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fruits. Fritz riait de bon cœur de ce que ce tour nous avait si bien réussi; et quand la grêle de cocos fut ralentie, il ramassa autant de noix qu'il voulut. Nous choisîmes une place sûre pour jouir de notre récolte, et nous ouvrîmes les coques avec la hache; mais auparavant nous bûmes par les trois petits trous, que nous pouvions percer avec le couteau, le lait qui s'y trouvait : il n'est pas très bon, mais il désaltère. Ce qui nous parut excellent, c'est une espèce de crème solide qui s'attache à la coque, et que nous grattions avec nos cuillères; nous y mêlâmes du jus de nos cannes, et nous en fimes un régal délicieux. Maître Turc y gagna le reste de notre écrevisse, que nous méprisions, et un peu de biscuit ; mais cette grosse bête était loin d'être rassasiée : elle mâcha de tout son cœur des morceaux de cannes à sucre et les pépins des

COCOS.

Enfin nous nous levâmes; j'attachai ensemble quelques noix qui avaient encore leurs tiges, et je les jetai sur mon épaule. Fritz reprit son paquet de cannes; nous nous chargeâmes, et nous nous préparâmes à repartir pour reprendre le chemin de notre habitation.

CHAPITRE IV.

Retour du voyage de découvertes; alarme nocturne.

Fritz n'acheva pas son voyage sans plainte: le paquet de cannes à sucre pesait sur ses épaules ; il le changeait souvent de place; enfin il s'arrêta en respirant fortement : « Non, s'écria-t-il, je n'aurais jamais pensé que quelques cannes à sucre fussent si pesantes à porter; que je plains les pauvres nègres qui les apportent peut-être de bien plus loin! Je voudrais bien cependant que ma mère et mes frères eussent part à notre butin.

- Patience et courage, cher Fritz, lui criai-je; pense au panier de pain d'Ésope, qui était d'abord le plus pesant fardeau, et qui devint à la fin le plus léger. Tes cannes à sucre diminueront aussi, et nous pourrons bien, avant d'arriver chez nous, en sucer encore plusieurs : dès à présent allége-toi d'une en ma faveur; elle me servira de bâton de pélerin et de cruche à miel en même temps, Prends-en une aussi à la main; les autres, tu les lieras fortement ensemble, et tu les attacheras sur ton dos en croix avec ton fusil,

et

alors tu les porteras avec plus d'aisance. Dans notre situation, il faut apprendre à faire usage de notre intelligence, si elle n'est pas trop bornée, la réflexion et la faculté inventrice doivent compenser le défaut de secours. »

Pendant que nous marchions et causions ainsi, Fritz s'aperçut que je suçais de temps en temps le bout de ma canne, et voulut en faire autant; mais il eut beau sucer de toutes ses forces, rien ou presque rien n'arriva dans sa bouche. « D'où vient donc, dit-il, que je ne tire point de jus? cependant elle en est pleine.

Cela provient, lui dis-je, de ce que tu ne fais usage ni de la réflexion ni de ton imagination.

FRITZ. Ah! j'y suis; c'est sans doute par défaut d'air? S'il n'y a pas une ouverture en bas, je sucerai en vain, rien n'arrivera.

LE PÈRE. Tu l'as deviné; mais que faut-il faire maintenant?

FRITZ. Prêtez-moi un moment votre canne, mon père.

LE PÈRE. Point du tout, il n'y aurait pas alors grand mérite; il faut que tu trouves toimême le moyen.

FRITZ. Voyons... Je pense qu'il n'y a qu'à faire un petit trou au dessus du premier anneau, alors l'air peut y entrer.

LE PÈRE. Fort bien pensé; mais pourquoi fais-tu ce trou au premier anneau, et comment l'air fait-il entrer ce jus dans ta bouche?

FTITZ La canne étant fermée à chaque anneau, le trou que je ferais au-dessous ne servirait à rien pour la partie supérieure. En suçant j'aspire mon haleine, et je fais un vide; il est arrêté par le jus, et le presse jusque dans ma bouche. Mais comment m'y prendrai-je, quand cette partie sera vidée, pour en venir à la seconde?

LE PÈRE. Comment! grand physicien, qui viens de raisonner si juste sur la force et la fluidité de l'air, tu n'imagines pas de couper la partie vidée jusqu'au dessous de l'anneau, de faire une nouvelle ouverture au bas, et ainsi de suite ?

FRITZ. Oui, oui, j'y suis, cela va bien; mais à présent que nous savons la bonne manière, j'ai grand'peur que nous n'en apportions pas beaucoup à nos amis.

LE PÈRE. Je crains fort aussi

que

nous ne

leur apportions que des bâtons qui seront bons à brûler; d'ailleurs, le jus s'aigrit facilement dans les cannes coupées, et par ce soleil brûlant: ne t'afflige donc pas trop si leur nombre diminue.

FRITZ. Eh bien, si le sucre se gâte, je leur porterai au moins une bonne provision de lait de coco, que j'ai dans mon flacon de ferblanc; nous en ferons tous en famille un joli régal.

LE PÈRE. Pauvre petit! comme tu te charges! et peut-être à la fin tu n'auras que du vinaigre; car le jus de coco, sorti de son vase naturel, se gâte encore plus vite que le sucre dans les cannes ; peut-être l'est-il déja maintenant; le vase de fer-blanc où tu l'as mis s'échauffe excessivement aux rayons du soleil.

FRITZ. Cela serait bien fatal! il faut que je le goûte. Le flacon fut vite ôté de dessus son dos, et il essaya de tirer avec force le bouchon. qui sortit tout à coup avec un grand fracas, et le jus aussi, en écumant comme du vin de Champagne.

LE PÈRE. Bravo! M. Fritz, vous avez fait là du bon vin mousseux, à ce qu'il me parait; prenez garde à présent de yous énivrer.

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