LETTRE AU DUC DE CHOISEUL, Sur le Mémoire historique de la négociation entre la France et l'Angleterre. MONSE ONSEIGNEUR, Les bontés dont vous m'honorez depuis si longtemps me donnent la confiance de venir vous distraire un moment. Peut-être qu'au milieu des applaudissements publics, et environné d'hommages beaucoup mieux exprimés que les miens, vous voudrez bien reconnoître la voix d'un sauvage que vous avez souvent entendu avec indulgence. Malgré toute ma répugnance à écrire sans nécessité, et malgré toute ma sauvagerie, je ne puis résister, monseigneur, à l'empressement de vous rendre compte de l'impression profonde de respect, d'admiration, et de plaisir, dont m'a pénétré la lecture du Mémoire historique sur la négociation entre la France et l'Angleterre. Les fastes brillants de notre âge Qui, sous l'auguste et stable gage Des palais de l'Europe écartant tout nuage, Tous les temps en verront l'éclatant témoignage Dans cet illustre écrit, le respectable ouvrage La bienfaisance magnanime D'un roi l'amour du monde, et l'exemple des rois. Comment ce peuple fier, jaloux du nom de sage, Rival de tout génie, ardent admirateur De tout ce qui porte l'image De l'élévation et du sublime honneur, Pour quelle fausse gloire, évitant la lumière, Où l'ange de la paix, lui montrant la carrière, En rendant publics les actes de cette négociation, monseigneur, vous laissez à tout le monde la liberté d'être politique pour le moment, ou du moins de se le croire, Pour moi, qui jusqu'ici ne m'étois jamais mêlé de l'être, ni bon ni mauvais, souffrez que j'use de cette permission générale, et que je le sois pour un instant sans conséquence. Il me paroît, monseigneur, que l'oubli d'un mot très essentiel a empêché le succès des conférences: tout auroit été concilié si les Anglois s'étoient rappelé un seul instant le nom de FONTENOI. Il est assez singulier que la nation britannique soit la seule nation de l'univers qui ait perdu le souvenir de ce lieu à jamais célèbre, quoique le roi ait daigné en personne lui en faire les honneurs. Mais, monseigneur, soit près de là encore, soit ailleurs, votre heureux et brillant ministère fera sûrement vouloir la paix, si des voies de conciliation ne peuvent déterminer plus tranquillement les ennemis. Quelque parti qu'ils prennent, vous êtes bien sûr de l'applaudissement et de la reconnoissance de l'Europe. Je ne vois que deux espèces de gens dont les remerciements seront médio cres, vu que le rétablissement du bonheur général est toujours pour eux un malheur particulier. Les ennemis obscurs des sublimes talents, Que la splendeur d'autrui blesse dans les ténèbres, Tous les nouvellistes des villes, Ces oracles bourgeois, politiques du coin, Font leurs menus plaisirs des maux qu'on souffre au loin, Gens pour qui la gazette est du premier besoin, Comme l'air et la nourriture; Satisfaits, enchantés quand ils ont pour pâture De morts, de blessés, de mourants, Et le touchant plaisir des doubles suppléments: Qui les prive de la douceur D'espérer un nouvel orage. Mais pour nous autres bonnes gens, Du mépris des détours, des haines, des soupçons, Doit inspirer par-tout cet esprit unanime Voilà, monseigneur, une foible image des sentiments qu'inspire la lecture du Mémoire historique. Si la renommée de la grandeur d'ame et de l'auguste sensibilité du roi pouvoit recevoir quelque accroissement dans l'univers, cet exposé lumineux y ajouteroit. L'histoire, en transcrivant ce titre immortel, reproduira dans tous les âges la vénération tendre qu'il nous imprime; et la gloire d'un monument si cher sera bien supérieure à la triste célébrité de ces systèmes de discorde, de conquêtes, et de calamités, |