rambouillet; Despois, en demontrant que les ridicules de Cathos et de Madelon ont été parfois ceux des hôtes de Catherine de Vivonne.

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