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lonté affaiblie, son existence décolorée. Il eut jusqu'au bout une vieillesse saine, vigoureuse, riante. La mort, qui l'atteignit tard, lui épargna non-seulement ses approches, mais ses douleurs. Le 17 décembre 1835, il se coucha en pleine santé, et dans la nuit il expira sans s'y attendre et presque sans le sentir. M. Roederer avait quatre-vingt-un ans lorsqu'il fut si subitement enlevé à l'affection de sa famille, au commerce de ses amis et à la culture de la science.

Ainsi s'éteignit cette vie qui s'était mêlée, pendant soixante années, aux grandeurs et aux vicissitudes de son temps, et qui en avait été remplie. M. Ræderer a été remarquable par l'extrême diversité de ses aptitudes, le nombre, la distinction et quelquefois la supériorité de ses œuvres. S'il n'a pas eu le génie qui découvre, il a eu, au plus haut degré, celui qui applique. Économiste plus vigoureux qu'original, historien plus original que sûr; il a possédé surtout l'esprit d'organisation, comme l'atteste la part qu'il a prise au système de contributions publiques adopté sous la Constituante, à l'établissement administratif fondé sous le Consulat, à la régénération financière du royaume de Naples et à l'acte constitutif de la Suisse. Il s'est montré humain dans les temps de violence, honnête dans le maniement des deniers publics, plein de ressources dans l'action et de dignité dans la retraite. A cinquante ans de distance, il a publié le savant ouvrage sur le reculement des barrières, et le livre ingénieux sur la

société polie. Il a été l'un des écrivains spirituels de notre temps, et l'un des pères de notre ordre social. A tous ces titres, M. Roederer a mérité le souvenir reconnaissant de ses contemporains et l'estime de la postérité.

LIVINGSTON

NOTICE

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE

DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

DU 30 JUIN 1838.

MESSIEURS,

En peu d'années l'Académie a fait des pertes considérables. La mort l'a frappée coup sur coup. Un de ses membres les plus jeunes1 lui a été enlevé. Nous avons vu disparaître la plupart des hommes illustres qui remontaient, par leur gloire comme par leur âge, jusqu'à l'autre siècle, et qui laissent notre Académie, ainsi que notre temps, privés de leurs grands noms. La puissante génération à laquelle ils appartenaient, et dont vous conserviez les précieux restes, n'aura bientôt plus d'autre asile que l'histoire. Les trois derniers représentants d'une école phi

4 M. Ch. Comte, secrétaire perpétuel de l'Académie.

losophique célèbre, Garat, Destutt de Tracy, Laromiguière, sont morts à peu de distance l'un de l'autre. Nous avons vu s'éteindre au retour de l'exil la forte intelligence de Sieyès, et, peu de temps après, l'esprit brillant de Roederer. Plus récemment encore, la tombe s'est ouverte pour le savant diplomate1 dont nous avons entendu l'éloge de la bouche même du grand politique qui vient de succomber à son tour, après avoir voulu terminer en quelque sorte au sein de l'Institut une vie mêlée à toutes les pensées d'un demi-siècle, sans être dominée par ses vicissitudes.

Nos pertes extérieures n'ont pas été moins grandes. Un économiste profond, Malthus; un historien politique, M. Ancillon; un législateur habile, M. Livingston, ont étendu notre deuil en Europe et l'ont porté jusqu'en Amérique. C'est de ce dernier, auteur de plusieurs vastes codes, que je viens vous entretenir aujourd'hui.

M. Edward Livingston naquit en 1764 dans la colonie de New-York. Sa famille, originaire d'Ecosse, était ancienne et illustre. Les Livingston avaient formé un clan puissant, et leur chef fut l'un des lords sous la tutelle desquels avaient été placée la jeune reine Marie Stuart.

Au dix-septième siècle, le vent de la persécution religieuse qui poussa, des îles Britanniques sur les

1 M. le comte Reinhard.

M. le prince de Talleyrand,

côtes septentrionales du continent américain, tant de pieux émigrants destinés à y devenir la semence d'un grand peuple, entraîna aussi les Livingston sur cette plage lointaine. Ils quittèrent les montagnes d'Ecosse pour les bords libres de l'Hudson. Par un souvenir de leur ancienne splendeur, qui les suivit au delà des mers et qui conserva chez eux le culte des traditions à côté de l'esprit d'indépendance, ils donnèrent à leurs établissements américains quelques-uns des titres que portaient les manoirs de leurs ancêtres. Cette famille généreuse, qui avait quitté son ancienne patrie pour rester libre, prit hardiment la défense de sa patrie nouvelle lorsque ses droits furent méconnus par la métropole, et que le moment de son entière émancipation fut arrivé.

Edward Livingston, le dernier de onze enfants, était encore fort jeune au début de cette grande révolution. Ses premières années s'étaient écoulées à Clermont, riche domaine de sa famille sur les belles rives de l'Hudson, au milieu de mœurs patriarcales, d'idées nobles, d'habitudes opulentes, et sous l'influence d'une honnêteté héréditaire. Dans cette éducation des bons exemples, dont l'effet insaisissable, mais continu et profond, agit sur l'âme qui se forme, comme un air pur et vivifiant sur le corps qui se développe, Livingston avait puisé des penchants heureux, une piété douce et des goûts élevés. Mais il reçut bientôt de nouvelles et plus fortes leçons des événements qui s'accomplirent dans son pays.

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