J'y vins, et vis trois ânes, cinq moutons, Je vis se carrer trois manants; En descendant de cheval, j'enfilai la conversation avec quelques capables du lieu, pour me donner l'amusement d'entendre leurs nouvelles et leur politique grotesque. Je n'ai jamais entendu un pot-pourri plus original, ni de coq-à-l'âne plus complet : Les uns disoient que le roi Tanifras Non, disoit un notable, il ne le sera pas, A suivre Tanifras sans faire les mutins : Les autres soutenoient que bientôt de Porone Que dans peu notre flotte, entre la mer Baltique Viendroit par terre attaquer les Anglois; Que les desseins de Vienne auroient un sort funeste, Et que le diable emporteroit le reste. Fatigué de leurs sots discours, Et de leur bêtise profonde, En espèces de même cours Avant de les quitter je payai tout mon monde. Dans un vaisseau de maroquin, La grande arche du Pont-Euxin, Après les avoir pétrifiés par cette décharge effroyable de nouvelles étonnantes, j'allai manger, sans beaucoup d'appétit, deux vieux œufs jadis frais; après quoi je m'enveloppai un peu plus que demihabillé entre deux draps d'une blancheur problématique, et d'une propreté équivoque. Là, remettant au lendemain Sans m'amuser à veiller davantage, Je m'endormis jusqu'au matin. L'Aurore ensevelie aux liquides demeures Ne songeoit point encore à réveiller les heures, A peine étoit-il jour; par leurs rauques fleurettes (Car au plus mauvais lit le sommeil m'est fidèle ; Ma valise, et mon cordelier. Depuis ce moment tout le voyage fut affreux : nous ne trouvâmes plus que des chemins diaboliques, percés à travers des bois éternels; Des ravines abominables, Où cent mille lutins, cent mille farfadets, Chaque nuit, avec tous les diables Enfin, d'horreurs en horreurs, de monstres en monstres, nous arrivâmes et nous fimes notre entrée dans la ville, bourg, et village de La Flèche, où je pris volontiers congé de ma veuve de Rossinante : que vous dire maintenant de ce pays-ci? La Flèche pourroit être aimable, Je n'en parle ainsi que d'après des relations qu'on m'en a faites. Jusqu'aujourd'hui cependant il me paroît qu'il pleut de l'ennui à verse; mais je m'enve loppe de mon manteau philosophique, moyennant quoi je compte que ces orages ne me mouilleront pas. Or finissons pourtant; le postillon va partir. Le charmant, le divin est-il enfin guéri? Car tout est malade avec lui. Mille bonjours à tout le monde; des respects à ceux qui ne voudront pas d'amitiés. J'attends une longue réponse: cotisez-vous tretous, et réconfortez un mort au monde, qui ne vit plus que dans les lettres de ses amis. Songez que je mourrois réellement et à perpétuité, si les considérations que j'ai pour des voisins tels que vous ne m'arrêtoient encore sur la terre. Tirez cet agrément, tout m'est enlevé ; je suis à trente mille lieues de tout l'univers : je finis, attendu que je n'aime point le style d'élégie. |