MÉLIBÉ E. Lorsque vous habitiez ce rivage charmant Tout s'affligeoit ici de votre éloignement. Pendant ces sombres jours la jeune Galatée Du plus tendre chagrin me parut agitée : Ses yeux s'ouvroient à peine à la clarté du jour, Sa plainte attendrissoit les nymphes d'alentour; Les échos des vallons, les pins, et les fontaines, Rappeloient à l'envi Tityre dans nos plaines ; Vos fruits dépérissoient dans le plus beau verger, Et vos troupeaux plaintifs demandoient leur berger. TITYRE. Si je n'avois quitté ma triste solitude, MÉLIBÉ E. Ainsi donc, cher Tityre, exempt de nos misères, Vous finirez vos jours aux foyers de vos pères ; Vos troupeaux, respectés du barbare vainqueur, Demeureront ici sous leur premier pasteur ; Ils ne sortiront point de ces gras pâturages Pour périr de langueur dans des terres sauvages ; Vos abeilles encore, au retour du matin, Picoreront la fleur des saules et du thym. Nos champs abandonnés vont rester inutiles ; Les vôtres par vos soins seront toujours fertiles; Vous pourrez encor voir ces bocages chéris, Ces gracieux lointains, ces rivages fleuris ; Les amoureux soupirs des rossignols fidèles, Les doux gémissements des tendres tourterelles, Vous livreront encore aux douceurs du sommeil Dans ces antres fermés aux regards du soleil. TITYRE. L'amour saura toujours me retracer l'image MÉLIBÉ E. Que ne puis-je avec vous célébrer ce héros, Et ranimer les sons de mes tristes pipeaux ! Nos pasteurs pleurent tous une même disgrace : Nous fuyons dispersés. Les uns aux champs de Thrace Vont chercher des tombeaux sous ces affreux climats Qu'un éternel hiver couvre d'âpres frimas ; D'autres vont habiter une contrée aride, Et les déserts voisins de la zone torride. Compagnon de leurs maux, et banni pour toujours, Sous un ciel inconnu je traînerai mes jours : Quoi ! je ne verrai plus ces campagnes si chères, Ni ce rustique toit hérité de mes pères ! O Mantoue! oh! du moins si ces riches sillons Devoient m'être rendus après quelques moissons ! Non, je ne verrai plus ces forêts verdoyantes, Ni ces guérets chargés de gerbes ondoyantes ; D'avides étrangers , des soldats inhumains, Désoleront ce champ cultivé de mes mains : Étoit-cedonc, grands dieux! pour cette troupe indigne Que j'ornois mon verger, que je taillois ma vigne ? C'en est fait; pour toujours recevez mes adieux, Bords si chers à mon cour, et si beaux à mes yeux ! O guerre ! ò triste effet des discordes civiles ! Champs, on vous sacrifie à l'intérêt des villes. Troupeau, toujours chéri dans des jours plus heureux, TITYRE, Dans ces lieux cependant on vous permet encore NOTE. Tranquille, cher Tityre, à l'ombre de ce hêtre... Le père de Virgile, sous le nom de Tityre, chante les louanges et les bieufaits d'Octavien César, qui, dans le partage des campagnes de Mantoue, lui conservoit une paisible possession de sa métairie d'Andès. Sous le nom de Mélibée, un berger du Mantouan , bauni de sa patrie , déplore ses disgraces. |