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se tut dès lors, mais il conserva des pressentiments lugubres, et bien peu avant la suprême disgrâce de ses rois, il écrivait : « Depuis quinze mois je suis livré exclusivement à l'étude des âges passés, et je ne puis plus apporter à la cause que j'ai défendue toute ma vie d'autre tribut de mon zèle que le souvenir des temps qui ne sont plus et les tristes leçons de l'histoire. >>

Ces leçons sévères, il faut l'espérer, ne seront pas toujours perdues. Déjà vous l'avez noblement remarqué, monsieur, notre temps est devenu plus juste et plus conciliant, parce qu'il a acquis l'impartialité et la modération de l'expérience. Aussi, après la Révolution et sous la monarchie de 1830, la généreuse équité des sentiments publics a-t-elle permis d'honorer ce qu'il y a eu de grand dans les souvenirs du passé comme dans les gouvernements de nos jours, et avons-nous vu réunir ensemble toutes les gloires de la France pour répondre à toutes ses admirations. Mais si notre génération a l'expérience des peuples qui ont longtemps vécu, elle doit en éviter la faiblesse pour ne pas rendre prophétique ce mot que M. Michaud prononça en expirant : « Je sens que le gouvernement du monde est fatigué... comme moi. »

Tel est, monsieur, le prédécesseur regretté dont vous êtes appelé à occuper le siége au milieu de nous et à réparer la perte. Poëte élégant, historien remarquable, savant voyageur, causeur spirituel, homme excellent qui a su se faire honorer de tout

le monde, homme de parti qui a mérité de n'être haï de personne, vous avez su l'apprécier sous tous ces rapports avec ce jugement sûr et cette parole simple et ferme que vous nous avez habitués à entendre. Vous n'avez pas seulement loué le mérite de M. Michaud; vous avez voulu, à son occasion, agrandir les destinées de l'histoire, et vous avez pensé avec un grand philosophe, qui a été en même temps un habile historien', qu'elle pouvait aspirer aux avantages des sciences en se rapprochant de leurs méthodes.

L'histoire, occupée de faits changeant avec les siècles et selon les pays, souvent privée de documents qui se sont perdus, incertaine sur des intentions demeurées obscures, réduite à combler des lacunes, à supposer des volontés, ne saurait prétendre aux démonstrations que les sciences exactes puisent dans les faits invariables de la nature. Mais si elle ne conserve pas toujours les détails éphémères des événements et les intentions périssables des hommes, elle transmet avec certitude les résultats généraux de la vie des nations et les grands motifs qui les ont produits. En effet, les événements essentiels à connaître éclatent avec évidence, s'accomplissent avec suite, et, transportant jusqu'à l'historien qui sait les interroger et les comprendre les idées, les sentiments, les besoins d'une époque, lui font découvrir la raison de leur existence et la loi de leur succession.

1 David Hume,

A ce titre, l'histoire est faite pour prouver et pour enseigner, et vous avez raison, monsieur, de la croire une science. Les anciens ne l'appelaient la dépositaire des temps que pour la rendre l'institutrice de la vie, et Polybe disait avec profondeur que si elle ne cherchait pas le comment et le pourquoi des événements, elle n'était bonne qu'à amuser l'esprit. C'est par là, en effet, qu'elle montre les fautes suivies de leurs inévitables châtiments, les desseins longuement préparés et sagement accomplis, couronnés de succès infaillibles; c'est par là qu'elle élève l'âme au récit des choses mémorables, qu'elle fait servir les grands hommes à en former d'autres, qu'elle communique aux générations vivantes l'expérience acquise aux dépens des générations éteintes, qu'elle expose dans ce qui arrive la part de la fortune et celle de l'homme, c'est-à-dire l'action des lois générales et les limites des volontés particulières; en un mot, monsieur, c'est par là que, devenue, comme vous le désirez, une science avec une méthode exacte et un but moral, elle peut avoir la haute ambition d'expliquer la conduite des peuples et d'éclairer la marche du genre humain.

RÉPONSE AU DISCOURS DE RECEPTION

DE M. LE BARON PASQUIER

QUI EST VENU PRENDRE SÉANCE

A L'ACADÉMIE FRANÇAISE LE 8 DÉCEMBRE 1842, A LA PLACE
DE M. FRAYSSINOUS, ÉVÊQUE D'HERMOPOLIS.

MONSIEUR.

De tout temps l'Académie française a admis dans son sein des hommes éminents dans l'Église, comme votre prédécesseur, ou revêtus comme vous des plus hautes fonctions de l'État. C'est le caractère que reçut, dès son origine, cette grande institution littéraire de la France, qui eut par là de si heureux effets sur l'esprit en le rendant plus étendu, sur la langue en lui donnant une forme plus régulière, sur les mœurs mêmes en ajoutant à leur politesse. Deux siècles avant le triomphe de l'égalité civile, s'établit, comme pour la précéder et pour y conduire, cette égalité intellectuelle que consacra l'appui du plus impérieux des ministres et du plus absolu des mo

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