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SCÈNE III.

ALZONDE.

Je ne formois donc pas un frivole soupçon !
Trop heureuse rivale!...Ah! que dis-je ? et quel nom!
N'ai-je point immolé mon amour à ma gloire,
Et rendu tout mon cœur au soin de la victoire ?...
Quoi! des soupirs encor reviennent me trahir!
Falloit-il le revoir, s'il falloit le haïr?

Ton supplice est entier, amante infortunée !
Il ne manquoit aux maux qui font ta destinée
Que d'entendre d'un cœur dont tu subis la loi
Des soupirs échappés pour une autre que toi.
Je n'en puis plus douter; et, pour comble d'outrage,
On veut que leur bonheur soit encor mon ouvrage !
J'en rends grace au destin : ce soin qui m'est commis
M'aide à désespérer mes cruels ennemis;
Dans le sang le plus cher, répandu par ma haine,
Que tout ici gémisse et souffre de ma peine :
On retranche à l'horreur de ses maux rigoureux

Ce qu'on en peut verser sur d'autres malheureux.
Tremble, crédule amant; en frappant ce qu'il aime,
L'amour est plus cruel que la haine elle-même.
Mais ma rivale vient; cachons-lui son bonheur ;
Dissimulons ma rage, et trompons sa douleur.

SCÈNE IV.

ALZONDE, sous le nom d'Aglaé; EUGÉNIE.

EUGÉNIE.

Ah! ma chère Aglaé, dans quel temps déplorable
Me laissez-vous livrée à l'effroi qui m'accable!
Ismène ne vient point en dissiper l'horreur :
Tout me fuit, tout me laisse en proie à ma douleur.

ALZONDE.

Si vous en voulez croire et ma crainte et mon zèle,

Fuyez, chère Eugénie, une terre cruelle :
Des mêmes délateurs je redoute les coups;
Peut-être leur fureur s'étendroit jusqu'à vous.
Il en est temps encor, fuyez.

EUGÉNIE.

Moi, que je fuie!

Je crains, mais pour mon père, et non pas pour ma vie.

SCÈNE V.

ALZONDE, sous le nom d'Aglaé; EUGÉNIE, ISMÈNE.

EUGÉNIE.

Eh bien! que m'apprends-tu ?

ISMÈNE.

Le silence et l'effroi

Environnent les lieux qui nous cachent le roi.
Je n'ai vu que Volfax ; il me suit, et peut-être
Mieux instruit des revers que ce jour a vus naître,
Madame, vous pourrez les apprendre de lui.

EUGÉNIE.

Vous, ma chère Aglaé, vous, mon unique appui, Pénétrez jusqu'au prince, allez; tâchez d'apprendre Si, suspendant ses coups, il daigne encor m'entendre: De la vertu trahie exposez le malheur ;

Et s'il parle de moi... dites-lui ma douleur ;

Dites-lui que j'expire en proie à tant d'alarmes ; Que je n'aurois pas cru qu'il fit couler mes larmes,

Qu'il voulût mon trépas, et qu'aujourd'hui sa main Dût conduire le fer qui va percer mon sein.

SCÈNE VI.

EUGÉNIE, VOLFAX, ISMÈNE.

EUGÉNIE.

Rassurez-moi, mylord; quel forfait se prépare? De l'auteur de mes jours quel malheur me sépare?

VOLFAX.

Un ordre souverain l'a commis à mes soins;

C'est tout ce que je sais.

EUGÉNIE.

Puis-je le voir du moins? Vous le plaindrez sans doute; une ame généreuse Ne voit point sans pitié la vertu malheureuse. Venez, guidez mes pas; il n'est point de danger, Point de mort qu'avec lui je n'ose partager.

VOLFAX.

Vous ne pouvez le voir; et ses juges peut-être
Devant eux à l'instant vont le faire paroître.

EUGÉNIE.

Des juges! de quel crime a-t-on pu le charger?
Quel citoyen plus juste ose l'interroger?...

VOLFAX.

Quand du pouvoir des rois la fortune l'approche,
Un sujet rarement est exempt de reproche.
EUGÉNIE.

Arrêtez ; à ses mœurs votre respect est dû :
La vertu dans les fers est toujours la vertu.
Sa probité toujours éclaira sa puissance.

Que pour des cœurs voués au crime, à la vengeance,
Le premier rang ne soit que le droit détesté
D'être injuste et cruel avec impunité;

Pour les cœurs généreux que l'honneur seul inspire,
Ce rang n'est que le droit d'illustrer un empire,
De donner à son roi des conseils vertueux,
Et le suprême bien de faire des heureux.

Toi qui, peu fait sans doute à ces nobles maximes,
Oses ternir l'honneur par le soupçon des crimes,
Tu prends pour en juger des modèles trop bas :
Respecte le malheur, si tu ne le plains pas;
Apprends que dans les fers la probité suprême
Commande à ses tyrans, et les juge elle-même.
Mais c'est trop m'arrêter, et tu pourrois penser
Qu'à briguer ton appui je daigne m'abaisser;

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