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l'ascendant des hommes supérieurs, et il retombait ensuite dans la nonchalance des hommes ordi

naires.

Pendant le cours de si nombreuses révolutions et de prospérités si diverses, il ne fit de mal à personne. Il ne sévit contre ses adversaires que par de bons mots. Il éprouva et il inspira de longues amitiés, et tous ceux qui l'entouraient ou qui l'approchaient étaient attirés par sa grâce, attachés par sa bonté. Il jugeait tout avec un sens exquis; il aimait à raconter, et ses récits avaient autant d'agrément que ses mots ont eu de célébrité. Ce visage que les événements n'avaient pas ému, ce regard que la fortune n'avait pas troublé, s'animaient lorsqu'il parlait des beaux jours du dix-huitième siècle et des grands travaux de l'Assemblée constituante. M. de Talleyrand, comme la grande génération à laquelle il appartenait, aimait sincèrement sa patrie, et a toujours conservé de l'attachement pour les idées de sa jeunesse et les principes de 1789, qui ont suivécu chez lui à toutes les vicissitudes des événements et de la fortune. Il s'entretenait sans aucune gêne des gouvernements qu'il avait servis et quittés. Il disait que ce n'était pas les gouvernements qu'il servait, mais le pays, sous la forme politique qui dans le moment lui semblait convenir le mieux, et qu'il n'avait jamais voulu sacrifier l'intérêt de la France à l'intérêt d'un pouvoir.

Telle était l'explication qu'il donnait à ses changements. Toutefois, quels que soient les services

qu'on puisse rendre à son pays en conformant toujours sa conduite aux circonstances, il vaut mieux n'avoir qu'une seule cause dans une longue révolution, et un seul rôle noblement rempli dans l'histoire.

BROUSSAIS

NOTICE

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE

DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

DU 27 JUIN 1840

MESSIEURS,

Lorsque l'Académie des sciences morales et politiques fut rétablie en 1832, M. Broussais était depuis longtemps. célèbre par la hardiesse de ses systèmes, le nombre et la valeur de ses écrits, l'accomplissement même d'une grande réforme médicale. Il essayait alors d'étendre jusqu'à la philosophie la révolution qu'il avait opérée en médecine. Cet observateur habile, ce réformateur original, cet écrivain abondant et chaleureux, cet homme supérieur, qui, pendant plus de quinze années, avait rempli la France et l'Europe de ses travaux et de sa renommée, n'appartenait pas encore à l'Institut. La nouvelle Académie s'empressa de recueillir

ce grand nom. Ouverte à toutes les idées, n'excluant aucun point de départ pour arriver à ces vérités premières que l'homme cherche toujours et que Dieu ne lui livrera peut-être jamais, elle admit M. Broussais dans sa section de philosophie, où il fut le représentant le plus extrême d'une doctrine qui semblait être déjà parvenue, avant lui, jusqu'à ses dernières limites.

C'est donc comme philosophe que j'ai surtout à faire connaître M. Broussais. Mais je remplirais mal ma tâche et je donnerais de lui une idée bien imparfaite, si je me bornais à le présenter sous cet aspect. M. Broussais n'a été philosophe que par occasion et, en quelque sorte, par déduction. En lui, le physiologiste a précédé, inspiré, subjugué le penseur. Il faut, dès lors, chercher ses principes philosophiques dans ses théories médicales. C'est là que se trouvent son originalité et ses principaux titres à la gloire. C'est là qu'on peut saisir la marche de cet esprit vigoureux, exposer ses découvertes dès leur origine, et les suivre dans tout leur développement systématique. C'est là aussi que l'homme se montre tout entier, convaincu, impérieux, passionné, avec son impétueux courage, sa verve entraînante, se plaisant à combattre les systèmes contemporains pour le moins autant qu'à établir le sien, et transportant la lutte jusque dans l'histoire, afin d'y renverser toutes les vieilles autorités et de dominer seul. En un mot, c'est là que M. Broussais occupe une place, dans la glorieuse compagnie des

maîtres de la science, qui lui doit d'incontestables progrès.

François-Joseph-Victor Broussais naquit à SaintMalo le 17 décembre 1772. Il appartenait à une famille vouée depuis plusieurs générations à l'art de guérir. Son bisaïeul avait été médecin et son grandpère pharmacien. Son père, qui exerçait aussi la médecine, s'était établi à Pleurtuit, village situé non loin de Saint-Malo sur le bord de la mer. Là s'écoulèrent les douze premières années de Broussais. A part les soins éclairés d'une mère tendre et forte qu'il aimait extrêmement, et les faibles enseignements de son curé, qui le forma surtout à servir la messe et à chanter au lutrin, l'éducation de son enfance fut fort négligée. Mais il n'y a pas de temps perdu pour les hommes d'une organisation supérieure. Ce que l'éducation ne fait pas pour eux, la nature se charge de le faire, et, en attendant que leur esprit se cultive, leur caractère se forme.

C'est ce qui arriva au jeune Broussais, dont les sentiments se développèrent avec d'autant plus de force, qu'ils ne furent pas gênés par les idées. Il apprit surtout de bonne heure à ne rien craindre. Son père l'envoyait de nuit porter, dans les campagnes, les remèdes qu'il avait prescrits à ses ma. lades. Souvent il ignorait la route qu'il devait parcourir, et il se laissait alors guider, jusqu'à la chaumière inconnue, par le cheval qui y avait conduit son père pendant le jour. Le jeune et intrépide enfant traversait ainsi, sans hésitation et sans trou

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