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Chez elle jamais rien ne surprend trop d'accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.

Il donne aux gens de bien une gloire immortelle ;
Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,

Et l'amour pour les vrais ne ferme point son cœur
A tout ce que les faux doivent donner d'horreur.
Celui-ci n'était pas pour le pouvoir surprendre,
Et de pièges plus fins on le voit se défendre.
D'abord il a percé, par ses vives clartés,
Des replis de son cœur toutes les lâchetés.
Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même,
Et par un juste trait de l'équité suprême,
S'est découvert au Prince un fourbe renommé,
Dont sous un autre nom il était informé1;
Et c'est un long détail d'actions toutes noires
Dont on pourrait former des volumes d'histoires.
Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté?
Sa lâche ingratitude et sa déloyauté ;

A ses autres horreurs il a joint cette suite,
Et ne m'a jusqu'ici soumis à sa conduite
Que pour voir l'impudence aller jusques au bout,
Et vous faire par lui faire raison de tout.

Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître,
Il veut qu'entre vos mains je dépouille le traître.
D'un souverain pouvoir, il brise les liens

Du contrat qui lui fait un don de tous vos biens *,

1. Génin fait remarquer que le pronom il désigne successivement dans ces vers et Tartuffe et Louis XIV: cela est vrai, mais cette négligence n'engendre aucune obscurité, et l'on ne saurait confondre un seul instant l'imposteur avec le justicier qui a décrété son châtiment.

2. A détesté, a maudit l'ingratitude et la déloyauté qu'il avait montrées envers vous.

3. Le roi a voulu ajouter cette nouvelle horreur à celles dont Tartuffe s'est rendu coupable: c'est la suite de son ténébreux roman qui forme plusieurs volumes.

4. On fait observer avec raison que le pouvoir de Louis XIV ne pou

Et vous pardonne enfin cette offense secrète
Où vous a d'un ami fait tomber la retraite ;
Et c'est le prix qu'il donne au zèle qu'autrefois
On nous vit témoigner en appuyant ses droits1,
Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense
D'une bonne action verser la récompense,

Que jamais le mérite avec lui ne perd rien,

Et que mieux que du mal il se souvient du bien 2.

Que le Ciel soit loué!

DORINE.

MADAME PERNELLE.

Maintenant je respire.

ELMIRE.

Favorable succès!

MARIANE.

Qui l'aurait osé dire?

ORGON, à Tartuffe.

Hé bien te voilà, traître....

CLEANTE.

Ah! mon frère, arrêtez,

Et ne descendez point à des indignités ;

A son mauvais destin laissez un misérable,
Et ne vous joignez point au remords qui l'accable :
Souhaitez bien plutôt que son cœur en ce jour

vait en pareille matière se substituer à la juridiction des magistrats; mais n'oublions pas que nous sommes au théâtre, et qu'il faut un dénouement, qui soit à la fois rapide, clair et dramatique.

1. Voyez à l'acte I le début de la scène II.

2. Génin a exagéré les négligences de style que renferme cette tirade de l'Exempt. Il va jusqu'à prétendre que Molière a dù confier à un versificateur de sa troupe la rédaction de cet éloge du roi. La déférence toujours témoignée par Molière à Louis XIV, et la reconnaissance particulière qu'il lui devait à propos du Tartuffe, suffisent à condamner cette hypothèse fantaisiste.

Au sein de la vertu fasse un heureux retour,
Qu'il corrige sa vie en détestant son vice
Et puisse du grand Prince adoucir la justice,
Tandis qu'à sa bonté vous irez à genoux

Rendre ce que demande un traitement si doux.

ORGON.

Oui, c'est bien dit : allons à ses pieds avec joie
Nous louer des bontés que son cœur nous déploie.
Puis, acquittés un peu de ce premier devoir,
Aux justes soins d'un autre il nous faudra pourvoir,
Et par un doux hymen couronner en Valère

La flamme d'un amant généreux et sincère 2.

1. Reconnaitre par des remerciements et des marques de respect. 2. On a maintes fois reproché à ce dénouement du Tartuffe d'être amené par l'intervention d'un élément nouveau, étranger à la pièce, la toute-puissance du roi. Mais la reconnaissance ne commandait pas seule à Molière de faire jouer à Louis XIV le rôle glorieux de justicier et d'archange foulant aux pieds le démon de l'hypocrisie. Il fallait évidemment qu'un deus ex machina vint remettre toutes choses en place, car la mésaventure d'Orgon était sans issue, ou du moins le recours à la justice des tribunaux ne permettait pas d'amener une de ces conclusions rapides et saisissantes qui donnent pleine satisfaction aux désirs du spectateur. C'est donc tout autant en homme de théâtre qu'en sujet reconnaissant que Molière a imaginé ce dénouement.

OU

LE FESTIN DE PIERRE

(15 février 1665)

:

NOTICE

Fray Gabriel Tellez, célèbre dans l'histoire du théâtre espagnol sous le nom de Tirso de Molina, s'inspirait d'une vieille tradition populaire lorsqu'il mettait à la scène, dans les premières années du xvIe siècle, l'aventure édifiante de Don Juan Ténorio entraîné en enfer par la statue de Don Gonzalo d'Ulloa, commandeur de Calatrava, qu'il avait tué en duel. La pièce espagnole était intitulée le Trompeur de Séville et le Convié de pierre1. Il n'est pas certain que Molière, bien que familiarisé avec le théâtre espagnol, ait connu la pièce de Tirso de Molina, véritable drame religieux, où n'entre aucun élément comique. Mais l'histoire merveilleuse de Don Juan s'était rapidement répandue en Italie, et nous savons que les Italiens, qui jouaient alternativement avec la troupe de Molière sur la scène du Palais-Royal, représentaient, aux environs de 1658, un scénario intitulé le Convié de pierre3, probablement imité d'une comédie du dramaturge florentin Cicognini. La pièce de Tirso de Molina avait déjà changé de caractère, et à ce sujet terrible, qui primitivement ne nous offrait que le châtiment de l'impiété, s'était mêlée toute une partie comique, que nous retrouverons dans l'œuvre de Molière.

1. El Burlador de Sevilla y Combidado de piedra. De bonne heure les différents auteurs qui ont traité ce sujet, ont remplacé le mot convié par festin, et intitulé leur pièce le Festin de pierre, ce qui ne peut que signifier le festin où l'un des conviés est une statue de pierre.

2. La Princesse d'Élide est imitée d'une comédie de Moreto. 3. El Convitato de piedra.

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