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Ma franchise1 va danser

MASCARILLE, ayant pris Magdelon. la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh! quels ignorants! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte! ne sauriezvous jouer en mesure? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme, ô violons de village.

JODELET, dansant ensuite. Hola! ne pressez pas si fort la cadence je ne fais que sortir de maladie.

SCÈNE XIII

DU CROISY, LA GRANGE, MASCARILLE.

LA GRANGE.

Ah! ah! coquins, que faites-vous ici? Il y

a trois heures que nous vous cherchons.

MASCARILLE, se sentant battre.

Ahy! ahy! ahy! vous ne

m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi. JODELET. Ahy! ahy! ahy!

LA GRANGE. C'est bien à vous, infàme que vous êtes, à vouloir faire l'homme d'importance.

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MASCARILLE. Mon Dieu, je n'ai pas voulu faire semblant de rien3; car je suis violent, et je me serais emporté.

1. Ma franchise, voyez p. 55, note 1.

2. La courante, sorte de danse alors fort à la mode, que Molière a décrite dans les Fâcheux. (Acte I, sc. v.)

3. Rien, dans cette phrase, n'est pas négatif; il signifie quelque chose et peut très bien se construire avec ne... pas. Si rien était une néga

MAGDELON.

notre présence!

Endurer un affront comme celui-là, n

MASCARILLE. Ce n'est rien ne laissons pas d'achever. Nous nous connaissons il y a longtemps; et entre amis. on ne va pas se piquer pour si peu de chose.

SCÈNE XV

DU CROISY, LA GRANGE, MASCARILLE, JODELET,
MAGDELON, CATHOS.

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LA GRANGE. Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres1.

MAGDELON. Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte dans notre maison?

DU CROISY.

Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous? qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le bal? Vos laquais?

MAGDELON.

LA GRANGE. Oui, nos laquais et cela n'est ni beau ni honnête de nous les débaucher comme vous faites.

MAGDELON. O Ciel! quelle insolence!

LA GRANGE.

Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les dépouille sur-le-champ.

JODELET.
MASCARILLE.

DU CROISY.

Adieu notre braverie2.

Voilà le marquisat et la vicomté à bas. Ila! ha! coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos brisées! Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos belles, je vous en assure.

tive, on aurait tort de le joindre à ne... pas sur cette faute, voyez les Femmes savantes, acte 11, sc. vi.

1. Entrent trois ou quatre spadassins.

2. Braverie, élégance, magnificence de l'ajustement. Dans certains patois, le mot brave a conservé ce sens.

LA GRANGE.

C'est trop que de nous supplanter, et de

nous supplanter avec nos propres habits.

MASCARILLE.

DU CROISY.

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O Fortune, quelle est ton inconstance! Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose. LA GRANGE. Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, Mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, Monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux.

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GORGIBUS, MASCARILLE, MAGDELON.

GORGIBUS. Ah! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois! et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces Messieurs qui sortent !

MAGDELON. Ah! mon père, c'est une pièce1 sanglante qu'ils nous ont faite.

GORGIBUS.

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait; et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront2.

1. Pièce, voyez p. 42, note 3.

2. Boire un affront, le subir avec résignation. «Si j'avais fait une

MAGDELON.

Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osezvous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE. - Traiter comme cela un Marquis! Voilà ce que c'est que du monde! la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue. (Ils sortent tous deux.)

SCÈNE XVII

GORGIBUS, MAGDELON, CATHOS, VIOLONS.

VIOLONS. Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez à leur défaut pour ce que nous avons joué ici. GORGIBUS, les battant. Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie dont je veux vous payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant. Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes 2, puissiezvous être à tous les diables!

sottise, dit Mme de Sévigné, je n'y saurais pas d'autre invention que de la boire. » (23 janvier 1682.)

1. En la peine on dirait aujourd'hui à la peine.

2. Sonnettes: Molière reprend ici un mot attribué par Tallemant des Réaux à Malherbe. Celui-ci répondit, avec sa brusquerie ordinaire, à Racan, qui lui reprochait de faire un sonnet irrégulier (dont les deux quatrains ne sont pas de mêmes rimes): «Eh bien! si ce n'est pas un sonnet, c'est une sonnette ». Même jeu de mots chez les deux académiciens qui se querellaient sur l'élection de La Fontaine : « Je vois bien qu'il vous faut un Marot. Et à vous une marotte ».

L'ÉCOLE DES MARIS

(1661)

NOTICE

L'échec de Don Garcie1 fut amplement réparé par le succès de l'Ecole des maris, jouée pour la première fois sur la scène du Palais-Royal, le 24 juin 1661. Molière avait eu le bon esprit de ne pas persévérer dans un genre condamné par la froideur du public, et, au lieu de s'essayer encore une fois dans la comédie romanesque, il voulut répondre aux espérances qu'avaient fait naître les Précieuses ridicules. « Courage, lui avait-on dit, voilà la bonne comédie! » Cela n'était pas rigoureusement exact : les Précieuses ridicules n'étaient pas encore la « bonne comédie »; mais elles prouvaient que Molière l'avait pressentie et qu'il pouvait, au premier jour, devenir, selon le mot du temps, « le rival de Térence ». Don Garcie avait trompé l'attente du public, car c'était un retour aux errements du passé; l'Ecole des maris devait satisfaire pleinement ceux qui attendaient de Molière la vraie comedie, la comédie qui joint à la peinture des mœurs et à l'analyse des caractères l'intérêt d'une discussion philosophique, ou, comme on dit aujourd'hui, d'une thèse, qui ne se propose pas seulement d'intéresser la curiosité des spectateurs par la justesse des observations, la vérité des peintures morales, mais qui veut encore soulever des controverses et même car son ambition va jusque-là propose des solutions; en un mot, la comédie, qui fait rire et qui fait penser.

Voltaire a bien eu raison de faire observer que l'Ecole des

1. Voyez la Notice biographique et littéraire, p. vii.

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